34. Les deux faces d'une même pièce

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Lyana


— Tu vas être en retard pour le boulot, ris-je en regardant Théo se promener encore nu dans sa chambre.

Je traîne, ce matin. Je peine à me lever, et ce n’est pas seulement par flemmardise. Je suis bien, là… trop bien pour avoir envie de partir. Je sais que je joue avec le feu, qu’il risque de se faire des idées, mais… peut-être que je commence à m’en faire, moi aussi.

— Ne t’inquiète pas, la route est dégagée et je crois qu’il n’y aura pas trop de bouchons. La seule qui pourrait me mettre vraiment en retard, c’est toi. Tu sais que tu es la plus belle femme que je connaisse ?

— Je ne te mettrai pas en retard, je vais retourner me coucher, je suis crevée, moi. J’ai été ennuyée toute la nuit par un bel homme viril qui avait des envies folles. Je ne sais pas comment tu vas faire pour ne pas t’endormir derrière ton bureau.

— Que je dorme ou pas, ça ne changera pas grand-chose, me répond-il en s’habillant sous mes yeux.

— Ça ne te plaît pas, la Mairie ? Pourquoi tu ne cherches pas ailleurs ? lui demandé-je. Enfin, tu cherches peut-être…

— Pour l’instant, ça me va. L’argent entre, je n’ai pas à réfléchir. Des fois, dans sa vie, ça fait du bien d’avoir des périodes plus calmes, tu sais. Et puis, ça me laisse au moins plein de temps à passer en ta compagnie. Toi, tu travailles à la maison, et moi, je ne suis pas au boulot trop longtemps. Ça marche bien, tu ne trouves pas ?

Ouais… Sacré petit couple. Ne manquent plus que les gosses, quoi. Je me retiens de grimacer à cette pensée et acquiesce gentiment en me levant finalement. Je n’ai absolument pas pensé à récupérer mes fringues hier soir, et c’était moins une pour me faire griller alors que je cherchais des infos sur le fameux indic. D’ailleurs, je suis conne, j’aurais dû encore traîner au lit ou faire mine de me rendormir, je ne suis pas sûre qu’il m’aurait réveillée et j’aurais pu vagabonder dans la maison comme bon me semble. Il faut vraiment que j’arrête de réfléchir n’importe comment, moi, c’est dingue.

— Je te laisse finir de te préparer, je vais faire couler la cafetière et… m’habiller, même si je vois que tu apprécies ma tenue, souris-je en faisant un tour sur moi-même.

— C’est clair que tu es comme l’héroïne de la chanson de Brassens. Tout est bon chez elle, y a rien à jeter, sur l’île déserte, il faut tout emporter, chantonne-t-il en m’admirant.

Je ne connais absolument pas cette chanson mais je souris en l’entendant chanter. J’esquive de peu sa main lorsqu’il essaie de m’attirer contre lui et monte sur le lit pour le contourner.

— Un peu de sérieux, voyons ! A tout de suite, beau voisin.

Je lui envoie un baiser et ondule outrageusement des hanches en sortant de la chambre. Ce côté séductrice est tellement naturel que je m’énerve, parfois. Des années à devoir jouer de cela pour l’organisation et c’est devenu une seconde nature. Bien loin de l’ado timide que j’ai pu être, d’ailleurs.

Je dévale rapidement les marches et enfile ma robe de la veille en jetant un œil au dossier que j’ai à peine eu le temps d’ouvrir. J’y ai vu un article sur la Ruspharma, et je me dis que peut-être des informations pourraient s’y trouver. Je me dépêche de lancer la machine à café et me rapproche de la bibliothèque, attirée par la pochette. Il ne faut pas que je me fasse griller et je lutte pour ne pas la récupérer et l’ouvrir. De toute façon, je n’ai pas le temps puisqu’il descend les escaliers. J’ai tout juste le temps de regagner la cuisine et il vient se presser dans mon dos tandis que je sors deux tasses du placard. Ses lèvres se posent dans mon cou et ses bras m’enserrent alors qu’il me soulève légèrement, me faisant rire.

— Eh bien, quels muscles et quel homme ! Vas-y mollo, Popeye.

Voilà que je fais de l’humour, maintenant. Mais qu’est-ce qui m’arrive, sérieux ? C’était carrément nul, en plus. Bidon.

— Mais moi, ce n’est pas dans les épinards que je trouve mon énergie. C’est dans ma jolie Olive qui m’excite tant ! répond-il, tout joyeux, avant de déposer un bisou dans mon cou.

— Olive est brune et a un gros nez… Mon Dieu, quelle comparaison, ris-je en remplissant les tasses.

— Et Popeye est chauve et on dirait Monsieur Propre en vieux. Avec une pipe en plus. Un partout, balle au centre, se moque-t-il.

Vu comme ça, il n’a pas tort… Les comparaisons sont douteuses. Et ce moment trop ordinaire m’est bien trop agréable. Et pour une fois, je n’ai pas envie de fuir à toutes jambes. Je dépose un baiser sur ses lèvres et lui tends sa tasse, qu’il récupère après m’avoir gratifiée d’un baiser bien plus torride que le mien.

— Bien, tu seras officiellement en retard dans deux minutes, beau voisin, alors je vais te laisser aller bosser et faire de même de mon côté.

— Bonne journée ! dit-il. Et surtout, ne fais pas la vaisselle, je m’en chargerai sur l’heure du déjeuner ! A tout à l’heure ! me lance-t-il en s’éclipsant rapidement.

Eh bien, si je m’attendais à ça… J’ai tout le loisir de l’observer dans la cour par la fenêtre de la cuisine, et je le vois même traverser la route et entrer dans la mairie. Evidemment, je ne traîne pas et file ouvrir le dossier qui m’obnubile… et suis bien déçue de ne rien trouver d’intéressant. Merde… J’ai au moins le temps de chercher plus en profondeur et j’ouvre tout ce qui me passe sous la main, tiroirs, placards, dossiers, sacs. C’est bien la première fois que j’ai des remords à entrer ainsi dans l’intimité de quelqu’un.

Je regagne mes pénates une heure plus tard sans résultats. Je suis frustrée, agacée, mais aussi un peu contente, j’en conviens. Au moins, tant que je n’ai pas de résultats probants, je reste ici. C’est la merde, cette situation, vraiment la merde.

Je m’installe sur mon ordinateur après avoir câliné et sorti Guizmo, et commence à fouiner dans les mails de Théo. J’y passe ma matinée, d’ailleurs, et j’ai mal au crâne au bout d’à peine deux heures. Il me faut remonter bien loin pour voir des échanges sur Ruspharma et je note les noms de ses interlocuteurs. Aucune information croustillante dans les mails, ils ont été discrets, mais il semblerait qu’il ait échangé avec plusieurs personnes qui pourraient être le fameux indic.

Je sursaute en entendant frapper à la porte et referme mon ordi en allant ouvrir, quand je réalise que je porte toujours ma robe d’hier, le tout sans aucun sous-vêtement… Tout ceci me prend trop la tête, c’est définitif.

Quelle n’est pas ma surprise d’avoir sous les yeux l’un des types de Pavel, celui qui bosse à l’épicerie.

— Pitié, pas de clin d’œil, j’ai compris que tu bossais pour lui, soupiré-je en Russe en l’invitant à entrer. Tu veux quoi ?

— Je viens prendre ma part du gâteau, il a l’air plutôt agréable, répond-il en posant sa main sur ma hanche lorsqu’il pénètre dans mon logement.

— Wow, bas les pattes, le réprimandé-je en le repoussant. Y a pas de gâteau à partager, tu rêves, là. Bon, j’ai pas la journée, c’est Pavel qui t’envoie ? Qu’est-ce qu’il a, encore, ce vieux grincheux ?

— Putain, parle pas de lui comme ça, il a des oreilles partout. Il veut des résultats, le Boss. Tu as quoi à lui donner ? Il se demande si t’es pas en train de le doubler mais je vois, vu ta tenue, que tu t’es mise au boulot avec la Cible. C’est bien, il sera content.

— Les petits espions qui lèchent le cul du boss, ça me ralentit. Et ça m’emmerde, aussi. C’est tout ? Je peux retourner bosser ?

On voit que les vieilles habitudes reprennent vite leurs droits… Ne pas se laisser impressionner par les gros bras, ne pas montrer de faiblesses. Les filles sont toujours utiles pour les missions séduction, mais doivent cohabiter avec des gros lourds qui n’ont aucune pitié. Lui m’a plutôt l’air d’être le garçon à tout faire, celui un peu bête qui nettoie derrière les autres… Ceux-là peuvent être mignons, mais ils sont généralement complètement fous.

— Tu as quoi comme info ? C’est qui l’indic ? Il nous faut son nom. Et tu es sûre que tu ne veux pas un peu t’amuser ?

— Je vais envoyer mes infos à Pavel, c’est l’ordre que j’ai reçu. Je n’ai aucun compte à te rendre, et aucune envie de m’amuser avec toi. Fais gaffe, tu sais que si le boss est au courant que tu veux débaucher sa petite protégée, il risque de te le faire regretter et je doute que tu t’amuses. Ce serait quand même dommage de voir ton service trois pièces raccourci pour avoir osé me toucher.

Je compte sur le fait qu’il soit presque de notoriété publique dans l’organisation que Pavel est assez possessif envers moi pour que cet abruti me lâche la grappe. Honnêtement, je doute que notre chef ferait quoi que ce soit, mais la peur suffit parfois. Il peut être très cruel et il n’est pas arrivé là où il en est en faisant des câlins.

— Ouais, c’est bon. Mais si tu rates, sache que moi, j’utiliserai d’autres méthodes. Le Boss, il devient tendre avec l’âge, mais la torture, ça marche aussi. Alors, magne-toi le cul qu’on puisse se barrer de ce trou du cul du monde.

— J’y penserai. Mais je doute que tu saches ce qu’implique ce genre de mission, mon lapin. Ça ne se fait pas en trois jours, alors il va falloir faire preuve de patience. Maintenant, si tu veux bien dégager d’ici, ça m’arrangerait. Théo va bientôt rentrer déjeuner et j’aimerais autant qu’il ne voie pas ta tronche sortir de chez moi. Ça m’évitera d’avoir à répondre à des questions dérangeantes.

— Ouais, salut. Fais-moi signe quand tu es prête à ce qu’on dégage.

J’acquiesce en lui ouvrant la porte et ne tarde pas à la refermer une fois qu’il est sorti. Clairement, si ce con avait voulu s’en prendre à moi, je doute que j’aurais fait le poids… Je fais la maligne, mais ces types me répugnent. J’aime le risque, je l’avoue, et ce genre de rencontres m’excitent autant qu’elles font monter le stress. Là, je ne m’y attendais pas vraiment, je n’étais pas préparée à jouer moi-même les gros bras. Surtout que ces derniers temps, mon rôle est tout autre. La question, c’est de savoir dans lequel de ces personnages je me sens le plus moi-même. Parce que la Lyana, gentille voisine, elle me plaît bien. Mais celle qui envoie un mail à Pavel avec les informations récoltées et un compte-rendu de la visite de cet abruti, c’est celle que je suis depuis une grosse dizaine d’années…

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