Chapitre 6
Heureusement que le vaisseau de Rune possédait l’hyperespace, sinon Rody serait passé par-dessus bord depuis bien longtemps. Grâce à cette technologique qui permettait de se déplacer à plusieurs fois la vitesse de la lumière, elle rejoignit la planète d’Avracham en un rien de temps. Elle supportait encore la musique qui hurlait à travers les haut-parleurs du vaisseau, ne lui laissant pas le loisir de faire une sieste.
Elle pouvait le sermonner d’arrêter, il continuait son trip de plus en plus intensément. Il se mit à bouger la tête dans tous les sens en imitant un guitariste. Alors que Rune essayait de garder son calme pour éviter de lui crier dessus une fois de plus, il s’assit à ses côtés pour lui avouer son envie de jouer d’un instrument.
Perplexe, Rune lui demanda ce qu’il attendait pour se lancer. Il avait tout le temps devant lui pour ça. Contrairement aux humains, il jouissait d’une vie quasiment illimitée. Bon, elle lui rappela que ses circuits vieillissaient eux aussi et que, sans maintenance, il finirait à nouveau dans une décharge.
Une honte la submergea quand elle lui parla de cette manière, mais qu’importe. Rody ne possédait pas de sentiment capable d’être vexé par ce qu’elle venait de lui balancer à la figure. Elle lui promit de dénicher un logiciel d’apprentissage à la musique rien que pour lui. Rody la remercia en la prenant dans ses bras, non sans lui broyer les os. Rune le repoussa gentiment, acquiesçant d’un hochement de tête, puis il partit en entamant sa danse de la joie.
Rune profita de ses derniers instants de solitude pour faire un inventaire de son armement, jusqu’à ce que Rody l’appel. Elle le retrouva dans le cockpit et prit place sur son siège. Ils arrivaient en vue de la planète. Il fallait redoubler de prudence lorsqu’on approchait d’Avracham. Après tout, il s’agissait de l’étoile des pirates ! Composée à 90% d’eau, seul un continent immergeait de la surface pour permettre la vie. De belles plages, des jungles luxuriantes, le paradis de la galaxie ! C’était sans compter les innombrables canons cachés au fond de l’océan…
Il ne leur fallait que peu de temps pour sortir des eaux et détruire tout ce qui approchait. Pour éviter de finir en débris flottant, Rune arrêta le vaisseau et transmit son code personnel que lui avait confié leur chef. Grâce à ça, les satellites aux alentours envoyèrent des signaux à Rune pour l’autoriser à se rendre sur la surface.
Elle reprit sa route jusqu’à sa maison. Située au bord de la plage, elle se situait en retrait par rapport aux restes de la ville de Kalao. Rune atterrit sur une petite place prévue pour son vaisseau, puis elle en sortit à la hâte.
Sentir la chaleur de la naine jaune abreuver Avracham de ses rayons, le vent marin qui soufflait en caressant la chevelure d’émeraude de Rune, le bruit des vagues au loin et les quelques oiseaux blancs virevolter aux alentours, était toujours aussi relaxant.
Rune prit une grande bouffée d’air frais. Elle pouvait humer le parfum des algues de là où elle se trouvait. Elle resta là quelques instants, devant ce paradis au ciel bleu sans nuage. Elle sourit, sachant qu’elle passerait quelques jours dans cette maison qu’elle pourrait qualifier de « lieu de vacances ».
Sa petite maison attendait à une trentaine de mètres. Une construction aux couleurs du bois des palmiers qui s’étalaient sur toute la plage. En passant la porte d’entrée, elle pénétra dans une grande pièce de vie mêlée à une cuisine. Elle se sentit si bien en revenant ici. Elle avait la nette impression d’être chez elle.
Pourtant, la cheffe des pirates l’avait prévenu qu’elle ne pourrait pas rester indéfiniment. Rune refusait de rejoindre un équipage, préférant rester solitaire. Un geste que les flibustiers n’appréciaient que moyennement, car cela allait à l’encontre de leur devise.
Rune ne s’en préoccupa pas pour l’instant. Elle ouvrit la porte-fenêtre qui donnait sur sa terrasse. Faite d’un beau bois, elle donnait sur l’immense jungle d’Avracham. Une vue splendide sur un amas de palmier dont le vent chahutait les feuillages. Mais elle n’eut qu’une envie après avoir posé sa valise dans sa grande chambre : se baigner !
Elle enfila son bikini argenté et courut à l’extérieur, traversant la plage de sable fin. Elle se jeta dans cette mer turquoise, toujours aussi chaude grâce à la proximité de la naine jaune. Elle se mit à nager rapidement, se relaxant dans cet océan transparent. Rune se mit sur le dos et se laissa flotter, bercer par les petites vagues qui caressaient son dos. Les yeux rivés sur la voute céleste, aussi bleus que les flots de cette étoile, elle laissa ses pensées s’évanouir. Son stress se dissipa, ses muscles se relâchèrent. Elle soupira de soulagement, elle avait bien besoin de ça après toutes les missions qu’elle avait enchainées ces derniers temps.
– Yo, Rune !
Elle sursauta et se tourna vers la plage. Elle reconnut la silhouette à la peau noire de l’homme qui se tenait, bras croisé, sur le sable : Bardy Wallace. Il la scrutait à travers ses belles lunettes de soleil, tandis que les rayons de la naine jaune brillaient sur son crâne rasé et bien poli.
– Qu’est-ce que tu fais là, Bardy ? cria-t-elle.
– Je passe te dire bonjour !
Rune secoua la main.
– Salut, au revoir.
Bardy secoua la tête en ricanant. Rune continua de nager dans la mer, profitant de ce temps magnifique. Sur Avracham, des tempêtes de fortes puissantes pouvaient se déchainer sur l’unique continent. Même si elles restaient très rares.
– Tu es venu pour nous voir ? hurla l’homme.
Rune soupira. Son moment d’intimité semblait déjà se terminer. Elle retourna jusqu’à la plage en brasse, puis sortit de l’eau.
– Je suis venu me baigner, signala-t-elle.
Bardy se mit à rire.
– Alors, cette mission ? demanda-t-il.
Rune ne voulait pas parler boulot. Quand elle venait ici, c’était pour passer du bon temps et oublier tous ces problèmes, pas en discuter. Elle le fusilla du regard, puis haussa les épaules.
– C’était de la merde. Franchement, je t’avais dit que je ne voulais pas me mettre à dos ces espèces de félin complètement timbrés.
Bardy lui mit une tape sur l’épaule.
– Tu as l’air de t’en être tiré quand même, comme d’habitude.
Rune roula des yeux.
– Heureusement que c’était bien payé !
Ils restèrent un instant face à face, un silence s’installant entre eux. Rune désirait retourner dans l’eau et elle attendait que Bardy s’en aille, mais il avait l’air de vouloir rester.
– Tu peux retourner chez toi, maintenant, proposa Rune.
– Attends… dit-il en lui faisant signe de se taire.
Elle fronça les sourcils, perplexe. Rune croisa les bras, alors que la chaleur séchait déjà sa peau blanche.
– Salut Rune !
Bardy sourire de toutes ses dents.
– Les voilà !
Rune se pencha sur le côté pour voir derrière cette armoire à glace. Elle vit les trois personnes de son équipe se ramener avec une grande glacière. Ils arrivèrent jusqu’à eux, pressés de se mettre à table.
– Nous sommes prêts à picoler ! s’exclama une jeune femme à la chevelure rose, coiffée en couette.
Chloé Payet. Très gentille, mais impulsive et presque immature, elle semblait toujours aussi joyeuse et fêtarde. Vêtue d’un bikini elle aussi, elle arrivait dans une démarche provocante pour dévoiler sa fine silhouette à tout le monde.
À ses côtés, tenant la glacière qui faisait un bruit de verre lorsqu’elle se balançait, Zaz Dakora et Yuki Nomura la saluaient d’un geste de la main. Le premier était un trentenaire portant une simple chemise à fleurs ouverte sur son torse musclé. Toujours en pantalon ample, il marchait en tong sur cette grande plage, le vent faisant virevolter ses longs cheveux saphir.
La dernière paraissait dans la tranche d’âge de Chloé. Une Japonaise qui venait de Neo-Japan, la planète qu’avait colonisée le Japon après avoir quitté la Terre. Elle portait un kimono améthyste, même couleur que sa tignasse mi-longue qui balayait la partit droite de son visage.
Une belle bande de dingos, pour l’avis de Rune.
– On s’installe sur ta terrasse, ma belle ? demanda Zaz.
Rune posa les mains sur ses hanches et réprimanda Bardy.
– J’avais envie de rester seule…
– Bah t’es seul ! Mais avec nous.
Il lui mit une tape dans le dos et l’invita à le suivre. Ils s’incrustèrent dans sa maison, jusqu’à envahir sa terrasse. Rune ne s’était pas trompée. En ouvrant la glacière, elle découvrit un amoncellement de bière et de gâteaux apéritifs. Rune leur apporta des saladiers, puis les posa sur la petite table.
– Merci, lui dit Chloé en la détaillant du regard.
Elle avait oublié ce détail. Elle ne les côtoyait pas régulièrement, alors elle ne se souvenait plus des tendances lesbiennes de Chloé. Ses yeux désiraient son corps de rêve. Rune préféra s’installer à l’autre bout de la table, car même le dragueur de Zaz ne la scrutait pas avec autant d’envie.
Rune prit une bière et en but une lampée. Toujours aussi bonne, elle était brassée sur le continent par les pirates. On sentait les fruits qu’ils rajoutaient dans la préparation pour lui donner un léger gout. C’était franchement agréable, même si elle aurait préféré rester seule…
– Où est Rody ? demanda Zaz.
– Dans le vaisseau, signala Rune. Il est puni !
Tout le monde se mit à rire.
– Il écoute encore du métal à fond ? questionna Yuki.
– Toujours, soupira Rune. C’est fatigant…
– Tu devrais me le confier, lui dit Chloé. Je pourrais le réparer un peu ! Après, son programme est pas mal endommagé…
Chloé touchait à toute la mécanique depuis son plus jeune âge. Ses talents de mécano et d’informaticienne lui valurent une place de choix dans l’équipe de Bardy. C’était d’ailleurs la seule personne à qui elle confiait la maintenance de Rody.
– Pourquoi pas, répondit Rune. Tu pourrais lui mettre un programme d’apprentissage de la musique ?
Elle fronça les sourcils.
– Comment ça ?
– Il veut apprendre à jouer de la guitare…
Elle resta muette face à cette étrange demande.
– Je vais voir ce que je peux faire.
Rune leva sa bouteille pour la remercier. Ils continuèrent de manger ensemble. Rune ajouta une petite musique douce pour accompagner leur rigolade. Rune écouta les mésaventures subies par le groupe dans leurs dernières missions, puis elle poussa tout le monde dehors lorsque la naine jaune disparut au profit des ténèbres.
Elle s’allongea dans l’herbe le temps de scruter les innombrables étoiles qui s’emparaient de la voute céleste, puis sentant la fatigue la gagner, elle se décida à aller se coucher dans son haut lit bien moelleux. Rien à voir avec celui de sa navette !
Elle ferma les yeux et se laissa bercer par le sommeil.
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