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Les semaines suivant le mariage avaient été denses par le nombre de clients, et difficiles à cause de chaleurs excessives. De mémoire, Marc n’avait pas connu un tel ensoleillement aussi long, cela l’avait chagriné. La végétation souffrait, l’herbe, d’habitude verte, avait viré au marron en un clin d’œil, certains pins n’avaient pas résisté. Souvent, des mooses et des ours venaient s’abreuver au lac. Si cela avait émerveillé les visiteurs, nous avions pris des mesures afin d’assurer leur sécurité. Du travail en supplément, sans compter qu’à plusieurs reprises, Marc avait dû traiter les abords de l’Ethel, sans quoi les moustiques auraient eu raison de nous. Avec géant, ils avaient multiplié les sorties en randonnées et s'en allaient, parfois plusieurs jours d’affilée, dans les collines. Les marcheurs espéraient dénicher un peu de fraîcheur en grimpant, tous rentraient cramés et sur les rotules, mais heureux. Nous, les traits tirés, passions notre journée de repos hebdomadaire à dormir, une coupure méritée qui nous permettait de repartir de plus belle. Seul John, dans ce cycle infernal, avait trouvé une raison de ne pas se détendre. Christie, embauchée afin de le seconder aux canoës, n’y était pas étrangère. Le charme, entre ces deux-là, avait agi dès les premières heures, ils ne se quittaient plus. Janet et Géant se voyaient en miroir dans l’amour naissant de leur second fils, en cela, mes amis étaient les plus heureux du monde.

Moi, avec le temps libéré par Christie, je m’occupais des chiens. Matins et soirs, je les déplaçais de l’enclos de leur niche, à un autre construit à la hâte sous le couvert protecteur d’arbres. Les bêtes, malgré cela, enduraient un calvaire, mais toutes s’en donnaient à cœur joie, lorsque, à la nuit tombante, je fixais leur harnais à un traîneau à roulettes. Nous partions, pour une heure, dans une folle course. Je prenais une fois par semaine le volant du pick-up de Géant, puis ralliais Stewart Crossing. Le surplus de clients obligeait à un ravitaillement plus fréquent et important. Les cartons de victuailles et de matériel s’entassaient dans la benne. Chargé à la gueule, le tacot hurlait sa plainte à la moindre bosse, au plus petit trou. Mais l’engin résistait. Un matin, le remplaçant du chef de police, un jeune blanc-bec arrogant, m’avait arrêtée au prétexte que la bagnole n’avait plus le droit de rouler. Sans papier sur moi, j’avais fini au poste et presque dans une cellule. Je n’avais dû mon salut qu’à l’intervention d’un des agents que nous connaissions, mais le pick-up n’avait pu quitter le garage du réparateur d’autos local. Un mineur m’avait raccompagnée à Sether Creek, il était revenu la semaine suivante afin que je puisse faire les courses. Je l'avais récupéré quinze jours plus tard, presque neuve, l’antique caisse de mes amis. Depuis, jamais je ne me déplaçais sans mon passeport.

L’été, chaud aussi, avait vu de nombreux feux dévastateurs dans le sud du Yukon. Par chance, les incendies n’étaient pas montés jusque chez nous. Parfois, les fumées nous incommodaient, mais nous avions continué à travailler. Les journées s’étaient succédé, longues et harassantes, nous n’avions pas besoin de berceuse pour nous endormir. Mais nous étions heureux de cette vie fourmillante de rencontres, pour rien je n’aurais donné ma place. Puis, l’automne avait déversé ses pluies salvatrices, autant pour la nature que pour nous. Le mauvais temps avait entraîné une baisse de fréquentation, nous avions pu d’abord souffler un peu, puis nous atteler à l’entretien des installations. Nos rangs comptant une personne de plus, nous avions vite avalé le travail. Christie n’avait pas rejoint Vancouver, sa ville natale. Sa vie était ici maintenant, au bord de l’Ethel, entourée de collines et de pins, mais surtout des bras de John.

Un matin de novembre, le paysage avait changé. L’hiver, comme l'année précédente, avait frappé sans prévenir, en quelques heures, une épaisse couche de blanc était tombée. La saison débutait dans une semaine, les flocons étaient à l’heure et en quantités. Cela avait arrêté les travaux de constructions de la maison de Christie et John. Mon charpentier de mari reprendrait l’assemblage aux beaux jours, pas avant plusieurs mois. Avec Géant, ils préparaient les motoneiges et du matériel d’élagage lorsque je les avais rejoints. Marquer une première trace s’avérait indispensable, couper les branches qui entravaient les chemins aussi. Après deux bises, ils avaient enfourché leur engin, j’avais eu un pressentiment en les regardant disparaître au détour d’un virage. Ils ne rentreraient que tard le soir, à la nuit tombée, c’était peut-être la dernière fois que je les voyais. Mon cœur s’était serré à rompre, un étourdissement m’avait obligée à me tenir à un poteau du garage. Reprendre mes esprits m’avait demandé du temps, je ne m’expliquais pas ce début de malaise. Peut-être la fatigue, ou ce froid soudain. Les aboiements des chiens, devenus pénibles, m’avaient rappelée à mon devoir, la charge de m’occuper d’eux m’incombait. Un peu de neige au visage m’avait revigoré, je passais dire bonjour à Janet, Christie et John, puis me dirigeais vers l’enclos. Vasco, Magellan, Colomb et toute la clique ne tenaient pas en place, tous avaient envie de mordre la poudreuse. J’avais harnaché huit d’entre eux à un traîneau, puis les avais emmenés se dépenser sur la piste descendant à Stewart. Une heure trente à courir sans relâche, avait calmé leur ardeur, c’est langue pendante qu’ils avaient retrouvé leur niche. Je recommençais ensuite avec sept autres, mais pas avec Vasco. Janet avait besoin de conserves, le chef de meute me conduirait jusqu’au magasin tenu par Myriam, l’aller-retour n’était pas un problème pour lui.

J’avais observé, en rentrant, la trace d’un scooter des neiges. L’empreinte de sa chenille marquait davantage la piste, j’en avais conclu que deux personnes la chevauchaient. Pourtant, en arrivant à Sether Creek, l’engin n’était pas là, j’avais pensé que le pilote et son équipier avaient filé au bord du lac. D’habitude, Janet se précipitait à ma rencontre afin de m’aider à décharger, pas ce jour-là. Sans doute était-elle aux chalets, mais où étaient Christie et John ? Sous une couette ? J’avais souri à cette idée. J’avais planté le frein du traîneau, puis avait caressé Vasco. Il ne semblait pas essoufflé, ce chien possédait une force hors du commun. J’étais entrée chez mes amis et les avais appelés. Je n’avais reçu aucune réponse. J’avais pensé à l’appréhension ressentie le matin et m’était précipitée dehors en criant leurs prénoms. Seul un écho glacé m’avait répliqué. Je courais au garage, aux chalets, puis à l’abri des canoës. Personne ! De nouveau, j’avais tressailli. Que se passait-il ? Je filais à la maison. De la lumière filtrait par la baie vitrée, mes amis m’attendaient. Un reflet avait attiré mon attention alors que je grimpais les quatre marches. Une motoneige était là, dissimulée derrière un arbre. Et ce n’était pas celle de Marc.

D’un coup, la porte coulissa, libérant un individu revêtu d’un bonnet et d’une écharpe. Bousculée, je tombais à plat dos. Une poigne ferme m’avait agrippée par mon blouson, puis relevée sans ménagement. L’homme m’avait poussée dans la pièce, son partenaire, visage découvert, avait souri. Un des deux sbires de Batbedat se tenait devant moi avec un flingue.

« Toi, on peut dire que tu nous auras fait voir du pays ! », s’était-il exclamé. « Mais cette fois, tu ne nous échapperas pas. »

Derrière lui gisait John, inconscient. Une plaie marquait son front. Dans un coin, les mains attachées, Christie pleurait, à ses côtés, Janet, ligotée aussi, n’était que rage. Elle me cria : « Run away, run away ! » en se levant et en fonçant sur eux. Surpris, le zigoto au flingue n’avait pu éviter la charge, il s’était retrouvé cul par-dessus tête et avait lâché son arme. L’autre s’était précipité à son aide, j’en avais profité, comme me l’avait hurlé Janet, pour m’enfuir.

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