08. Mission repérage
Lyana
— On se revoit bien, hein ? me demande Suzie, sur le quai de la gare.
— Oui, je vois ce que donne le boulot et on se tient au courant. Encore merci pour le coup de main, tu es un amour.
Suzie m’enlace et me serre contre elle. Malgré la pointe de soulagement de la voir s’éloigner, je ressens aussi une certaine tristesse. La retrouver, après toutes ces années, m’a fait beaucoup de bien. J’ai un peu quitté ce sentiment de colère qui m’anime constamment au profit de davantage de légèreté. Ça ne fait pas de mal, je dois l’avouer. J’ai l’impression d’être un peu plus humaine que ces derniers temps, c’est plutôt agréable, même si je ne dois pas rester dans ce mood sur le long terme.
— A bientôt, ma Suz. Embrasse ta mère pour moi.
Je regarde partir le train avec tout de suite moins d’expansivité. Je ne suis pas du genre à pleurer sur le quai d’une gare, même si j’avoue que je peux facilement verser une larme ou deux devant un film triste. J’ai appris à me blinder, pas d’autre choix, et il n’y a qu’en solitaire, au fond de mon lit, que je me laisse parfois aller à mes émotions négatives.
Quand je remonte dans ma voiture, encombrée d’un salon de jardin en osier que nous avons réussi à faire entrer je ne sais pas comment, je ne peux m’empêcher de me dire qu’elle va me manquer. C’est toute mon ambivalence, encore, ça. J’ai besoin de tranquillité, d’être seule chez moi, de respirer et pouvoir faire ce que je veux, quand je le veux, mais j’ai aussi conscience que le silence va me peser. Je m’occupe donc, à peine arrivée, de vider ma voiture de tout ce qu’elle contient. C’est non sans mal que le salon de jardin termine dans la petite cour derrière mon chez-moi, que je range mes pots de peinture et les pinceaux achetés dans le placard du rez-de-chaussée et m’attèle à installer les rideaux en bas. Ça occupe et ça me permet également de réfléchir à ce que je fais ici. Si Pavel m’a parlé d’utiliser tous les moyens nécessaires, sous-entendu éventuellement coucher avec la cible pour lui soutirer l’information voulue, c’est qu’il s’agit sans doute d’un homme. Même si ça ne serait pas la première fois qu’il voudrait que je me tape une femme avant de faire ce que j’ai à faire, en fait. J’essaie de réduire le champ des possibles, histoire de pouvoir commencer à fouiner discrètement auprès des villageois.
C’est d’ailleurs la mission que je me donne pour le reste de la journée. Avec les petits commerces du coin, c’est déjà une bonne façon de mettre les pieds dans le plat. Et ça commence forcément par le bar, non ? Il doit y avoir une bonne dose de potins dans ce genre d’établissements. Bien décidée à commencer mon recueil d’informations, je file me changer après avoir mangé un morceau pour le déjeuner et opte pour un petit pull en cache-cœur qui saura attirer le regard sans que je passe pour une aguicheuse. Je prends le temps de faire un câlin à Guizmo et récupère mon sac avant de sortir dans la rue. Il y a toujours du monde ici et, honnêtement, j’ai eu l’impression d’être en ville ce matin, lorsque je me suis réveillée. Entre les bus scolaires qui s’arrêtent devant la mairie, les camions qui passent dans la nuit, tout ce petit monde qui va travailler… Je pensais que ce serait plus calme que ça, même si, honnêtement, j’ai connu pire.
Quand j’entre dans le bistrot, je constate qu’il y a une table de retraités occupés à jouer aux cartes et j’ai tout le loisir d’entendre le barman s’engueuler avec sa femme. Sympathique. Je m’assieds au bar et salue le propriétaire lorsqu’il approche.
— Qu’est-ce que je vous sers ? Pardon, bonjour, me dit-il en soufflant avant de sourire. Désolé, ma femme est un peu… Bref.
— Je vais vous prendre un allongé, s’il vous plaît, souris-je. Vous devriez vous mettre au Yoga, ça ne vous ferait pas de mal. Ou pas, d’ailleurs, si ce n’est pas vous le problème.
— Le problème, c’est qu’elle passe tout son temps à regarder la télé plutôt que de venir m’aider ici au service. Mais bon, je ne vais pas vous embêter avec mes histoires, je vous ramène votre café tout de suite.
— Ah, vous avez mal évalué la marchandise au départ, ris-je. Merci bien.
Je le regarde se mettre en action et constate que ce quinquagénaire est un peu trop actif pour son âge. Tu m’étonnes que sa bonne femme ne soit pas à la hauteur, s’il lui demande de courir partout, la pauvre. Derrière moi, les petits vieux, eux, tournent à la bière et semblent bien s’amuser. Quelque chose me dit qu’ils ont l’habitude de jouer ensemble ici et qu’ils se retrouvent fréquemment, et j’essaie de suivre un peu leurs échanges, mais rien ne retient mon attention. Honnêtement, je commence à en vouloir à Pavel. Plus que d’habitude, j’entends. Il m’a déjà fait le coup de m’envoyer quelque part sans me dire à l’avance ce que je devais faire, et j’ai passé trois mois à côtoyer une fille à qui il est arrivé des bricoles par la suite. Sans doute la mission la plus difficile que j’ai faite, d’ailleurs.
— Dites-moi, je viens d’arriver ici, j’habite dans la maison en face de la mairie, dis-je au barman quand il dépose mon café devant moi. Vous pourriez me dire où se trouve la pharmacie ?
— Ah, bienvenue chez nous, alors. La pharmacie, c’est le domaine de Madame Chantal. Vous allez voir, un phénomène. Il faut prendre la petite rue à droite, après la mairie.
— Super, merci beaucoup. Y a des trucs que je dois savoir sur le coin ? Des gens à éviter ? lui demandé-je sur le ton de la plaisanterie.
— Ah non, c’est un petit village tranquille. D’ailleurs, qu’est-ce qu’une jolie jeune femme comme vous vient faire parmi nous ?
— Une mutation professionnelle, en fait. Et l’envie de prendre un peu l’air. Mon chien en avait marre de la ville. Je suis contente de savoir que c’est un coin tranquille, c’est tout ce que je demande.
— J’espère que vous vous plairez ici. Et qu’on vous reverra au café, ajoute-t-il en souriant avant de s’éloigner.
Je ne traîne pas trop à boire mon café et salue tout le monde en sortant. Est-ce que ça vaut le coup d’aller à la pharmacie ? J’ai bien peur que tout ce petit monde n’ait pas grand-chose à m’apporter. Je me demande si Pavel ne s’est pas planté de village, ça a l’air vraiment tranquille, ici. Enfin, c’est finalement le lieu idéal pour se planquer, en vérité.
Quand j’arrive devant la pharmacie, j’ai tout le loisir d’observer à travers la vitre la femme qui s’agite derrière son comptoir. Elle semble être en train d’aguicher ouvertement le client qu’elle a sous les yeux, et de loin, son attitude est plutôt drôle. Je l’observe un petit moment et me dis que se planquer dans une pharmacie ne serait pas bien futé étant donné la situation, alors je finis par faire demi-tour et retourne dans la rue principale. J’hésite sur la suite de mon expédition et finis par me diriger vers la mairie. Je ne sais pas vraiment ce que je vais y chercher, ni ce que je compte demander, mais c’est une bonne façon de connaître les potins du coin. Je suis sûre que la secrétaire doit tout savoir de ce qui se passe dans le village. Cependant, je déchante rapidement en voyant qui se trouve derrière le bureau d’accueil. Ce n’est pas une secrétaire mais mon voisin. Donc, c’est ici qu’il bosse ?
— Vous ici ? m’étonné-je à voix haute alors qu’il lève les yeux dans ma direction.
— Bonjour Lyana. Oui, je travaille ici. Je peux vous aider ? commence-t-il alors qu’une dame qui doit approcher la cinquantaine intervient immédiatement.
— Ah bonjour Madame, Vous désirez un renseignement ?
— Oui, bonjour. Ça va aller, merci, votre collègue s’occupe déjà de me renseigner, dis-je à son intention avant de m’adresser à Théo. Est-ce que vous pouvez m’indiquer les activités qu’il peut y avoir dans le coin. Je ne sais pas, de la randonnée, par exemple ?
— Eh bien, il y a le château au bout de la rue, même si je n’ai pas encore eu le temps de le visiter moi-même, commence-t-il alors que la mégère reste à portée d’oreilles. Sinon, je peux vous proposer ce petit guide sur les sites touristiques de la région. Je l’ai moi-même regardé et il a l’air très bien fait. Il y a une salle de sports ici, dans le village. Je viens de m’y inscrire et ça me semble très bien tenu. Je ne sais pas ce qui vous intéresse en particulier. Dites-moi, ce n’est pas comme si on me tuait à la tâche ici.
— Vous venez de débarquer dans le coin, vous aussi ?
Ça, c’est intéressant. En soi, ça ne veut pas dire grand-chose, un nouvel arrivant, mais sait-on jamais.
— Oui, après un burn-out à la capitale, j’avais besoin de changer d’air. Vous savez, ce n’est pas toujours facile de résister au stress. Et ici, la vie a l’air plus paisible.
— Je comprends mieux votre besoin de calme, alors, souris-je. Je veux bien le guide touristique. Et pour le reste, on n’aura qu’à discuter des choses à visiter quand on se croisera à la maison. Je compte sur vous pour me donner les bons plans !
— Voilà pour vous, me répond-il avec un sourire en me tendant le prospectus. A votre disposition pour les bons plans ! Bonne fin de journée.
Plutôt expéditif, le voisin. Je récupère le prospectus et le salue d’un signe de tête sans m’attarder. J’ai du mal à le cerner, le petit. Enfin, le grand voisin en taille… mais pas très causant. Je crois que s’il n’y avait pas eu Guizmo, nous n’aurions rien échangé hormis un bonjour et un au revoir. Il faudra que je pense à remercier mon fidèle compagnon pour ce début de vie sociale qui semble peu prometteur, à première vue. Ou alors, il était en mode boulot et n’a pas voulu s’attarder ? Il faut dire que sa collègue semblait plutôt curieuse. Au moins, je n’aurai pas affaire à un voisin envahissant, j’en suis quasiment certaine. C’est pas plus mal, je n’ai jamais été très fan des fêtes de voisinage, de toute façon. Mais il est plutôt mignon et s’il semble s’intéresser davantage à Suzie qu’à moi, je n’aurais peut-être pas craché sur la marchandise. Quoique… Entre voisins, ce n’est pas non plus l’idée du siècle. Tomber nez à nez au quotidien avec un plan d’un soir ? Moyen. Surtout si le plan en question t’a laissée sur ta faim, et ça, ce serait vraiment la poisse. Ouais, il vaut mieux rester sur des échanges cordiaux, je crois.
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