Carrefour

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J'avais pris l'habitude d'accompagner ma mère le samedi après-midi au Carrefour. Ce n'est pas que j'aimais les grandes surfaces à cette époque. Ce qui me faisait tripper, c'était la possibilité de me planter dans le rayon librairie et de consulter en libre accès tous les magazines, livres et journaux. Pas comme à la librairie du coin. Si l'envie t'y prenait de consulter un magazine, le robot qui joue le rôle du commerçant te bloquait avant même que ton cerveau n'ait eu le temps d'ordonner un mouvement. Ce type avait au moins un radar dans sa tête, un putain de détecteur préemptif hyper évolué. Quand c'était son jour de travail, tu peux être sûr que rien n'allait disparaître, même Arsen Lupin n'aurait pas su s'emparer d'un Malabar ou d'un Dragibus sans mettre la main au portefeuille.

L'avantage de Carrefour par rapport aux bibliothèques, c'est que c'était sans cesse renouvelé. Quotidiens, hebdomadaires et mensuelles et surtout sans que personne ne vient t'emmerder. C'était avant qu'un crétin ne décide de mettre ses petits trésors dans des pochettes plastiques transparentes. Cela a réduit du coup l'envie d'accompagner ma mère faire les courses.

Un de ce samedi, en zigzagant entre les BD et les magazines, un journal m'a interpellé. Oui oui un journal, vous savez ces grandes feuilles de papier un peu grises dans lesquelles les adultes se plongent généralement avec un air sérieux et secouent la tête en marmonnant des phrases préfabriquées du genre "Ah ben ça, je l'aurai parié !", "Ben oui, c'est évident !", "Non, mais franchement, tu as vu, ils ont encore osé.", "Ils n'ont vraiment que ça à foutre", "Mais où est-ce qu'on va". Hebdogiciel, enfin un journal sur les actualités des micro-ordinateurs personnels 8 bits. Commodore 64, TO7, ZX81, Spectrum, Amstrad, Oric, etc. Tout y était abordé. Le ton était familier, humoristique, très satirique et sans concession. Un régal, on sentait directement que ces gars étaient libres de toute contrainte. Un peu dans le genre de Charlie Hebdo, Fluide glacial ou Hara-Kiri. Imagineriez-vous qu'Ikea titrerait leur catalogue avec une accroche du genre "Désolé, les meubles scandinaves c'est de la merde !" Et bien ces gars l'on fait, "Désolé, l'informatique c'est de la merde !" en couverture et en gros caractères ; le ton est donné.

Ce qui m'a bien rendu accro à leur délire, c'est qu'il publiait chaque semaine des programmes de leurs lecteurs. Des listings de programmes à recopier ! Principalement en basic. L'idée était géniale et le format "Journal" était justifié. Je n'avais plus qu'à recopier et à force, j'ai commencé à comprendre ce que je tapais. Les codes d'erreurs qui ont suivi les RUN m'ont aussi beaucoup aidé malgré les énormes déceptions qu'ils ont à chaque fois engendrées.

À coup de Syntax errer, NEXT without FOR, RETURN without GOSUB, out of DATA, Illegal fonction call, Division by zéro... j'ai commencé à parler BASIC. Comme quoi, c'est en se trompant qu'on apprend.

Une erreur cruciale m'a tout de même décidé à changer de micro, la fatale Out Of Memory.

Out of memory, après 5 numéros d'hebdo, des soirées à recopier des centaines de lignes composées de codes incompressibles. Je vous colle un petit exemple, ce sera plus parlant.

Syntax: PLAY #<Device>,"<MmlStringChannel1>","<MmlStringChannel2>"...,"<MmlStringChannel13>"

Exemple: 210 '----->BASS PATTERN 220 A(0)="T100@13V13O3D1.":B(0)="T100@13V14O2D1." 230 B(1)="D2.>>@31L24C12DF12DF12GC12DFGA>C<A>CR12V15DR8D<V14" 240 B(2)="Q4D8RR12FG8G8A8>QD8Q4<D8RR12FG8G8A8>QE8Q4<":B(3)="D8RR12FG8A8>E8<QA8E8R12GAGA>C+12<AR12>DR8D<" 250 B(4)="Q4D8RR12F+G8G8A8>QD8Q4<D8RR12F+G8G8A8>QE8Q4<":B(5)="E8RR12F+G8A8>E8<QA8E8R12GAGA>C+12<AR12>DR8D<" 260 B(6)="Y19,0V5L2T150OD.<A.>DE-4E." 270 B(7)="<B.>D.C+.<a>C+4":B(8)="E.T130D.T120C+<A":B(10)="T150>V4D" ...

La haine ! Je n'ai jamais pu entendre la fin de la chanson des communards, Don't Leave Me This Way sur mon MSX 16kb. Putain la lose.

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