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De Bayonne, je parcourus les rues, me mêlant à la foule, aux effluves des échoppes, à l’ambiance chaude. Régnait ici une atmosphère particulière, décontractée et avenante, à l’image des fêtes qui embrasaient la ville quatre jours durant. L’impact des festivités se condensait dans les habitants, rires et chants se propageaient d’une année sur l’autre. Je redécouvris cette ville interdite pendant trente ans, je fus bien à flâner le long des remparts, puis à border la Nive, à éprouver cette vie autour de moi. J’y goûtai presque anormalement, comme un besoin longtemps maîtrisé faute d’une liberté contrainte par un seul nom. Sereine, enfin ! Mais l’étais-je vraiment ? J’avais senti Gérard Batbedat ballotté entre un lourd passé et ses aspirations futures. Certes, il refermait des placards remplis de fantômes et rayait des lignes, mais sa manière d’opérer m’avait mise en porte-à-faux. J’avais menti afin de me tirer d’affaire et il le savait. Combien de temps avant qu’il ne bascule du mauvais côté ? Un mois, un an ? Peut-être jamais ! Serais-je encore et encore obligée de fuir ? À croire que ma vie se résumait à ce mot.


Je remarquai, arrivée aux halles, du monde attablé aux diverses terrasses des restaurants et jetai un coup d’œil à ma montre. Les aiguilles indiquaient midi passé. Je n’avais pas faim et retournai à ma voiture. Assise derrière le volant, mon téléphone sonna.

— T’es où, ma belle ? interrogea Nathalie.

— Je ne sais pas si je dois te le dire !

— Pas chez toi si je comprends bien. Je te demandais parce que là, je pars déjeuner, Dan m’attend. On aurait pu s’y retrouver.

— Pas aujourd’hui ! Et je ne passerai pas à la galerie cet après-midi. J’espère que ça ne te dérange pas.

— Toi, t’es dans les bras d’un homme !

Je rigolai.

— Pas du tout. Je pensais à un truc ! Tu ne veux pas venir à ma cabane ce soir, je t’invite à dîner ?

— D’accord ! Mais je ne sais pas où est cachée ta maison.

— Je t’enverrai des points GPS, tu n’auras qu’à les rentrer sur Maps.

— Je te ferai dire que je suis galeriste, et non ingénieur en informatique. J’ai rien compris de ce que tu baragouines !

— Demande à Dan, il t’aidera. Ou l’un de ses jeunes employés !

— Ne fais pas la maligne, t’es plus vieille que moi ! Tu me raconteras où et avec qui t’as passé la journée ?

— Yep ! Je t’attendrai en bordure de route.


Dans l’après-midi, j’escaladai la dune derrière ma maison, envie de voir et de sentir l’océan. Je grimpai pieds nus la pente raide, le souvenir de Marc, me tenant la main, m’aida à avancer. Je m’assis au sommet, face au bleu nous séparant, la tête vide, ouverte au vent du large, mais aux pensées emplies de toi. Je t’imaginai flamboyant, courant à droite puis à gauche, menant avec brio ta cohorte de passionnés, prêtant assistance à Géant, Janet et James. Jamais tu ne ployais, toujours fort, debout, prêt à en découdre, pic levé, contre ce mur d’incompréhension que j’ai laissé. Tu le briseras, le temps, notre pire ennemie, efface tout.

Une vibration suivie d’un « gloup » me tira de mes réflexions. J’attrapai mon téléphone, Nathalie avait envoyé un message :

« Je pars de la galerie, arrivée à tes points gépéesse dans 15 minutes. »

Mais quelle heure était-il ?

19.00 ! Mince, je n’avais pas vu s’écouler les heures. Je me levai d’un bond, puis dévalai la dune. Par deux fois, je perdis l’équilibre et roulai dans le sable. En bas, je chaussai mes tropéziennes et partis en courant. J’avalai le chemin, passa en trombe à côté du pin courbé, engloutis le petit monticule couvert de fougère. J’arrivai éssoufflée au niveau de la route au moment où le véhicule de mon amie déboulait. Je lui fis signe de se garer un peu plus loin.


Après deux bises, nous empruntâmes le sentier le plus court afin de rejoindre ma cabane. Nathalie s’étonna de la sinuosité de la piste et me dit que jamais elle ne retrouverait la bonne voie pour rentrer de nuit. Je répondis qu’elle pouvait dormir à la maison, elle ne refusa pas. Nous sortîmes de la forêt, puis longeâmes la dune. À l’approche de l’habitation, je la laissai passer devant, à sa vue, elle stoppa, stupéfaite.

— Voilà mon coin de paradis.

Elle bredouilla quelques mots incompréhensibles, puis m’attrapa par un bras.

— Viens, dis-je, une bouteille patiente.

Ses yeux se posèrent partout, elle toucha le bois de l’ossature, les rares meubles, les objets. Je la regardai se mouvoir de pièce en pièce, apprivoiser l’espace restreint de la cuisine, celui convivial du salon. Elle se tourna vers moi.

— Je comprends que tu aimes cet endroit, c’est inattendu, magnifique. Je crois que je pourrai vivre ici aussi.

— Cela impose des contraintes, tu sais !

— Je me doute. Vite oubliées, non ?

— Oui. Tu veux un verre de vin ?

— J’allais te le demander.

— Allons le déguster sous les pilotis, il y fait meilleur. S’il te plaît, prends les deux chaises, je m’occupe de la table pliante.

Nous bûmes une gorgée et grignotâmes des gressins. Je devinai, à son regard, l’envie de savoir ce que j’avais fait de ma journée. Je ne la fis pas attendre plus longtemps.

— J’étais à Bayonne ce matin. Et seule, pour répondre à ta question de midi.

— Ah ! J’aime beaucoup cette ville, mais pas à cette période, y a trop de touristes. Tu espérais te changer les idées ?

— Je voulais rencontrer une personne.

— Un homme, je parie !

— Effectivement, mais pas pour ce que tu crois.

Nathalie me regarda, l’air surpris.

— Arrête tes cachotteries ! Dis-moi qui c’est. Je le connais ?

— Un peu.

Elle comprit sur l’instant.

— Ne m’annonce pas que t’es allée voir ce Batbedat ?

— Si !

— Mais tu es folle, ma fille ! Tu ne connais pas ce type et ses intentions, il aurait pu te faire, je sais pas moi, n’importe quoi ! T’enlever même !

— Cela n’a pas été le cas !

— Ben oui, t’es là ! Par prudence, tu aurais pu me demander de venir avec toi, à toutes les deux…

Elle ne finit pas sa phrase, consciente peut-être de l’envolée du ton. Je souris, elle prit ma main.

— Excuse-moi, je m’emporte comme une idiote ! Toi seule devais le rencontrer, vous aviez à parler. Le principal, c’est que tu sois là. Bon, ne me fais pas languir, raconte.

Je narrai l’entrevue, ses questions, mes réponses, le côté mi-ombre, mi-lumière de l’homme, le fait que j’étais sûre qu’il n’avait pas cru à mon histoire.

— Tu parles des deux types bizarres ? intervint Nathalie.

— Ceux-là, oui.

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