Duodi

Des cris me réveillent soudain, des cris et des rires.

Les rires des soldats qui suivent la lanterne du geôlier, les cris des prisonniers qui descendent par l’escalier, ils sont deux.

Il doit être très tôt, je lève la tête pour regarder le soupirail, mais aucune lumière ne filtre. Le surveillant déverrouille ma cellule et approche sa lampe. Je me tasse contre le mur attendant un coup… qui ne vient pas, les soldats viennent de jeter à terre, sans ménagements, les deux malheureux avec force quolibets et insultes. Le gardien en refermant la grille les gratifie de ses réflexions sur le métier de leur mère ou de leur soeur puis ajoute quelques remarques sur leurs pratiques sexuelles avant de s’éloigner, fantoche boiteux, méprisé par les militaires, haï autant que craint par les condamnés, surnommé « la Tortue » par ses collègues pour d’obscures raisons et prenant un malsain plaisir à torturer psychologiquement (et le plus souvent physiquement, à coup de pieds ou de canne) les misérables occupants de son sinistre palace.

Un râle…

Il fait encore trop sombre, je les entends, mais ne puis les distinguer. Je leur demande qui ils sont, mais seule une plainte me répond. Je n’insiste pas.

J’essaye de me comprimer le thorax avec mon ceinturon pour atténuer la douleur quand je bouge et puis je replonge dans la somnolence.

La lumière du jour,

Enfin je peux les voir… deux corps allongés ! Leurs vêtements sont tachés de sang. Le leur ? Je leur parle, mais ils ne réagissent pas. Qui sont-ils ? Des victimes de la "loi des suspects", innocents comme moi ou des coupables d’agissements contre la république ?

Qu’importe, pour le tribunal révolutionnaire, nous sommes tous coupables !

Bruit de gamelle ?

Je leur dis de s’approcher de la grille s’ils veulent manger, car ceux qui servent n’attendrons pas. L’un d’eux approche les écuelles. Son visage est tuméfié, il a encore du sang séché sur la joue, ses vêtements de bonne coupe, ses chaussures, son allure indiquent son appartenance à la classe aisée sinon à l’aristocratie.

Voilà pourquoi ils sont ici ! Au titre d’ennemis du peuple, d’affameurs, car riches et donc suspects.

Le repas est un moment privilégié qui rapproche souvent les hommes. Au cours de la conversation, j’ai ainsi la confirmation qu’ils sont suspectés d’être des ennemis de la république, des ennemis de l’intérieur du simple fait d'être aristocrates. J’apprends également qu’ils doivent être jugés demain et qu’ils ne se font aucune illusion sur leur sort.

Je leur raconte à mon tour ma vie, mes études de chimie, ma passion pour la recherche scientifique, les inventions modernes, la connaissance, puis les raisons de mon internement, mon invention, le kinesiscope, une sorte de lanterne magique équipée d’un mécanisme actionné par une manivelle qui permet de donner l’illusion du mouvement si l’opérateur se sert de dessins réalisés à cet effet. Je leur explique comment j’ai accepté de reproduire et de diffuser en projection « la Feuille du Père Duchesne » de Hébert afin de pouvoir présenter par la même occasion mon spectacle dans les cercles parisiens. Le prestige du citoyen Hébert auprès du peuple de Paris sa grande notoriété dans les cercles révolutionnaires m’avaient, alors, ouvert bien des portes.

… chaleur !

On peut entendre le tonnerre gronder au loin, la chaleur lourde et humide nous envahit. C’est très inconfortable. Mes compagnons du moment semblent s’intéresser à la science, la technique et aux inventions.

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JI 26/05/18