06. Emménagement chez les beaux gosses
Lyana
J’ai beau avoir regardé Google Map et m’être un peu renseignée sur le village, m’y retrouver est encore autre chose. La rue principale est plutôt longue et encadrée d’habitations et de petits commerces. Il y a pas mal de voitures, mais j’arrive à trouver une place pas loin de la maison, où je me gare alors que Suzie rit à côté de moi. Je ne m’occupe pas d’elle et sors, descends Guizmo en laisse et me dépêche d’aller ouvrir le portail au camion des déménageurs. Je ne sais pas si louer cette maison était une bonne idée, mais d’après Pavel, il n’y a pas grand-chose de disponible dans le coin, alors je vais devoir m’en contenter. Mais l’idée de partager les lieux avec un autre locataire ne me réjouit pas des masses.
Après plus de deux heures de route, Guizmo est tout fou et saute sur l’agent immobilier qui m’attend devant l’entrée. Ce dernier, d’abord surpris, s’accroupit pour le caresser. Si ma boule de poils pouvait ronronner comme un chat, il le ferait sans aucune hésitation.
— Vous venez de vous mettre Guizmo dans la poche, souris-je en lui tendant la main. Lyana, enchantée.
— Arthur Degrove, pour vous servir, Madame. Le logement est prêt, je vous fais visiter ?
— Avec plaisir, mais je ne veux pas abuser de votre temps, vous vous êtes déjà déplacé pour me donner les clés…
— Ne vous inquiétez pas pour mon temps, commence-t-il avant de s’arrêter net en voyant Suzie se rapprocher à son tour. J’allais dire que passer du temps avec une jolie femme, ce n’est pas du travail. Mais avec deux, c’est peut-être moi qui vais devoir vous payer pour avoir la chance de profiter de votre compagnie !
Super, un dragueur. J’emménage, est-ce qu’il pense vraiment que notre idée première est de lui faire plaisir ?
— Ah, oui… Je vous présente ma petite amie, lui dis-je en attrapant la main de Suzie qui, à première vue surprise, joue le jeu en minaudant. Suz Chérie, c’est l’agent immobilier, Arthur.
Ledit agent semble un peu surpris, presque déçu, mais il a finalement ce regard lubrique que beaucoup affichent lorsqu’ils en arrivent à imaginer deux femmes au lit ensemble. Cliché jusqu’au bout, ce petit jeune au costume impeccable.
— Bonjour Arthur, intervient Suzie en le voyant bugger. Vous nous faites visiter, alors ?
— Suivez-moi, Mesdames. Vous n’êtes pas sur le bail, Madame. Si vous le souhaitez, je peux vous y ajouter. En tout cas, c’est par ici, indique-t-il en nous précédant à l’intérieur de la maison. Voici l’entrée de votre petit nid d’amour. Ce couloir est partagé avec votre colocataire, mais il n’est pas là, ce matin. Au travail, sûrement.
— Oh Suz est une parisienne, vous savez. La campagne et elle, ça fait dix.
Le couloir n’est pas très large et les portes d’entrée se font face. J’avoue être un peu impatiente de découvrir l’intérieur, et surtout d’être installée. Je ne suis pas fan de tous ces chichis, mais je reste polie et le laisse nous entraîner à l’intérieur en l’écoutant religieusement. C’est propre, de bonne taille, et la lumière traversante d’un bout à l’autre grâce à une porte vitrée qui donne sur la cour arrière me fait plaisir. Ça me changera de mon petit appartement en Russie, c’est sûr. La cuisine, à gauche en entrant, donne sur la cour que nous venons de quitter, et elle est bien trop grande pour ce que je pourrais en faire. Déjà aménagée, ce sont des achats en moins, c’est tout ce que j’ai retenu.
— La cour arrière est privée ? demandé-je en collant mon nez contre la porte vitrée. Je peux y laisser Guizmo sans ennuyer le voisin ?
— Oui, à l’arrière, c’est privé. Mais il faudra faire attention, la séparation, ce sont ces petites haies, il n’y a pas de grillage. Si votre chien est un peu aventurier, il devrait pouvoir franchir cette barrière sans trop de difficulté.
Super. Mon chien est fou, évidemment qu’il va faire n’importe quoi. Je profite que l’agent immobilier ouvre la large baie pour observer la haie et libérer mon monstre, qui n’a pas besoin de manger après minuit pour être un peu dingue.
— On va se débrouiller pour le premier étage, Arthur, merci. Je ne veux pas faire attendre les déménageurs et payer un supplément, vous comprenez ? lui dis-je poliment alors qu’il est déjà au milieu des escaliers.
— Ah mais oui, bien entendu. J’ai laissé les documents sur la table. Tout est déjà signé, c’est juste votre exemplaire. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas, je vous laisse ma carte, dit-il en me tendant le petit carton. A votre service, Mesdames.
— Merci beaucoup, Arthur, vous êtes un amour, lui répond Suzie alors que je récupère ses coordonnées.
Je lui aurais bien dit qu’en cas de solitude extrême, je lui proposerai un verre, mais il a l’air tellement lisse et parfait que j’ai peur de m’ennuyer. Elle est là, toute mon ambivalence. J’ai envie d’un mec bien, mais ils m’emmerdent. Je crois que je suis destinée à finir seule avec un chien, et les boîtes de nuit ne seront bientôt plus de mon âge. Le sont-elles encore, d’ailleurs ?
Je sors à la suite de Monsieur Parfait et indique aux déménageurs que la chambre qui donne sur la route sera la mienne alors que celle de derrière me servira de bureau, afin qu’ils puissent commencer à déballer et monter le tout. Quelle bonne idée de payer une fortune pour ces trois mecs qui font tout à notre place ou presque. C’est du bonheur.
Je surveille quand même le rapatriement de mon matériel de boulot, officiel et un peu officieux, et profite qu’ils aient monté mon grand bureau pour installer le tout. J’ai laissé Suzie au rez-de-chaussée et je sais qu’elle va gérer tout ce qui me gonfle, à savoir vaisselle, bouquins, coussins… Elle m’a fait acheter plein de trucs inutiles en me demandant ce qui m’était arrivé, pourquoi je voulais me contenter d’un minimum de déco, comment la fille qui adorait sa chambre ultra chargée en est arrivée à vouloir un appartement témoin. Elle n’a pas idée, tout simplement.
Lorsque je redescends, affamée, les déménageurs sont en pause déjeuner au pied du camion et Suzie est en train de draguer. Le rez-de-chaussée est plein de cartons, mais les cactus sont tous alignés sur la cheminée. J’ai envie de m’excuser d’avance auprès d’eux, parce que je sais qu’ils ne survivront pas à cette aventure, les pauvres.
Honnêtement, c’est sympa et je sens que ça va être agréable à vivre. Pavel ne s’est pas moqué de moi. J’ai connu des appartements bien pourris, là, c’est le luxe.
— Ah, ça y est tu as fini de draguer ? demandé-je à mon amie lorsqu’elle entre, la faisant sursauter. Je t’attends pour déjeuner, moi.
— Tu as vu leurs biscotos ? Miam, miam ! Ça ouvre l’appétit, et me voilà pour le déjeuner. Il est pas mal ton petit logement. Mais franchement, tu viens faire quoi dans ce coin paumé ?
Je ne sais pas, pour le moment. Et j’oscille entre l’envie de ne pas savoir pendant longtemps et de me poser, et celle de vite m’y mettre pour passer à autre chose.
— Les loyers sont chers en ville et j’ai besoin d’espace pour Guizmo. Y a pire, franchement, c’est juste… une mini-ville ? ris-je.
— Tu rigoles ou quoi ? Je ne serais pas surprise de voir des vaches au milieu de la route ! Une fois les déménageurs partis, tu vas faire comment pour chasser ?
— Je vais surtout me plonger dans le boulot, j’en ai pas mal. C’est pas une mauvaise idée, la campagne, pour ne pas avoir trop de distractions. Et puis, je suis sûre que tous les beaux mecs ne se regroupent pas en ville, tu sais ? Toi et tes clichés, me moqué-je en ouvrant la salade composée que Véronique nous a préparée.
— Tu as tant de boulot que ça ? Tu aurais pu le faire depuis Paris quand même…
— J’ai plusieurs réunions avec la boîte qui m’embauche. Au moins deux par semaine, et je déteste le train. C’est plus simple comme ça, et j’aime bien le village, franchement. Qui sait, je vais peut-être me trouver un fermier canon.
Bon sang, je déteste tellement lui mentir et j’ai l’impression que la honte se lit sur mon visage. Je ne suis vraiment pas à l’aise avec ce que je fais avec Véronique et Suzie. D’ordinaire, je m’en fous totalement, je fais mon boulot et basta. Là, j’implique ma famille d’adoption et je n’aime pas ça.
— Un fermier ? s’esclaffe-t-elle en sortant assiettes, verres et couverts de mes placards. Il sentira le purin H24, l’horreur !
— Ah, ma reine du cliché ! On déjeune dehors ? Il va falloir que j’investisse dans un salon de jardin pour derrière, parce que la table devant la fenêtre du voisin sur la terrasse, devant, c’est moyen.
— Oui, allons dehors. Et on fera des achats demain avant que tu me déposes à la gare. Il va te falloir de grands rideaux pour la porte vitrée.
— Oui, et du grillage pour éviter que Guizmo ne démonte la cour du voisin.
— C’est une bonne façon d’entrer en contact, non ? Je suis désolée, mon chien a creusé dans votre jardin, mais je vis à la campagne maintenant, alors je peux vous réparer ça en mini-short et brassière de sport, c’est cadeau, pouffe-t-elle en imitant ma voix avec un vieil accent russe foiré.
Ce qui me fait immédiatement tilter. Le problème de faire entrer Suzie dans ma vie alors que je vais être en mission, c’est qu’elle en sait un peu trop sur moi. Il faudra que je sois vigilante.
— J’aimerais autant que tu n’ébruites pas ici que je viens de Russie. C’est mon passé, mon jardin secret, tu vois ?
— Oui, oui, bien sûr, me dit-elle en nous servant, sans que je puisse manquer son regard d’incompréhension.
Je ne me préoccupe pas plus que ça des interrogations qu’elle pourrait avoir et ouvre rapidement le carton tagué au nom de mon Husky d’amour pour aller lui apporter à manger et remplir la gamelle d’eau que mon amie lui a déjà donnée. Une caresse ou deux, quelques mots à son intention, et mon estomac me rappelle à l’ordre. Je dépose un baiser sur son crâne poilu et rentre pour récupérer mon assiette et mes couverts avant de sortir de mon appartement. De mon coin de maison. De… Enfin bref, de chez moi. Et je deviens moi-même un cliché en me prenant de plein fouet l’homme qui se dirigeait visiblement vers sa porte d’entrée. Je ne sais pas comment je fais pour éviter de lui renverser mon assiette dessus, comment j’arrive à ne pas me péter le nez sur son torse, mais quand je recule et lève les yeux vers lui, je rougis bêtement et me confonds en excuses.
— Pardon, je suis désolée, excusez-moi, je n’ai pas fait attention en sortant.
— Oh non, c’est de ma faute, je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un chez moi. Chez nous, je veux dire… Bref, désolé, je suis Théo, votre voisin. Votre amie, Suzie, m’a un peu distrait, je suis désolé.
Je sens mes sourcils se froncer et jette un œil à l’extérieur à travers la porte d’entrée. Entre le camion et la copine, comment peut-il se dire qu’il ne s’attendait pas à voir quelqu’un ? Bref, le pauvre, Suz a déjà dû lui sauter dessus.
— Lyana. Enchantée, voisin, souris-je. Promis, Suzie ne mord pas. Quoique, je n’en sais trop rien, en fait.
— Vous lui demanderez, peut-être que ça peut m’intéresser, répond-il en jetant un œil vers la porte. Bon emménagement en tout cas, j’espère que notre cohabitation se passera bien.
— Il n’y a pas de raison que ça ne soit pas le cas. Bonne journée, voisin !
Je sors de la maison et profite de la porte vitrée pour le regarder entrer chez lui. Bien, le mec n’a pas froid aux yeux puisqu’il me dit déjà clairement qu’il est intéressé par Suzie. J’espère que les nanas ne défilent pas chez lui au quotidien, ça risque de me gonfler, et de me frustrer aussi.
— Bon appétit, Suz, dis-je en m’installant finalement à table face à elle.
— Eh bien, je comprends finalement pourquoi tu as choisi cette maison ! répond-elle, toute excitée. Tu as vu le beau gosse qui vient de débarquer ? Je crois que je vais venir ici plus souvent que prévu, moi ! Tant pis pour mon Paulo, il attendra !
Je lève les yeux au ciel avec un sourire en coin. Il va vraiment falloir que je régule ses allées et venues. Je l’adore, mais je ne fais pas chambre d’hôtes et je vais avoir autre chose à faire que de devoir la jouer discrète au sein même de mon chez-moi. Pauvre Paul, en plus. Oui, le voisin n’est pas dégueulasse, mais quand même. Un peu de tenue, Suz !
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