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Nathalie s’affairait dans l’arrière-boutique de sa galerie. Ses mains, dans un ballet chorégraphié, emballaient les toiles vendues, virevoltaient entre le dévidoir de sctoch, les ciseaux et le film à bulles. D’un mouvement précis, elle étalait, coupait, retournait puis apposait le ruban adhésif. Elle chantait aussi. On aurait une danseuse ou une soprano répétant un morceau incompréhensible. Je n’osai la déranger et attendis qu’elle remarque ma présence. Lorsque ses yeux se posèrent sur moi, elle vint à ma rencontre, me serra fort.

— Comment vas-tu aujourd’hui ? me demanda-t-elle en me laissant respirer.

— Mieux, merci !

— J’empaquetais les tableaux, cinq en tout ! Te rends-tu compte, jamais je n’avais connu un tel démarrage. On apprécie beaucoup ta peinture.

Je souris. Sa bonne humeur et son enthousiasme me firent chaud au cœur. J’allai lui poser une question, elle me devança.

— Je voulais te dire un truc, enfin non, deux ou trois, mais on verra après. N’hésite surtout pas si tu as besoin d'argent. Les clients ont versé des arrhes, dont un en liquide. Ce type a sorti de sa poche une liasse de billets épaisse comme un pastis*, j’ai les yeux qui ont tourné, on aurait dit une caisse enregistreuse.

Elle partit dans un éclat de rire en se dirigeant vers son bureau. Je la suivis en rigolant aussi. Nathalie déverrouilla un tiroir, puis un petit coffre métallique. Elle en extirpa les coupures.

— Regarde, tout neufs qu’ils sont ! Ce gars est venu exprès de Bayonne pour voir.

— Bayonne ? tiquai-je.

— Oui ! Un certain monsieur Batbedat.

Je défaillis.


Je me réveillai assise dans un fauteuil, quatre yeux me scrutaient. Ceux de Nathalie et ceux du pharmacien de l’angle de la rue.

— Vous avez fait un malaise vagal, rien de méchant. Ne vous inquiétez pas, mais je ne peux que vous conseiller de consulter un docteur afin qu’il vous prescrive une prise de sang. Passez me voir lorsque vous aurez retrouvé tous vos esprits, je vous donnerai de quoi vous booster un peu.

Sur ce, il prit congé. Je le remerciai d’une petite voix.

— Ben, toi, tu peux te vanter de m’avoir fichu une sacrée trouille ! s’exclama Nathalie. T’es tombée comme une crêpe.

— Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’est arrivé.

— Ta ta ta, pas de ça avec moi ! J’ai dit le nom de ce type et boum ! Tu le connais ?

Je la regardai. Sa voix et son visage se paraient plus d’inquiétudes que d’interrogations. Je compris que le temps des explications était venu.

— Je croyais qu’il était en prison, ou mort !

— Mort ? Mais bon dieu, ce gamin à trente-cinq ans a tout casser, ça fait un peu jeune pour en faire un mort !

J’ouvris de grands yeux. Nous ne parlions pas de la même personne, mais de son fils ou petit-fils. Si j’en fus soulagée, cela ne dura qu’un instant. Ce gamin, comme disait Nathalie, n’était pas venu par hasard, sa présence signifiait qu’il avait repris le flambeau, les chiens ne faisaient pas des chats. Ce matin, j’avais déterré le coffre, au-delà de ma bêtise, j’y vis un signe, un présage sombre. De nouveau, une épée de Damoclès se tenait au-dessus de ma tête, sur le coup, je ne me sentis pas les épaules pour la supporter. Fuir ! Devais-je encore fuir ? Oui, mais je n’avais nulle part où aller.

— Je dois partir, Nathalie. Cet homme ne me veut pas du bien, il te fera du mal aussi.

— Alors là, je souhaiterais bien voir ça ! Je ne suis pas femme à m’écraser devant le premier venu, fut-il le pire des gredins. Enfin, je ne sais pas si c’est un voyou, mais il a une gueule d’ange. J’en croquerai un morceau pour quatre heures, moi ! dit-elle en clignant d’un œil.

Je ris. Décidément, mon amie avait un don pour m’extraire les sourires.

— Et tu veux aller où ? interrogea-t-elle. T’es pas bien à Contis ? C’est le plus beau pays du monde.

— Un des plus magnifiques, oui.

— Bon, arrête de me faire des mystères ! Tout à l’heure, je te disais que j’avais deux trois trucs à te demander, c’est un peu indiscret, je l’avoue, mais tu ne crois pas que le moment est venu de me parler de toi ?

J’approuvai de la tête.

— Tu peux marcher ?

Je me levai et fis quelques pas.

— À la bonne heure, te voilà requinquée ! Allez, on va chez Dan, c’est un vieux pote, on y sera dans l’intimité.

En sortant, elle saisit une ardoise qu’elle pendit à la porte. Dessus, elle écrivit : « Je reviens dans 1 heure. Peut-être 2 ou 3. »


Dan contourna le comptoir, claqua trois bises à Nathalie, puis me salua. Tout en lui respirait les racines landaises, ses joues rondes, ses bras puissants, ses paluches énormes, sans parler de son ventre. Sa bonhomie m’inspira confiance. Mon amie lui parla à l’oreille, il nous attira au fond de son bar et nous installa dans une alcôve isolée.

— Ici vous serez tranquille ! Je vous apporte des rafraîchissements, et pour vous, madame, une assiette de confits dont vous me direz des nouvelles.

Je m’apprêtai à refuser, il insista.

— Vous devez manger, vous êtes plus blanche qu’un linge et plus maigre qu’un coucou !

Blanche peut-être, maigre, il y allait un peu fort.

Il revint cinq minutes plus tard avec deux gamelles fumantes qu’il déposa sur la table. Nathalie le regarda, surprise.

— Si tu croyais que j’allais t’oublier, ma chérie, c’est que tu me connais mal !

Elle posa sa main sur l’avant-bras de Dan.

— Merci, tu es un cœur ! Dis-moi, ça te parle un certain Batbedat ?

— Claude ?

— Oui, dis-je.

— Cette crapule est crevée en taule au début de l’année, j’espère que le diable s’occupe de lui. Vous saviez qu’il avait essayé de me racketter ? Ses deux larbins sont partis de chez moi plus vite qu’ils n’y étaient entrés quand ils ont vu la pétoire que je cache derrière le comptoir. Deux grands types fringués comme à la kermesse avec des pompes italiennes à mille balles. Plus rapide que des lapins le jour de l’ouverture de la chasse ! Enfoirés de Bayonnais, jusqu’ici, ils viennent vous faire chier !

Nathalie me regarda.

— Tu avais raison, celui-là est décédé. Il a un fils, ce Claude ? demanda-t-elle à Dan.

— Une fille, je me rappelle plus son prénom. Paraît qu’elle était plus rêche qu’une pierre à poncer, pire que son père. Elle aussi est morte, peu de temps après lui. On raconte que c’est de chagrin, tu parles ! M’est avis qu’elle a plutôt pris une décharge de plomb ! Pourquoi tu me demandes tout ça, t’as des soucis avec cette famille ?

— Hier, un type d’une trentaine d’années est venu à la galerie, il a acquis un tableau et a payé une partie en cash. Il m’a dit s’appeler Batbedat.

— C’est le petit-fils, Gérard, je crois. Un brave gars, soi-disant, qui désirerait racheter une conduite à son patronyme. D’après ce qu’on raconte, il aurait repris les affaires du vieux afin de les liquider une par une. Mécénat, aide à droite, à gauche, il a aussi fait construire une maison pour les jeunes du côté du port de Bayonne. M’étonnerait pas qu’il veuille se lancer dans une carrière politique. Y en a qui doutent de rien. À voir. À votre place, je me méfierais un chouia.


*Pastis : gâteau traditionnel landais. Pastis vient du mot gascon pâte.

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