35. Le SOS d'un voisin en détresse

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Théo

— Très bien, Monsieur le Maire. Je terminerai le travail d’archivage demain sans faute, indiqué-je en sortant de son bureau.

J’ai passé la journée avec lui à réaliser tout le travail de classement qu’il m’a demandé de faire. Il est content car plutôt que de simplement prendre toutes les boîtes et faire un archivage manuel, j’ai développé rapidement un petit programme informatique qui m’a certes pris une petite heure à créer en début de journée, mais qui m’a permis d’aller dix fois plus vite le reste du temps. Et j’ai donc réussi à presque terminer le travail qui aurait dû me prendre toute la semaine. Et bien entendu, le maire est ravi. Et bien entendu, Roselyne l’est beaucoup moins car c’est elle qui a dû gérer l’accueil aujourd’hui. Je m’attends à ce qu’elle me fasse quelques remarques bien senties quand je viens la saluer avant de partir, mais elle se contente de me sourire, sans me répondre.

— Vous allez bien, Roselyne ? Vous m’avez l’air un peu dans les nuages, si je peux me permettre.

— Oh oui, tout va bien. J’ai beaucoup échangé avec votre cousin depuis qu’il est passé, et là, il m’a dit qu’il viendrait bientôt me voir. J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je vous le vole un peu la prochaine fois qu’il passe au village, Théo.

Je me retiens de pouffer et comprends mieux pourquoi elle est dans cet état-là. La secrétaire est amoureuse et le vieil Henry a une touche.

— Du tout, profitez-en tant que vous voudrez ! Bonne soirée !

Je la laisse à ses rêveries et retourne chez moi. Guizmo m’accueille quand je pénètre dans notre jardin commun, mais pas de trace de sa maîtresse. Je caresse un peu le Husky avant de retourner chez moi. Comme chaque soir, je me connecte sur mes mails et suis surpris de voir un message en provenance d’une adresse que je ne connais pas. Mais le nom me parle : lecolibriquifaitdubruit@mail.ru. J’ouvre rapidement le message.

Salut Théo.

J’ai créé cette adresse juste pour toi. Ils sont plus forts que je le croyais. Ils ont retrouvé ma trace et je crois que c’est de ta faute. C’est la seule explication logique. Bref, je vais aller un peu à l’Underground Café. J’aurais voulu être un artiste, mais mon numéro n’a pas eu de succès et je ne serai jamais une starmania. Je vais devoir me cacher. Tant pis, j’aurai le blues du businessman.

Et merde. Ils ont repéré Mikhail et il va se planquer. Grâce à toutes ses références au célèbre Opéra Rock, je sais quel endroit il a choisi et je pourrai le retrouver si besoin, mais cela sent mauvais pour nous s’ils se rapprochent autant. Il était pourtant sûr que personne ne saurait remonter sa trace. Et en plus, ce serait ma faute ? Je continue à lire le message, inquiet.

En tout cas, à ta place, je me débarrasserais de mon téléphone. Ils l’ont retrouvé et ne comptent pas s’en priver, si tu vois ce que je veux dire. Rien de ce que tu diras ne tombera dans l’oreille d’un sourd. Et il faut aussi que tu saches qu’ils ont l’air de savoir même dans quelle position tu forniques avec ta voisine. Petit coquin ! Je ne savais même pas que ça existait, le lotus arrangé ! Bref, pendant que certains vont se retrouver à Monopolys, d’autres profitent de la vie. Mais attention ! Ils sont partout et ont des antennes derrière la tête !

Prends soin de toi. T’es un garçon pas comme les autres, mon Ziggy. Bisous !

Et c’est signé : “Le colibri qui fait cui cui sur leurs folies.” Le gars est complètement déjanté, même dans ses messages. Je reste cependant surpris de l’information principale qui figure dans ce message. Mon contact en Russie est en grand danger et il a dû partir se planquer en Sibérie. Dans une ville qui a la sonorité proche de Monopolys où il a de la famille. Et si c’est le cas, c’est que les choses sont graves. Il pensait avoir mis toutes les protections nécessaires pour ne pas se faire repérer, mais là, ça semble compromis, tout ça. Je ne sais pas quoi faire. Et puis, c’est quoi toutes ces références à Lyana. Elle aussi est surveillée ? Peut-être que je devrais la prévenir ? Ou alors cesser de la voir ? Parce que s’ils s’en prennent à elle, je ne me le pardonnerai jamais. Un peu stressé, je me décide à aller la voir.

— Toc, toc, toc, c’est moi, dis-je en passant la tête par sa porte que j’entrouvre. Je peux te parler cinq minutes ?

— Hey, salut toi, sourit-elle en fermant son ordinateur portable et en me rejoignant dans l’entrée. Bien sûr. Un souci ?

Alors que j’étais prêt à lui sortir toute mon histoire, je me rends tout à coup compte que je ne peux pas faire ça. Comment pourrait-elle me croire ? Et puis, je vais l’inquiéter pour rien, à lui parler de mafia russe, de secrets dévoilés, de nouvelle identité et tout le tintouin.

— Je voulais juste te dire que tu me manquais en fait. On n’est pas encore le soir ? improvisé-je en lui faisant un sourire.

— Heu… si, un peu, rit-elle, perplexe. Mais j’avais prévu de bosser encore une bonne heure, pour être honnête. Tu es sûr que ça va ? Tu as l’air préoccupé et un peu agité, là.

— Oui, oui, tout roule. J'ai quand même le droit à un bisou ? Je vais… aller faire un tour, tu passes quand tu as fini, hein ? Comme d'habitude, quoi.

Je sais que j'ai l'air un peu pathétique mais difficile de faire autrement vu les circonstances. J'aurais dû réfléchir un peu plus avant de me précipiter chez elle…

— Ça marche. Par contre, pour le bisou, j’hésite… Cette entrée précipitée… Tu m’as fait peur, tu sais ? J’ai cru qu’il t’arrivait quelque chose de grave, moi.

— Non, non, ne t’inquiète pas. Vraiment. Tout va bien. Désolé de t’avoir inquiétée pour rien, mais tu sais, le manque de bisous est dangereux pour la santé !

Je ne sais pas si je suis crédible, mais en tout cas, je fais de mon mieux pour dissimuler mon trouble et mon inquiétude.

— Ah oui, au moins ! Très bien, si c’est une question de santé, je ne peux pas risquer que tu tombes malade, minaude-t-elle en se collant contre moi pour me donner un léger baiser sur les lèvres.

— Ah ! Voilà ! La guérison est là ! Ne travaille pas trop, je t’attends avec impatience !

Je ponctue ma phrase d’un baiser beaucoup plus franc que le sien avant de m’esquiver sous son regard intrigué. Je ne sais pas ce qu’elle va penser de cette petite intrusion, mais je suis désormais convaincu qu’il ne faut pas que je la mette plus en danger qu’elle ne l’est déjà. Elle est si innocente, tellement loin de tout ce qui agite mon quotidien, je ne me vois pas l’entraîner dans cette histoire plus qu’elle ne l’est déjà par le simple fait de me connaître. Si je veux qu’on me protège, il faut que je m’adresse aux bonnes personnes.

Je sors de chez moi presque en courant et me dirige vers les petites maisons qui sont à l’entrée du village et qui abritent quelques chambres d’hôtes. Si je me souviens bien des indications que j’avais recueillies lors de son passage en Mairie, Serge, le gars dont la femme a accouché et qui n’a pas pu y aller pour me surveiller, habite là. Je sonne à la première et une petite dame sans âge, aux cheveux bien blancs, vient m’ouvrir.

— Bonjour Madame. Serge, c’est bien ici qu’il habite ? lui demandé-je doucement. Je travaille à la Mairie, vous savez, et j’ai un document à lui faire signer.

— Bonjour jeune homme, sourit-elle en me faisant signe d’entrer. Sergio, bien sûr ! Qu’est-ce qu’il est gentil, une crème ! Il vit bien ici, et il est dans le jardin, suivez-moi.

Je la suis dans cette maison normande qui a l’air de ne pas avoir changé depuis l’après-guerre. Je m’attends presque à trouver des tickets de rationnement dans un coin, tellement tout a l’air bien conservé. Arrivés dans sa cour, elle fait signe à Serge qui lève la tête de ses plantations. Dès qu’il se rend compte de qui accompagne sa logeuse, il se dépêche de poser ses outils par terre et vient s’enquérir du motif de ma visite.

— J’ai un document à vous faire signer suite à votre dernier passage à la mairie. On peut s’en occuper tout de suite ? C’est confidentiel, ajouté-je en direction de la mamie qui me fait un sourire. Je suis désolé, mais je dois voir ça avec Serge en privé.

— Oh, bien entendu, pas de souci, je vous laisse. Vous voulez un thé ? Des petits biscuits ?

— Non, ça ira, merci, dis-je en lui souriant.

Je me rends alors compte que mon histoire de document à signer est un peu fragile car non seulement je ne suis pas crédible en employé de mairie présent après dix-sept heures, mais en plus, je suis venu les mains dans les poches. Je m’en veux un peu pour mon amateurisme alors que Serge me dévisage et s’adresse à moi, une fois que la mamie s’est un peu éloignée.

— Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi vous débarquez comme ça ? C’est pas une bonne idée, ça.

— Le Colibri m’a écrit. Mon téléphone est grillé. Les Russes ont dû réussir à le craquer. Il faut m’en débarrasser et m’en fournir un nouveau. Et vite.

— Il vous a encore contacté ? Et il a des preuves de tout ça ? Vous êtes super discret et nous n’avons pas repéré d’activités louches ici, c’est… Merde, bon, OK. Donnez-moi votre téléphone, je vais le faire examiner. Je vous en apporte un nouveau demain à la mairie. Et vous changez tous vos mots de passe dès que possible. Compris ?

— Vu les détails qu’il a inclus dans son message sur ma voisine, je le crois, vous savez. Tenez, voilà le téléphone. Et vous avez raison pour les mots de passe, je n’y aurais pas songé tout seul.

— Oui, après votre petite comédie en arrivant ici, je n’en doute pas, soupire-t-il en récupérant mon mobile. Rassurez-moi, vous n’utilisez plus votre ancienne adresse mail, quand même ?

— Euh… vos collègues me l’avaient interdit, exprimé-je même si la réalité n’est pas tout à fait celle-là. Mais bon, quoi que je prenne comme précautions, ils arrivent toujours à leurs fins, les Russes, non ?

— Pas toujours, heureusement. Ces gens sont fous, vous savez. Certains sont très discrets, d’autres beaucoup moins. Comme partout. Ne vous inquiétez pas, je vais faire des vérifications, mais on a repéré des activités étranges en Seine-Maritime, bien loin d’ici. Ils vous cherchent, mais ils ne vous ont pas trouvé. Je vais voir avec mon supérieur pour vous faire quitter le département, ça vous rassurera.

Je réalise qu’il est en train de me proposer de quitter la maison dans laquelle je me suis réfugié. Et dans laquelle, surtout, je commence à vivre quelque chose de plus en plus fort avec ma voisine. Partir, cela voudrait dire arrêter tout avec elle et ça, je ne suis pas prêt à l’affronter. Pas maintenant, en tout cas. Pas tout de suite, alors que j’ai l’impression que nous nous rapprochons de plus en plus.

— Je n’ai pas envie de quitter le département ! dis-je de manière plus véhémente que je ne le souhaitais. Ce ne sont pas ces quelques brigands de bas chemin qui vont me faire peur, tout de même. Et puis, il faudrait d’abord vraiment vous renseigner pour savoir s’il ne vaut mieux pas que je reste planqué ici vu qu’ils me cherchent en Seine-Maritime. Si je bouge, c’est le meilleur moyen de me faire repérer, non ?

— Ça n’avait pas l’air de vous déranger de bouger pour aller fricoter avec la voisine dans le Calvados, non plus. Si vous pensez que ça, c’est discret… Je vais me renseigner.

— N’empêche que quand j’étais dans le Calvados, vous n’aviez aucune idée d’où j’étais. Et ça devait être pareil pour eux. C’est bien aussi, l’effet de surprise, je pense. Mais merci quand même. Tenez-moi vite au courant.

— Ça n’a rien de drôle, Théo, soupire-t-il. Comment voulez-vous qu’on vous protège si vous vous barrez comme ça ? Je ne suis pas Superman, moi.

— Ne vous inquiétez pas, je suis solide comme la pierre moi. Et il faut bien ça dans notre monde. Parce que Stone, le monde est stone, chanté-je avant de le saluer. Merci de votre aide en tout cas. A demain à la Mairie.

— C’est ça. Ne soyez pas trop stone, quand même. A demain, Théo.

Je repars un peu rassuré de voir que j’ai été pris au sérieux et qu’il va faire le nécessaire pour diminuer les probabilités que je me fasse repérer. J’espère que cela suffira parce que si je devais vraiment être amené à partir et à abandonner Lyana ici, est-ce que je serais vraiment en capacité de le faire ? Je crois que je suis devenu trop accro à la jolie rousse pour pouvoir m’en passer. Et ça, c’est vraiment inquiétant, non ?

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