Tout le Temps du Monde.

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Sweet Melody, wine up yuh body ‘pon mi

Yuh lovin baby girl, you know mi need it, need it

Let me fight for it, mi achieve it, ‘chieve it

Sweet Melody, wine up yuh body ‘pon mi

Yuh lovin baby girl, you know mi need it, need it

Let me fight for it, mi achieve it, ‘chieve it

Léto ouvrit un œil, puis le referma directement par réflexe. Il faisait déjà jour, et les rayons du soleil pénétraient déjà dans sa chambre. La jeune femme mit du temps à les rouvrir, profitant de cet instant pour s’étirer et pour émerger du sommeil sans rêve duquel elle se réveillait. Elle tendit sa main vers la table de nuit, saisit son portable et éteignit son réveil. 8H30. Elle avait exactement une heure devant elle avant son premier rendez-vous de la journée. Léto visualisa mentalement son agenda pour tenter de se souvenir du patient. Si elle ne se trompait pas, ce serait avec Mathilde Lechanal qu’elle commencerai la journée.

Une fois qu’elle eu terminé sa toilette et avalé son premier thé de la journée, Léto jeta un bref coup d’œil dans ses notes. Mathilde et elles avaient déjà eu trois séances, lors desquelles la psychothérapeute avait délimité leur zone de travail et leur objectifs à long et à court terme. Sa patiente avait évoqué son besoin de liberté et celui de se retrouver en temps que femme. Léto avait alors soupçonné une certaine emprise affective dans le couple de la quinquagénaire. Il fallait absolument qu’elle creuse un peu plus cet aspect lors de la séance du jour.

Comme à son habitude, Mathilde Lechanal attendit quelques secondes devant la porte du cabinet avant de prendre son courage à deux mains et de signaler sa présence. Elle avait toujours cette petite boule au ventre, cette appréhension de ne pas savoir à quelle sauce elle allait être dévorée. Cette petite angoisse disparaissait aussitôt que le sourire de sa psychothérapeute apparaissait dans entrebâillement de la porte, et que la lumière chaleureuse de son appartement l’enveloppait tout entière.

_ Bonjour, Mme Lechanal. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

_ Un peu anxieuse, comme à mon habitude. Mais je sais qu’elle se dissipera dans une tasse thé, répondit-elle dans un sourire timide. Cette remarque arracha un sourire à sa thérapeute.

Dès que Mathilde fut installée, Léto s’affaira à la préparation de leur boisson. Cette fois-ci, Mathilde avait choisi un thé vert à la menthe. La jeune femme s’étonna d’un choix si commun pour cette femme qui souhaitait tant sortir de sa zone de confort. Il était possible que l’anxiété de sa patiente la pousse à vouloir rester dans des eaux connues. Et ce n’était pas une si mauvaise chose. La séance d’aujourd’hui aller être éprouvante. Une fois qu’elle eu terminé, Léto apporta le plateau qu’elle posa sur la table, puis s’assit à son tour en face de sa patiente.

_ Si vous le voulez bien, j’aimerais que nous abordions plus en détail la relation que vous avez avec votre mari.

Mathilde haussa un sourcil d’étonnement.

_ Que souhaitez vous-savoir ? répondit-elle en acceptant la tasse que lui tendait sa thérapeute.

_ Ce n’est pas tant ce que je veux savoir. Ce qui m’intéresse réellement est le regard que vous portez sur cette relation. Comment est-ce que vous la vivez ? Quelles sont les dynamiques qui la traversent. Je ne suis pas là pour poser un jugement de valeur, mais pour mieux vous comprendre afin de vous aider.

Les épaules de Mathilde se relâchèrent. Elle semblait plus détendue, même s’il était évident que cette question en particulier la mettait mal à l’aise.

_ Mon époux et moi sommes mariés depuis trente ans déjà. Nous étions jeunes. Surtout moi. Nous avons toujours été très fusionnels. Toujours l’un avec l’autre, nous faisons les mêmes activités ensemble.

_ Et cela ne vous a jamais dérangée ?

_ Non. (Mathilde touilla machinalement avec sa petite cuillère). Non pas vraiment. J’étais heureuse d’être aussi proche de lui. Et que lui le soit de moi.

_ Alors pourquoi avez-vous pris rendez-vous ? Il me semble que le but principal de ces entretiens et le besoin de liberté que vous avez mentionné lors de nos dernières séances.

_ Oui, c’est bien cela.

_ Alors, pourrais-je savoir comment vous-êtes vous rendue compte que vous en aviez tant besoin ? Quel a été l’élément à l’origine de votre prise de conscience ?

Mathilde leva les yeux. Son regard se perdit dans les feuilles fendues de monstera qui recouvraient de vert le mur blanc qui lui faisait face. Comment s’était-elle rendue compte que quelque chose clochait ? Léto la regardait avec pudeur, lui laissant le temps dont elle avait besoin pour réunir son courage et ses mots. Quand sa patiente entrouvrit la bouche pour prendre une légère inspiration, la jeune femme était déjà tout ouïe.

_ Ce fut tout simple, mais long et douloureux, commença la quinquagénaire. J’ai eu un accident, il y a un an. Je suis tombée. J’étais seule à la maison, et je suis tombée dans les escaliers. Je m’en suis sortie avec une commotion cérébrale et une clavicule cassée.

La cicatrice, pensa Léto.

_ J’ai eu peur pour ma vie. Vraiment très peur. Pendant ma convalescence, je me suis jurée de faire tout ce dont je rêvais depuis des années. J’ai toujours aimé la danse. Depuis que je suis jeune, je rêve de danser (elle sourit tandis qu’elle prononçait le mot danse). Alors j’en ai parlé à mon mari dès que j’étais remise sur pied. Je lui ai tout de suite fait part de mon désir de commencer la danse.

Elle fit une pause dans son discours. Léto perçut une douleur noueuse et sourde dans son regard. Elle avait été peinée. Et elle portait cette peine tout au fond d’elle. Une peine qui l’empêchait de déployer ses ailes.

_ Il s’est moqué de moi, finit par dire Mathilde. Gentiment, mais tout de même. Il m’a dit que j’étais trop vieille pour ça. Que personne n’accepterait une quinquagénaire qui ne savait pas placer un pied devant l’autre. Qu’il aurait fallu que je m’y mette bien avant.

Léto put sentir son cœur se serrer dans sa poitrine. Elle ne connaissait que trop bien ces « moqueries gentilles ». Ces « conseils » et ces « avis ». Elle dut faire un effort important pour ne pas une nouvelle fois s’identifier à la situation de sa patiente. Mais elle savait que cela était presque impossible.

_ Et qu’avez-vous ressentis à cet instant ? questionna la jeune femme, tout en étant vigilante aux variations que prenait sa voix.

_ J’étais peinée, profondément peinée. Et déçue. Je m’attendais à ce qu’il m’encourage, qu’il me dise « Oui chérie, tu en es capable ». C’est ce que j’aurai fais pour lui. Mais il n’a rien dit de tout ça.

C’était la colère, à présent, qui étranglait la voix de Mathilde. Elle était furieuse.

_ Il m’a dit que je devais m’y mettre bien avant, mais je ne pouvais pas ! Je devais élever quatre enfants, les enfants que lui voulait ! Et je l’ai fait avec amour. Mais pour le faire j’ai dû quitter mon poste d’enseignante, celui que j’aimais tant ! J’ai dû renoncer à tellement de choses pour lui et pour notre famille. Je l’ai toujours suivi lui et ses décisions, toujours soutenu dans ses perspectives de carrière ! (sa voix devenait de plus en plus aiguë tandis qu’elle vidait son sac). Il ne m’a pas remerciée une seule fois ! Et je n’ai pas attendu de remerciement d’ailleurs. Je suis tellement en colère !

Des larmes rondes et lourdent coulaient à présent sur les joues de Mathilde. Elle se rendait à présent compte de toute la colère et de toute la rancœur tapis en elle depuis des années, sans même qu’elle ne s’en rende compte.

_ Mme Lechanal, appela doucement Léto d’une douceur toute mesurée. Avez-vous déjà parlé de tout cela avec votre mari ?

Mathilde la regarda stupéfaite, comme si sa thérapeute lui avait dit une absurdité.

_ Non, bien sûr que non. C’est normal de prendre soin de sa famille. Ce serait de l’ingratitude de me plaindre.

Léto observa un instant sa patiente. Il était claire qu’elle était habitée par de multiples barrières qui mettraient du temps à s’effondrer. Mais elles avaient tout le temps du monde.

_ Mme Lechanal, vous considérez-vous comme un membre de votre famille ? Je veux dire, comme un membre à part entière.

Sa patiente lui lança une nouvelle fois un regard perplexe.

_ Oui bien sûr, répondit-elle dans un souffle.

_ Si comme vous le dîtes vous vous considérez comme un membre à part entière de votre famille, alors vous avez également le droit à tous les soins et tous les efforts que vous procurez à chacun des autres membres.

Ces paroles pleines de bienveillance et de gentillesse semblèrent pénétrer lentement, mais sûrement dans la conscience de Mathilde. Elle n’y avait jamais pensé. « Membre à part entière ». Oui, elle était elle aussi en droit de demander ce qu’elle avait donné, et ce qu’elle donnait à tous les autres. De l’Amour et du Respect. Puis l’inquiétude la reprit. Une question lui brûlait les lèvres.

_ Je comprends bien ce que vous dites, répondit-elle, mais comment changer un comportement ancré en moi depuis tant d’années ? Et mon mari dans tout ça ?

Léto sourit légèrement, puis prit la théière et versa à nouveau le liquide brûlant dans la tasse de sa patiente, puis dans la sienne.

_ Du temps et de la répétition. Mais ne soyez pas inquiète. Vous n’êtes pas toute seule dans cette démarche. Et puis… nous avons tout le temps du monde.

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