Négociation et chantage [3/4]

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Le bateau navigue doucement devant la Tour Eiffel, et les exclamations de surprise et de joie s'ajoutent aux claquements des couverts sur les tables et les assiettes. Je tourne ma tête et retrouve la quasi-totalité du bateau proche des grandes fenêtres pour y prendre une photo souvenir. Cette fois-ci, je soupire, mécontente par la foule regroupée près de nous, je me sens étouffée. James s'enfonce dans son fauteuil et me fixe de son regard célestin.

Je ne le regarde pas, reconstituant les derniers éléments de son silence, qui auparavant si électrisant et envoûtant, est devenu un gouffre au creux de ma poitrine.

Et ce silence, je le dois à mes hypothèses : Mark Livingston, un homme semble-t-il sous couverture, un marchand d'art et un adepte des massages érotiques, et de Lauren, potentiellement infidèle d'après les doutes de James. Comment avoir des réponses après sa mort ? Qu'attend-il réellement ? Des aveux de cet hypocrite de Mark dont ni le nom ni le prénom ni la profession nous révèlent qui il est ? Bien que je comprenne ses tourments, j'aimerais qu'il me remarque et pas seulement quand il a besoin de faire l'amour. Il veille des nuits ! Il les passe à faire des recherches sur son ordinateur, ce que j'ai pu confirmer en feignant de dormir. C'est d'ailleurs sa voix qui m'a réveillé lorsqu'il était au téléphone avec je ne sais qui. C'est un réel obsessionnel, sur tout ce qu'il décide d'entreprendre, James ira jusqu'au bout, même s'il doit se bousiller la santé.

Au-delà de mes tourments, je ne dirai pas que je m'ennuie, ces trois semaines ont été les plus douces de ma vie. Nous avons ri, dansé, passé nos nuits dans la chaleur corporelle, mangé à n'importe quelle heure. C'est excitant de se cacher dans un bureau à l'Université. Pourtant quand tout cette excitation retombait, j'aurais apprécié des confidences sur lui, sa famille, son enfance, ses origines, ses souvenirs, même de ses états d'âmes ! Comme ferait un couple, un vrai. Mais comment le faire parler alors qu'il ne répond que par monosyllabes ? Donc mes meilleurs arguments sont soit ce silence éprouvant soit la confrontation.

Soudain, une silhouette familière me tourne le dos et je réfléchis rapidement.

Où est-ce que je l'ai déjà croisé ? D'où je la connais. Ada ! Une des filles du département Histoire de l'Art qui vient de rejoindre au dernier trimestre l'option Symbologie dans l'Art de James. Je cherche furtivement sa sœur jumelle, Aure, mais ne la trouve pas. Mon cœur palpite de plus en plus vite.

Ca va sweety ?

— James ne te retourne pas, il y a l'une de tes étudiantes derrière toi. Je vais me lever et aller aux toilettes sans me faire voir. Tu vas payer l'addition et me retrouver lorsqu'il y a un prochain arrêt.

— Bien. Sauf que ce n'est pas avant une heure. Tu ne vas pas rester dans les toilettes tout ce temps, si ?

— Tu as une meilleure idée peut-être ? Oh merde, la voilà qui rapplique !

Je récupère mon sac illico presto et fonce droit vers les WC en espérant qu'Ada ne m'est pas vue.

Quinze minutes plus tard, James m'écrit :

— La voie est libre.

Il suffit que je sorte le nez dehors pour entendre la sonnerie de mon téléphone pour m'indiquer un nouveau message, trop tard, je suis à découvert et croise Ada tout près, sur le point de se retourner vers moi. J'accélère le pas et m'installe face à un gros monsieur, surpris de me voir à sa table. En tête à tête avec l'inconnu, j'explose faussement de rire.

— Charlie ?

Merde je suis repérée. Couillone, t'as ri comme une bécasse aussi !

Je jette un coup d'œil discret à James, et il semble s'amuser de la situation. Moi, je suis en train de fondre de honte et d'angoisse.

— Oh Ada ! Comment vas-tu ?

Elle s'avance tout sourire. Au même instant, une dame d'une soixantaine d'années, perchée sur des talons aiguilles se racle la gorge. Je lève la tête à son encontre en tentant un sourire gêné.

— Vous êtes à ma place mademoiselle.

Je ris. Trop fort. Trop faux. Et regarde Ada qui lève un sourcil. Et j'ai envie de pleurer d'embarras, prise la main dans le sac.

— Et toi évidemment tu ne dis rien !

— Mais Mamour....

— Mais, mais... le singe-t-elle.

Je m'échappe de la table en me retrouvant nez à nez avec ma collègue de classe.

— Charlie, je t'ai vu en compagnie avec le prof en arrivant, pas besoin de le cacher. Viens, il semble bien seul à t'attendre.

James se lève pour me laisser me rasseoir. Et demande au serveur s'il peut mettre une troisième chaise à la table quelques minutes, la demoiselle se joint à nous. Comment fait-il pour ne pas paniquer ?

— Professeur Taylor, vous êtes sur votre 31 ! Je suis l'une de vos étudiantes...

— Mlle Katane. Vous prendrez une douceur avec nous ?

— Non, c'est très gentil, mon père m'attend. Ma sœur est malade elle n'a pas pu se joindre à nous.

Tandis qu'ils s'échangent des banalités comme si de rien était, je m'enfonce un peu plus dans le meilleur des possibles au fond de mon siège, une main sur mon front, presque certaine d'avoir une migraine.

— Bon, je veux tout savoir. Qui est au courant pour vous deux ?

— Comment ça pour nous deux ?

— Votre relation ... hum ... quoi régulière ? Marché entre vous ?

J'écarquille les yeux aussi gros que cela puisse être possible. Vexée par son interprétation ! Je me revois à sa place il y a deux ans en arrière, et Camille était à la mienne.

Mais ils n'étaient pas amoureux tous les deux ! Et James qui ne dit rien ! J'ai envie de le gifler comme le jour où j'ai surpris Mollet à assister sans défendre Camille.

Je reprends mes esprits, mon sang-froid et efface toutes expressions de mon visage.

— Qu'est-ce que tu veux au juste ?

Elle sourit et se tourne vers James.

— Vous lui donnez de meilleures notes parce qu'elle couche avec vous ? lui demande-t-elle avec un signe de tête vers moi.

James, professionnel et pas embarrassé le moins du monde, lui glisse un léger :

— Parce que c'est une très bonne élève, très intuitive, un sens de la logique inouï et une acuité mentale hors norme.

Ada sourit gracieusement.

— C'est vrai, Charlie est géniale !

Emue, je lui souris à mon tour. Le coude en appui, repose le menton sur le bout des doigts, la main vers l'extérieur, le bras en torsion, elle cherche à nous manipuler. Je tente le regard vers James, calme et attentif à sa demande.

— Et si le bahut le savait pour vous ? A votre avis, ça vous impliquerait tous les deux dans... quoi ?

J'interviens, presque dans un supplice.

— Ada, s'il te plaît n'en parle pas....

Soudain, je tremble légèrement. Je revois mes anciens collègues de lycée se moquaient de moi, chuchotaient à mon passage, me montraient du doigt, me sortir des réflexions dans les couloirs. Je ne veux pas qu'on interprète mal ma relation avec James et lorsque je croise le regard de mon amant, il comprend.

— Que voulez-vous ?

— Deux points de plus sur mes notes.

James s'enfonce au fond de son fauteuil et croise les jambes. Son pouce frotte frénétiquement son index, en place à une grande réflexion sans lâcher du regard Ada, qui se sent soudain bousculée par cette étrange attitude. Moi, je la connais, il cherche une négociation. Ma respiration se coupe dans l'attente d'un compromis.

— Non. Je ne tricherais pas sur vos notes.

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