La vengeance d'un peintre [1/2]
Charlie -
Les derniers étudiants entrent en classe tandis que j'enlève ma veste et pose mes affaires sur mon bureau, prête pour le cours de symbologie.
Hier soir, je n'ai pas dormi chez James, ayant un long devoir à rendre sur mon stage de préprofessionnalisation, et je suis émoustillée de le voir, charismatique face à nous.
Nous l'attendons quelques minutes et cela ne lui ressemble pas. Je m'inquiète et pense à l'appeler lorsqu'il apparaît, les traits tirés.
– Excusez-moi pour ce retard.
Un silence règne. Il dépose sa veste, longe le couloir jusqu'au fond de la classe pour y placer le diapo et mettre le tableau à étudier, sans trop tarder.
Il ne me jette aucun coup d'oeil et je le fixe, sourcils froncés. Il semble fatigué. A-t-il encore fait ses recherches toute la nuit ?
L'image s'illumine devant nous. Je connais ce tableau, dit celui de la vengeance contre son modèle.
Je dévisage James, qui semble apte à en découdre avec ces ressentiments. Il ne parle pas, mais alors par l'interprétation et si vous la saisissez suffisamment, on peut décoder les émotions que traversent le professeur. Quelque chose que je lui ai reproché, il y a quelques semaines lors de nos disputes, et ce week-end. Rien y fait.
– L'œuvre que nous allons étudié aujourd'hui est Portrait de Mademoiselle Lange en Danae peint par ? demande-t-il, en attaquant directement après l'appel.
– Anne-Louis Girodet, entendis-je à ma droite.
– En quelle année ?
– 1799.
– Période de deux mouvements artistiques : le néo-classicisme et le romantisme. Qu'est-ce qui nous montre que le peintre a mélangé les deux ?
Mains derrière le dos, James pose les questions habituelles tout en regardant le sol et marche en large de la classe.
– L'inspiration sur l'Antiquité grecque par Danae ? répond Valentin.
– Oui, mais qui est Danae ?
– Fille d'Acrisius, roi d'Argos, et mère de Persée, interviens-je, ne le quittant pas des yeux. Son père Acrisius effrayé par l'Oracle de Delphes, qui lui prédisait qu'il serait tué par son petit-fils, emprisonne sa fille Danae dans une salle souterraine, tout en bronze, ou d'airain d'après les écrits d'Horace et d'Ovide.
Et d'un rictus ironique, je continue :
– Mais Zeus, impénitent séducteur se change en pluie d'or et, par le toit, se laisse couler dans le sein de Danae. Le fruit sera le héros Persée, qui des années plus tard, lors des jeux funéraires de Larissa, lancera le disque qui tua accidentellement Acrisius. Selon le mythe, Danae a eu plus d'amants que d'époux. Pour certains, Danaé représentait la femme pudique, enfermée dans une tour, devenant un symbole de chasteté. Pour d'autres, Danaé pouvait représenter la femme corrompue, qui avait vendu sa pudeur pour de l'argent. Elle fut considérée comme une préfiguration de la Vierge Marie pour sa chasteté, de Zeus qui lui donna un enfant sans relations sexuelles, et d'un autre une Danae cupide qui vend son corps au dieu pour partager sa couche, d'où les sacs d'or représentatifs dans certains tableaux ou ici en pièce d'or, représenté par la pluie d'or de l'histoire.
– Connaissez-vous l'histoire du tableau ? Danae est représentée par une comédienne de l'époque qui est-ce ? continue-t-il, en s'attardant plus sur le tableau que sur ses élèves.
-– Mademoiselle Lange ? se risque Ada.
– Anne-Françoise-Elizabeth Lange dit Elise Lange, explique-t-il d'un ton assez sec. Une femme connue pour sa beauté sur les scènes parisiennes. Anne Louis Girodet reçoit en 1978 la commande du portrait de la comédienne et se réjouit de montrer son talent. Or, lors de l'exposition au Salon en 1799, Elise Lange désapprouve la peinture d'elle-même en Vénus qu'il a faite d'elle, et lui lance glacement : « veuillez, Monsieur, me rendre le service de retirer de l'exposition le portrait qui, dit-on, ne peut rien pour votre gloire et qui compromettait ma réputation de beauté ! » . La fureur de l'artiste est telle qui lui renvoie la toile lacérée et peint celle-ci, une Elise Lange en Danae, prostituée par ses deux enfants mis au monde hors mariage, mettant en scène son amant et son mari, et elle fascinée par l'or. Une médiocre scène de la comédienne, symbolique mais réaliste. Après cela, Mademoiselle Lange dut interrompre sa carrière de Merveilleuse à la suite du scandale et elle partit mourir de langueur en Italie. Elle décède à Florence.
En fait, il ne semble pas en colère, il l'est clairement.
– Passons maintenant aux symboles, s'il vous plaît.
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