Partie 1
Parfois, il y a des jours où, même dans le plus grand des silences, tu te dis que tout fait trop de bruit. Cet ensemble, c'est juste ton cerveau qui carbure en tout sens depuis des jours et des jours, tellement vite que tout ce qui s'y passe devient sans logique.
J'ai toujours été davantage dans l'action que dans la réflexion. Habituellement, ce n'est pas ma boite crânienne qui carbure, mais mon corps. En ce moment, ce sont les deux. Je n'ai jamais réussi à m'arrêter. Quand j'étais petit, on me pensait hyperactif. Alors on m'a fait passer les examens, qui ce sont avérés négatifs. Je suis juste une pile électrique débordante d'énergie et aimant un peu trop le sport, sans doute. Je n'y suis pour rien en soit. C'est juste qu'il est toujours là quand j'ai besoin de lui, ne m'a jamais abandonné, sait me montrer de quoi je suis capable et me permet de me dépasser, d'aller toujours plus vite, plus loin, plus haut. Le sport me forge et me construit comme personne n'a jamais su le faire.
Ce qui est assez drôle à constater quand on sait à quel point le sport est mon ami, c'est de voir qui sont mes potes : deux adolescents absolument pas sportifs et même plutôt fainéants, l'un fan de rock et l'autre de... de j'en sais rien. Ouais, il est comme ça Antoine, il aime la vie, mais pas grand-chose d'autre. Ce qui m'a d'ailleurs amené à avoir énormément de difficulté pour le cerner. Je ne comprenais pas, et ne comprends toujours pas mieux d'ailleurs, comment l'on peut vivre sans avoir de rêves en tête, d'objectifs à atteindre ou de passions. Juste vivre, comme ça, simplement passer de jour en jour en gardant le sourire et en survolant les aléas de la vie, sans plus ni moins à côté, me semble être une équation impossible de la vie. Et pourtant, Antoine en est la résolution, la réponse indiscutable. Je pense que l'unique raison pour laquelle lui et moi nous sommes rapprochés est que, ayant la même chambre dans notre internat, on y a été légèrement contraint. Au début de l'année de notre rencontre, il y a un an, nous partagions une chambre de trois à seulement deux. Et je n'ai jamais aimé parler au mur. Entamer la conversation avec lui m'avait donc semblé évident. Antoine, de nature plus discrète et réservée, s'était enfoncé dans sa coque de timide. J'ai rapidement compris qu'on ne partageait pas beaucoup de points communs. Presque en autant de temps qu'il lui a fallu pour voir que je suis quelqu'un de sympa dont il n'avait pas besoin de se cacher. Ainsi, sa carapace était vite tombée et je le découvrais de plus en plus au fil des nuits passées à l'internat, lui n'ayant que peu de temps en journée et moi n'ayant pas une minute. Le fait de ne rien avoir en commun ne nous empêcha pas de nous considérer rapidement comme de très bons amis.
Et puis, avec Antoine et moi vient se rajouter une dernière petite tête brune. Vraiment petite. Je ne connais pas sa taille exacte parce que Lucie déteste aborder le sujet autant qu'elle n'apprécie pas le surnom de Lutin qu'Antoine lui donne et que j'ai fini par adopter également. Ah ! J'allais oublier Nolan, le troisième garçon de la chambre mais le dernier des crétins. Pour le coup, si avec Antoine le courant est vite passé, en ce qui nous concerne, c'est plutôt l'électrocution permanente. Et le pire dans tout ça, c'est que je suis obligé de jouer un minimum l'hypocrite si je ne veux pas qu'Antoine me tire la tronche. La chose de bien, c'est que lui aussi joue le même rôle pour éviter également ce problème, du coup, jusqu'à présent, aucun marron pris dans la poire ni d'un côté ni de l'autre. Bien qu'un jour, cela a failli ne plus être le cas. Mais étrangement le : « Fais gaffe, j'ai fait six ans de boxe française et j'ai été deux années champion de France Jeunesse. » l'a rapidement assagi. Suite à ma réplique, Antoine, qui n'avait absolument pas remarqué le malaise du garçon, s'était empressé d'ajouter tout joyeusement :
« Cédric est un grand sportif ! C'est à peine s'il ne fait pas que ça de ses journées. Il ne s'arrête jamais ! Course, karaté, judo, boxe, natation, foot, basket, tennis, hand, triathlon, escrime escalade, il a dû tout faire et à haut niveau en plus pour la plupart. Il a un dossier de dingue, tu t'imagines même pas ! »
Antoine aurait alors continué volontiers si je ne lui avais pas plaqué ma main sur la bouche en voyant le gamin d'en face passer au blanc livide en me détaillant de partout comme une bête apeurée. Je ne porte pas Nolan dans mon cœur, mais je n'ai jamais été adepte de la torture.
« Arrête-là, il a compris. » avais-je dit à Antoine en retirant ma paume.
« Ah oui, désolé Nolan... y'a des jours où je m'emballe. »
C'est pas des jours Antoine, c'est tout le temps.
Un vrai moulin à parole. Pire qu'un papi. D'ailleurs, sachant combien de mots il est capable de débiter à tout juste dix-sept ans, je vous laisserais le soin de compter pour moi quand il en aura soixante-dix, parce que je ne vais pas m'infliger ce supplice.
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