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Le lendemain, je raccompagnai Nathalie à sa voiture. Nous avions discuté toute la nuit, bu aussi. Deux bouteilles de vin y étaient passées. Elle m’avait écoutée, consolée, comprise. Je n’avais pas d’autre choix que de partir et de laisser Marc et mes amis. Ma présence n’aurait causé que dégâts, la complicité me reliant à Janet et sa famille aurait explosé, mon couple se serait disloqué. Pourtant, au fond de moi, je savais le ciment qui nous liait et le pensait indestructible, mais ce que j’avais fait avait entamé l’agrégat. Aurions-nous pu continuer à nous regarder en face sans arrière-pensées ? Je n’avais pas de réponse à cela et n’en aurais jamais. Tant pis ! Le vent porterait encore quelque temps la saveur de ces mois passés à tes côtés, puis il balayerait mes souvenirs, comme autant de feuilles mortes. Je m’en persuadai en rentrant à la cabane. Me pardonneras-tu ?

Je préparai un café serré puis regardai par la fenêtre de la cuisine. Le ciel se chargeait de nuages et conférait un contraste au vert des pins et aux marrons de leur tronc. L’envie subite de peindre me prit. J’attrapai mon chevalet, mon sac de gouaches et de pinceaux, puis me positionnai face à ma maison. J’en traçai les contours, esquissai la dune dévorante, les arbres majestueux. Arrêter ma main me fut impossible tant je puisai dans son mouvement une sérénité nouvelle. Je l’estimai illusoire et trompeuse, salutaire aussi. Je me pris à rêver à ce temps béni de ma jeunesse et de son insouciance, celui où tout était réalisable, où rien n’entravait mon destin. Et si le moment était venu, après toutes les péripéties de mon existence, de ne me consacrer qu’à la peinture ? Je savais pouvoir en vivre modestement, je n’avais pas besoin de plus. Ici, je disposai de tout. Un toit, l’océan, une amie… ma solitude. Oui, rien d’autre. Un pincement étreignit mon cœur. Me pardonneras-tu ?


Mon téléphone vibra, je plongeai ma main dans ma poche. C’était Nathalie, un message. Je regardai l’heure, l’après-midi était entamée, je n’avais pas vu le temps passé.

« Ma chérie, peux-tu venir ? C’est jour de foule, je n’y arrive pas toute seule. »

La galerie débordait de monde, je me frayai un chemin jusqu’à mon amie. Son sourire m’illumina, elle m’embrassa sur les joues puis m’attira à l’écart.

— C’est la cohue depuis tout à l'heure. Des gens viennent de Bordeaux et même de Toulouse pour admirer tes toiles. C’est grâce à l’article paru ce matin ! Tu l’as lu ?

— Non, je peignais !

— Génial ! Tu me montreras ?

— Lorsque j’aurai terminé. Tu as le quotidien quelque part ?

— Sur la table de la cafetière. Feuillette-le, moi, je retourne sur la piste !

Elle partit en mimant des pas de danse.

La chronique ne tarissait pas d’éloges, le journaliste ne mentait pas lorsqu’il disait qu’il avait aimé l’exposition. Cela me réconforta sur mes capacités à exprimer ma peinture et sur ma réflexion de tout à l’heure. Je pouvais y arriver. Je posai le journal au moment où un homme engagea la conversation.

— Vous êtes Caroline ?

— C’est moi, oui.

— Je ne sais pas si vous me remettez, je suis Thibaut Demaire. Je tenais la galerie « Demaire et Jannet » à Bordeaux, nous exposions souvent Jorgy. Vous œuvriez avec lui si je ne m’abuse ?

— En effet. Je me souviens de vous et de la dame qui vous accompagnait. C’est avec votre aide qu’il a percé.

— Sans talent, point de reconnaissance ! Nous avons donné un coup de pouce, comme le fait aujourd’hui le journaliste à votre égard. Son article vous met en lumière, je ne pouvais pas partir sans jeter un œil à vos tableaux. Vous avez une patte, vraiment ! Voilà, je serai direct, Caroline. Avec mon épouse, nous possédons une galerie à Montréal et une à Vancouver, je voudrais que vous veniez avec deux ou trois toiles afin de les présenter. Bien sûr, cela ne serait qu’un début, pour estimer le ressenti de mes clients. Je n’ai pas de doute sur les retours qu’ils me feront, les Canadiens sont friands de nouveauté, votre style plaira. Bien sûr, je prendrai en charge tous vos frais. Tenez, voici ma carte ! Je vous prie de m’excuser, je dois filer. Mon avion décolle ce soir, je suis affreusement en retard.

Je restai coite avec sa carte entre mes doigts. Il fit deux pas, se tourna.

— N’hésitez pas à m’appeler, Caroline, et venez quand vous voulez !

Il disparut. Je me demandai si ce type n’était pas une apparition, il avait surgi de nulle part et c’était évaporé aussitôt. Ou alors c’est moi qui n’étais qu’un réceptacle à mes envies, et qui l’avais créé. Pourtant, je tenais son bout de carton. Je le portai à mes yeux.

« Janine et Thibaut Demaire, galeristes. 1420 rue Sherbrooke, Montréal. 1672 Marsh street, Greektown, Vancouver »

Nathalie se faufila.

— T’en fais une drôle de tête ! Tu le connais ce gars ?

— Pas vraiment ! C’est lui qui avait découvert Jorgy, maintenant, il tient une galerie à Montréal et Vancouver. Il veut que j’y aille exposer.

— L’enfoiré, il vient frayer chez moi pour me piquer ma peintre ! Manque pas de culot celui-là !

Elle avait parlé fort, afin que tout le monde comprenne qu'elle était furax. Mon amie avait des dons de comédienne. Je souris. Elle s’approcha et me chuchota à l’oreille.

— Je râle pour la forme ! Ça me fait un plaisir tu peux pas imaginer, je suis heureuse pour toi ! T’as intérêt de saisir ta chance, sinon, tu entendras parler de moi.

— C’est au Canada.

— Ah oui, mince !… Prends le temps de réfléchir, rien ne presse.


Réfléchir ! À quoi ? À une vie trépidante entre deux avions, deux pays ? Non ! Les années avaient lissé mes rêves de jeune femme, je ne les reniais pas, mais mon existence avait été assez mouvementée. J’aspirais maintenant au calme de la forêt et de ma maison. Je pourrais exposer à Bordeaux, à Toulouse ou dans de proches agglomérations, mais Montréal ! La ville de mon départ. Le sort, parfois, avait le génie de te retourner et de s’acharner sur le point douloureux. Là était mon côté réaliste, celui qui ne voyait que souffrance et oubli. L’autre, le romantique, je me refusais, depuis huit mois, à le laisser s’exprimer. Pourtant, à l’évocation de Montréal, du Canada, je sentis poindre une envie de tout balancer et de partir, là-bas. Un mot me vint à l’esprit, celui qui souvent frôlait tes lèvres et pétillait dans ton regard lorsque tu le prononçais : recommencer. Tu en avais fait ton leitmotiv, nous deux en étions une composante. Indissociable. Liés à jamais.

La tête me tourna, je trouvai une chaise et m’assis. Je n’étais qu’une idiote, une femme égarée dans ses certitudes absconses. J’étais terrifiée de vous perdre, mes amis et toi. Bien sûr que nous pourrions continuer à vivre ensemble et à nous regarder dans les yeux, parce que ce qui nous mêle est plus fort que tout et tient en cinq lettres : amour.


Je me levai et sortis en courant. Je n’avais pas effectué trois pas que j’entendis Nathalie.

— Tu ne vas pas me faire le coup de te barrer à chaque fois !

— Non, je reviens ! criai-je.

Je filai jusqu’à la plage et ne m’arrêtai que lorsque l’eau m’arriva à mi-cuisses. Mon regard se posa sur l’horizon.

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