Nous nous sommes éloignés.

Nous nous sommes égarés. 

Ô démiurges des temps passés, des temps présents et des temps futurs ; écoutez mon chant.

Nous nous sommes éloignés.

Nous nous sommes égarés.

À petit pas si ténu… À peine aperçus. 

Je revois le coin du feu ; et nous deux. La théière fumante. Les effluves parfumées qui nous enchantaient. Ainsi, nous parlions, nous riions, nous chantions ; parfois quelques larmes ; et quelques cris : la vie. 

Nous inventions les étoiles naissantes. Les étoiles filantes. Les étoiles mourantes. Les comètes coquettes et leurs chevelures brillantes. Les météores guerriers et menaçants. Nous nous tournions la tête ; nous nous rêvions poètes. 

Nous nous sommes éloignés. 

Nous nous sommes égarés. 

Ce jour-là, le chat sur son coussin de soie ronronnait. Quelques biscuits solitaires s'ennuyaient dans leur assiette de porcelaine. 

Et tu m'as dit :

"N'entends-tu pas ?"

Tes yeux s'en sont allés vers la fenêtre close. La neige tombait en flocons serrés derrière les carreaux frigorifiés. Une ombre est passé sur ton visage. Tu es parti en songerie. Inquiète, je me suis approchée. J'ai écouté ; je n'ai perçu que le silence. 

Tu t'es assombri. Je t'ai dit :

"Libère ce chagrin qui t'emporte. Laisse-le partir sans toi."

Un instant ; bref. Puis, tu es revenu à moi pour me chuchoter :

"Tu ne comprends pas ? Je ne suis pas ici."

"Mais si ! Je vois : les lacs sombres et profonds de tes yeux ; tes lèvres qui me sourient ; cette tasse qui réchauffe tes mains. Tu n'as jamais été aussi présent."

"Pourtant je suis là-bas !", m'as-tu soufflé.  

Toutefois, tu t'es détourné de la fenêtre pour revenir à moi. Tu m'as rassuré de paroles tendres. J'ai oublié les autres si angoissantes. J'ai ouvert un carnet ; tu m'as donné un stylet.

"Écris-moi un poème. " m'as-tu dit. 

Bien sûr, j'ai obtempéré, avec joie. Et, j'ai oublié ce premier pas loin de moi. 

Nous nous sommes éloignés, égarés ; quelques secondes ; quelques minutes ; quelques heures ; quelques jours.

Mais, tu n'es pas encore tout à fait perdu ; alors l'espoir demeure.