Besoin de liberté
Quand allait-il arrêter ? Nous avions suffisamment dansé dans cette ribote, il était temps de sortir de ce bar. Puisqu’il semblait décidé à s’y éterniser, je finis par forcer les choses, lui prenant une main pour l’entraîner vers la sortie. Un large sourire marqua son visage alors qu’il passait un bras autour de ma taille pour me garder coller à lui.
L’air était frais, faisant un peu retomber l’alcool que j’avais dans le sang. Je clignai des paupières et me retrouvai dans une chambre. En entendant la porte claquer derrière moi, je me retournai. Sa silhouette encore dorée des quelques reflets derrière lui me paraissait soudain beaucoup plus imposante, montant un feu dans mon ventre. Il fit un pas et mon cœur sursauta alors que nos corps bouillants de désir se retrouvèrent collés l’un à l’autre. Plus rien ne semblait avoir d’importance dans ses bras, rien hormis la violente caresse de ses lèvres contre les miennes ainsi que l’habilité de ses mains descendant déjà mon jean.
Mes paupières se soulevèrent au moment où le garçon ouvrit la porte de son appartement devant nous. Il me tenait toujours collée à lui, cet homme du bar que j’avais suivis dans les rues.
Je venais de fantasmer, ça ne se déroulerait probablement pas de la même façon.
Un goût amer me resta en travers de la gorge alors qu’il baladait ses doigts sur moi. Il ne faisait rien de mal, je l’avais voulu, mais mon désir pour lui semblait loin désormais.
J’eus un ultime soupir exagéré lorsqu’il se figea au-dessus de moi. Son front se colla à ma nuque pendant que ses mains glissaient de mes hanches jusqu’aux draps. Ses reins avancèrent une dernière fois avant qu’il ne se laisse tomber sur le côté, m’épargnant enfin sa chaleur.
Encore une nuit gâchée, encore un mauvais partit. J’étirai mes jambes pour m’allonger complètement sur le ventre puis tournai la tête vers lui, il s’endormait déjà, ça m’arrangeait.
J’attendis quelques minutes avant de sortir discrètement du lit. C’était toujours exactement le même scénario, ils mettaient tous leurs efforts pour me baiser et ensuite ils dormaient. Lui ne se souviendrait même pas de mon prénom demain, comme les autres.
Je partis dans la pièce voisine pour me rhabiller. Son appartement était charmant, un peu petit certes mais à Paris il n’y avait probablement pas mieux. Une chambre, un salon-cuisine et une salle de bain.
Je devrais peut-être commencer à me chercher ce genre d’endroit pour moi. Même si vivre avec ma mère me plaisait, il était temps de devenir indépendante, ou j’attendrais la fin du lycée.
Comment retourner chez moi maintenant ?
Je n’aimais pas les taxis, peu importe de quelle entreprise, taxi parisien ou société, c’était toujours le même problème, les chauffeurs obnubilés par leur rétroviseur, le fait qu’ils me regardent ne me dérangeait pas, mais je préférais leurs yeux sur la route.
Le métro était déjà une meilleure solution, si on oubliait que c’était l’heure de pointe pour les sorties de soirée.
Ma dernière option : les bus, même si c’était un peu pareil, avec de la chance je ne croiserais personne.
Je m’arrêtai à la première station sur mon chemin. Deux filles attendaient, soules, elles devaient revenir d’un bar de la rue voisine.
Trois autobus, quelques regards, mais je parviens en un morceau jusqu’à la grande avenue proche de chez moi.
Tout serait plus simple avec mon appart et ma propre voiture, puisque je n’avais encore que dix-sept ans je n’étais pas autorisée à conduire seule, je ne pouvais donc pas emprunter l’auto de ma mère pour les soirées, elle serait contre de toute façon. Un mois, c’était tout ce qu’il me restait avant d’enfin être un peu libre là-dessus. Ce n’était pas si long un mois, surtout avec tous les examens du BAC qui s’en venaient. Je devais être patiente, et me trouver un travail pour me payer un appartement et une voiture.
Pour le moment, il fallait que je rejoigne ma chambre sans réveiller ma mère.
Qu’en était-il de mon fantasme ? Je ne me souvenais pas d’une autre fois où l’alcool ait pu me faire ça. Cette hallucination m’avait paru si réelle, ce feu dans mon ventre à l’idée que cet homme précis me saute dessus avait été intense. Malheureusement c’était trop flou pour que je me remémore son visage.
Notre cerveau n’était pas censé inventer des traits humains, j’avais entendu ça quelque part. Donc ce garçon existait, je l’avais déjà rencontré, ou simplement croisé dans la rue. J’aurais aimé savoir qui il était, afin de le contacter, peut-être mon subconscient avait voulu me laisser un message. Peut-être que je devais enfin arrêter de me contenter des bras d’inconnus qui ne me faisaient pas tant d’effet que ça.
Je devrais étudier ce problème plus tard, pour le moment il fallait que je me concentre sur mes clefs dans la serrure.
Deuxième instant discrétion de la soirée.
Je tournai lentement le passe dans la porte, mais en poussant le battant j’eus un soupir : les lumières étaient allumées.
J’enlevai mes chaussures et mon manteau puis avançai vers ma gauche dans le salon, là où ma mère m’attendait. Assise sur le canapé présent juste à côté de ma chambre, elle avait un livre ouvert sur les genoux, ses longs cheveux gris tirés en arrière afin de lui permettre de lire correctement.
— Je termine mon chapitre, ça te laissera le temps d’inventer une excuse, fit-elle sans même lever les yeux vers moi.
Je soupirai mais éloignai une chaise de la table à manger pour m’assoir.
Que pouvais-je dire pour qu’elle me lâche ? C’était ma vie, je faisais ce que je voulais. J’avais toujours eu de bonnes notes à l’école, c’était encore le cas, je n’avais jamais amené de problème à la maison ; ni de garçons ; alors elle devait bien me laisser un peu de liberté !
Ma mère referma son livre lentement, se penchant ensuite en avant pour le poser sur la table basse, elle croisa ses mains avant de me fixer de ses yeux bleus.
— Où et avec qui tu étais je m’en fiche, tu le sais, commença-t-elle, mais ce qui m’insupporte c’est l’heure à laquelle tu rentres.
— Et qu’est-ce que ça peut te faire ? répliquai-je, minuit ou deux heures du mat’ t’es juste censé dormir toi.
— On ne parle pas de moi mais de toi Clara, tu as déjà été chanceuse qu’il ne t’arrive rien la dernière fois.
— Je me suis excusée, ça ne sert à rien d’en reparler.
— Tu t’excuseras aussi lorsque tu te feras violer au milieu de la rue ?
Je restai muette. Bien sûr, elle parlait encore de cette histoire. J’avais traîné très tard dans Paris avec une amie, nous avions croisés un groupe de garçons et avions eut de la chance de courir plus vite qu’eux. J’ignorais comment elle avait été au courant puisque mon amie avait juré ne rien avoir dit.
Ma mère se leva du canapé pour s’approcher de moi.
— Je m’inquiète pour toi Clara, je t’aime plus que tout au monde, c’est mon rôle de te protéger, fit-elle.
— Tu le fais un peu trop.
— Le jour où il t’arrivera quelque chose de grave tu y repenseras à deux fois.
Malgré l’autorité dans sa voix à cet instant, elle sourit.
— Va te reposer, tu dois profiter de ta journée demain.
— Profiter ? Comment ça ?
— Surprise lundi, tu verras.
Elle partit sur ça, s’enfermant déjà dans sa chambre près de la porte d’entrée.
Une surprise ? Ma mère ne me faisait jamais de surprise.
Je me laissai tomber sur mon lit en soupirant.
Qu’est-ce que je foutais ? Elle était la seule personne au monde qui ne m’abandonnerait ou ne me trahirait pas et moi je me la mettais à dos.
Que ce soient les garçons que je côtoyais, mes amies ou même mon fichu père, tous finissaient par partir. Enfin, selon ma mère ce n’était pas exactement le cas, lui ne nous avait pas abandonné, mais c’était une autre histoire.
Elle avait raison dans un sens, la nuit était dangereuse. Je n’avais vraiment aucune envie de me faire violer. Il m’était déjà difficile d’éprouver du plaisir avec certain mec des bars, alors un viol, non merci. En soit, rentrer plus tôt, je pourrais accepter cette contrainte, il me suffisait de trouver un gars qui me plaisait et assez soul pour m’emmener chez lui avant minuit. C’était simple.
Après m’être déshabillée je m’installai sous mes draps et me mise à fixer mon plafond.
Une surprise. Pour mes dix-huit ans ? C’était dans un mois encore, ça ne devait pas être ça, ou bien c’était un cadeau dont elle n’avait pas choisi la date de livraison ou quelque chose comme ça.
Une voiture ? J’avais déjà mon permis provisoire, posséder mon propre véhicule et pouvoir conduire seule serait le meilleur des anniversaires. Mais ça ne collait pas du tout à la discussion de ce soir. Elle ne m’offrirait pas ça aussi facilement avec la peur que je rentre tard la nuit.
Quoi d’autre ? J’ignorais encore comment elle faisait pour me trouver des trucs intéressants chaque année. Un petit ami sérieux, ça ce serait génial, mais il était hors de question qu’il soit choisi par ma mère. Même si nous nous entendions bien, niveau mec je n’étais pas certaine de partager ses goûts, en fait, je ne les connaissais pas ses goûts, je ne l’avais jamais vu avec un homme, à croire que mon père la hantait.
Je me tournai sous mes draps, m’installant sur le côté pour mieux dormir. Plus vite je passais la nuit, plus vite je saurais la vérité sur cette surprise.
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