09. Calamité du matin, chagrin
Théo
Je n’aurais pas dû regarder mes mails hier soir. J’ai encore reçu une dizaine de messages de menaces et de mises en garde. Je les ai transférés à la police, mais je sais qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose par rapport à ça. J’ai l’impression que mes harceleurs cherchent à maintenir la pression jusqu’au moment où le procès se tiendra afin de me faire taire, mais je n’ai pas envie de céder, même si je ne suis pas rassuré. De toute façon, je n’ai rien à perdre, je suis seul et sans famille, et la seule personne à qui je manquerai peut-être, ce sera Priscillia. Et un plan cul, elle pourra vite en retrouver un si elle le souhaite, c’est évident. N’ayant rien à perdre, il faut que je continue, quels que soient les risques.
Cependant, avec tout ça, j’ai mal dormi, d’autant plus qu’il y a des chats errants qui ont décidé d’utiliser notre petit jardin à l’arrière de la maison afin de se battre pour une femelle en chaleur, et leurs miaulements plaintifs n’ont pas été discrets du tout. Je suis même surpris que le monstre de ma voisine n’ait pas plus aboyé que ça. Un coup au début suivi d’un cri de sa propriétaire, et il s’est calmé. Tu parles d’un chien de garde…
Je regarde l’heure et vois qu’il est encore tôt et que j’ai largement le temps d’aller prendre une douche avant d’aller au boulot. Je vais ouvrir mes volets afin de faire entrer un peu de fraîcheur matinale dans ma chambre et suis surpris de constater que ma voisine est déjà levée, elle aussi. Hier soir, elle a pourtant fait du bricolage jusqu’à assez tard, mais ça ne semble pas lui poser de problème. Elle est en train de s’amuser avec son chien dans le jardin et je me rends compte en l’observant un peu plus en détail, qu’elle n’est vraiment pas très vêtue. Juste un petit top et une petite culotte. Tout de suite, mon corps en manque réagit, mais j’essaie immédiatement de me calmer, ce n’est pas une bonne idée de fantasmer sur la voisine. Si on se retrouvait à baiser et qu’après on se séparaite, ce serait franchement compliqué de devoir supporter son ex dans le même bâtiment. Et Priscillia a promis de passer demain soir, j’ai vraiment hâte de la retrouver.
Je file sous la douche pour calmer mes ardeurs mais c’est le contraire qui se produit. Je me retrouve à penser à ce moment où mon amie est venue m’y retrouver et cela ne fait que m’exciter davantage. Je me cale contre le mur et ferme les yeux en saisissant mon sexe entre mes mains. J’essaie de me remémorer les sensations de cette chaude étreinte, mais étrangement, ce n’est pas la brune qui m’a tant fait plaisir que j’imagine, mais bien la rousse qui était dans le jardin avec son chien. Il faut dire que la petite voisine a des charmes non négligeables. J’ai pu désormais la croiser à plusieurs reprises et depuis que nous avons échangé à la mairie, nous prenons un peu plus de temps à discuter quand nous nous croisons. Et j’apprécie ce que je vois, d’autant qu’elle n’a pas l’air d’avoir les yeux dans sa poche non plus. J’ai un peu l’impression qu’elle m’aguiche sans pour autant oser aller au-delà du flirt. Et c’est en l’imaginant nue contre moi que je me fais jouir, sous le jet d’eau chaude. Pathétique, non ? J’ai trente-cinq ans et j’agis comme un ado qui fantasme sur toutes les femmes qu’il croise. Il faudrait vraiment que je me ressaisisse, sinon je vais finir dans le lit de Madame Chantal à me satisfaire d’un petit coup de temps en temps avec elle.
Je descends les escaliers après m’être habillé et vais prendre mon petit déjeuner en écoutant la radio. J’ai pris cette habitude de ne m’informer que pendant ce petit temps du matin afin de ne pas retomber dans les travers qui m’avaient poussé à me connecter presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux chaînes d’information en continu. C’en était devenu maladif, d’ailleurs, mais j’avais besoin de savoir. D’être au courant du moindre mouvement sur les bourses financières. D’être informé si mes révélations avaient fait leur chemin jusqu’au grand jour. Je ne vivais plus, et j’ai eu vraiment du mal à m’imposer cette autodiscipline sur les news.
Je finis de me préparer, attrape mes clés et me dépêche de sortir. Avec tout ce temps perdu sous la douche, je ne suis finalement plus aussi en avance que ça. J’ouvre ma porte et je bute dans un obstacle. Je jure en essayant de me retenir au battant mais mon autre pied frappe dans ce que je vois être un pot de peinture abandonné et je perds l’équilibre. Je bascule par terre sur mes fesses alors que le pot que j’ai renversé se déverse sur moi. Vite, je le redresse, mais le mal est fait. Me voilà couvert de cette horrible peinture beige Palomino si j’en crois l’étiquette.
— Mais quel est le con qui a laissé traîner tout ça là ! crié-je au mur en me relevant. Oh bordel, mais j’en ai partout, ma parole !
Mon pantalon est en effet couvert de peinture, et, en me relevant, j’en ai mis aussi plein sur mes bras. C’est vraiment horrible, comme sensation. Gluante et odorante… Je suis bon pour aller prendre une nouvelle douche quand ma voisine, alertée par le bruit sûrement, ouvre à son tour sa porte.
— Oulah, vous allez bien ? Je… Mince, j'étais persuadée d'avoir rangé ces pots, je suis désolée ! Vous vous êtes fait mal ?
— Non, ça va, mais ça aurait pu ! Vous êtes folle de laisser trainer tout ça ? Vous voyez dans quel état je suis ! m’énervé-je à la voir arriver ainsi, un petit sourire aux lèvres comme si la situation l’amusait.
— Folle, je n'irais pas jusque là, non. Un peu tête en l'air, parfois ? Je vais nettoyer tout ça, ne vous inquiétez pas. Et donnez-moi vos vêtements, je vais essayer de les récupérer. Mais… Si je peux le permettre, cette couleur vous va bien, me répond-elle alors que la boule de poils débarque à ses côtés et qu'elle la bloque illico.
— Comment ça, cette couleur me va bien ? J’en ai partout ! Même sur ma peau ! C’est pas cancérigène, tout ça ? Et mes vêtements sont foutus, vous savez ! J’en reviens pas que ça vous fasse rire. Vous pourriez faire attention quand même ! Vous savez qu’on partage ce couloir ?
— Hé, respirez un coup, voisin, ce n'est rien qu'un peu de peinture, rit-elle en en posant sa main sur mon torse avant de se faire des traits de guerrier sur les joues. Voilà, on aura un cancer à deux. Je vous promets de changer vos couches si vous devenez incontinent.
Je la regarde sans comprendre vraiment ce qu'elle est en train de me dire. Elle croit que c'est en se moquant de moi qu'elle va arranger les choses ? Non seulement elle est la cause de cet accident, mais en plus, ça l'amuse ? Elle est complètement folle, on dirait ! Et en plus, son abruti de chien profite de son inattention pour sortir et marcher dans la peinture, laissant des traces de pattes partout dans le couloir !
— Attention à votre animal ! Il en met partout ! m'exclamé-je en retirant mon tee-shirt pour l'utiliser et commencer à me frotter.
— Guizmo, stop ! Assis ! Bon sang, c’est votre faute aussi, s’affole-t-elle, vous vous emballez pour pas grand-chose. Ce n’est qu’un peu de peinture, Théo. Je vous promets que quand vous rentrerez, ce midi, il n’y aura plus trace ici. Et je vous rembourserai vos vêtements.
— Je n’ai pas besoin de votre charité, il faut juste que vous appreniez à respecter le voisinage, lancé-je, toujours énervé.
Au moins, le chien est obéissant et s'est assis aux pieds de sa maîtresse. Il me regarde avec des yeux tellement implorants qu'on lui donnerait le Bon Dieu sans confession.
— Ce n’est pas de la charité, c’est normal. Et encore une fois, je suis désolée, mais vous devriez respirer un coup et dédramatiser. Vous auriez pu vous fracasser la tête contre un mur ou vous casser le coccyx, en fait.
— Oui, je sais bien ! J'ai risqué la mort de votre faute ! exagéré-je légèrement. Et vous, ça vous fait rire !
— Je ne vais pas non plus me mettre à pleurer ! Je vous assure que si les rôles étaient inversés, vous seriez en train de rire, vous aussi.
Je la regarde et suis atterré par son manque d’empathie envers moi. Je secoue la tête, dépité, et je me retourne sans un autre mot pour rentrer chez moi quand elle me retient par le bras.
— Quoi encore ? Le show n'a pas duré assez longtemps ?
— Pour la trois ou quatrième fois, je suis vraiment désolée, Théo. Je ne me moque pas de vous, c’est la situation qui est comique. Bref, vraiment, excusez-moi. Est-ce que… Comment est-ce que je peux me faire pardonner ? Je vous proposerais bien de vous faire un gâteau, mais je suis nulle en pâtisserie. Je peux vous inviter à dîner ?
Je m'arrête et la regarde par-dessus mon épaule. Elle a l’air sincère et vraiment embêtée de m'avoir fâché. J'hésite quelques secondes et me décide rapidement devant son air contrit.
— D'accord, si vous voulez. Ça nous permettra de repartir sur de meilleures bases. Entre voisins, il vaut mieux s'entendre, je crois. A quelle heure vous souhaitez que je vienne ? Il y a de la route à faire, je dois me préparer !
— Super. Dix-neuf heures si ça vous va ? À moins que vous ne préfériez demain ? Enfin, c'est quand vous voulez, je travaille d'ici donc je m'arrangerai.
— Ce soir, c'est parfait. Et pour vous prouver que je ne suis pas rancunier, je ramènerai le dessert. Vous n'avez pas d'allergie, j'espère, je peux préparer ce que je veux ?
— Non, sauf à la peinture peut-être, répond-elle, espiègle. N'en glissez pas dans la pâte pour vous venger et tout ira bien !
Je lui souris avant de finalement pénétrer dans mon salon. Je me débarrasse de tous mes vêtements à l'entrée et me dépêche d'aller me rincer. En fait, cet accident est peut-être bien tombé, j'ai décroché une invitation à dîner avec une jolie rousse. La journée qui avait si mal commencé n'est peut-être pas complètement foutue !
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