Apprivoisée

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La rancoeur de Léto s’effaça à la vue des larmes de sa jeune patiente. Elle ne pouvait rester colère plus longtemps. Imany méritait que les adultes se comportent de manière responsable. Ils le lui devaient. La jeune femme inspira profondément, les yeux clos.

_ J’apprécie vos excuses, Madame, répondit Léto. Je tenais également à m’excuser.

Mme Duboy haussa un sourcil de surprise.

_ J’ai laissé ma rancoeur occulter mon jugement. J’aimerai, si Imany le souhaite, que nous repartions toutes sur des bases saines. Imany, qu’est-ce que tu en penses ?

L’adolescente se contenta d’hocher la tête.

_ Mais avant que nous reprenions notre travail, j’aimerai faire une chose.

_ Tout ce que vous voulez, répondit Mme Duboy avec empressement. Nous ferons tout ce que vous jugez nécessaire, n’est-ce pas Imany ?

Imany hocha une nouvelle fois la tête. Ses doigts fin s’entortillaient les uns autour des autres, formant des nœuds entre ses phalanges. Elle voulait parler, dire au moins une chose, mais les mots ne sortaient pas. Léto remarqua son trouble et se pencha vers elle avec douceur :

_ Imany, dit la jeune femme, j’aimerai que ta mère et moi nous nous excusions. Nous n’avons pas eu le comportement approprié à ton égard, et nous n'avons pas fait de notre mieux pour que tu puisses guérir.

Une lueur apparut dans les yeux de sa jeune patiente. Une lumière prudente, certes, mais pleine d’espoir et de reconnaissance. Elle n’aurait jamais cru que des adultes lui proposent de s’excuser. Cela était-il même possible ? Elle savait au fond d’elle-même que c’était ce qu’elle avait toujours voulu, non, plutôt ce dont elle avait toujours eu besoin. Qu’on lui demande pardon. Qu’un adulte la croit et reconnaisse qu’il lui avait fait du tort. Qu’une personne comme elle méritait également des excuses.

Mme Duboy eut un léger mouvement de recul. S’excuser ? Demander pardon à sa propre fille ? Impossible. Les adultes ne s’excusaient jamais. Ils ne reconnaissaient pas leur erreur devant leurs enfants. En tout cas pas concernant l’éducation qui leur donnaient. On ne faisait pas ça chez elle. Et cette thérapeute devait être bien placée pour le savoir. Voulait-elle qu’elle l’humilie devant sa fille ? Qu’Imany ne la respecte plus ? Qu’elle ne la prenne plus au sérieux ?

Léto reconnu dans les traits durs du visage de Mme Duboy la fierté fragile qu’elle avait vu tant de fois dans celui de sa mère. Il était inenvisageable pour les parents de sa communauté de s’excuser. Mais Léto devait quand même essayer de la convaincre. C’était sa seule chance d’obtenir réparation pour Imany, aussi minime soit-elle.

_ Mme Duboy, je suis consciente de ce que cela vous coûterait, reprit Léto en posant sa voix aussi respectieusement que possible. Je ne remet pas en question votre volonté de bien faire, ni vos qualités de mère, et encore moins l’amour que vous portez à votre fille. Mon but n’est pas non plus de vous humilier.

Le sourcil de Mme Duboy sursauta à cette dernière phrase, et son visage se referma encore plus. Léto voyait bien qu’il s’opérait en elle une lutte enragée. Son égo luttait pour survivre, et il était plus que probable qu’elle ne réussirait pas à le vaincre immédiatement. Même si Mme Duboy était bien intentionnée, elle avait encore besoin de temps.

_ Ecoutez, dit Léto avec douceur. Je ne vous demande pas de le faire immédiatement, mais je vous encourage fortement à y réfléchir. Cette étape est essentielle dans le rétablissement d’Imany.

La thérapeute se tourna ensuite vers sa jeune patiente. Léto pouvait sentir le flot d'émotions multiples qui la traversaient. Il y avait tellement de choses qu’elle devait encore dire. Tellement de souffrances sur lesquelles poser des mots. Mais un grand progrès avait eu lieu aujourd’hui, et la jeune fille pouvait s’en rendre compte.

_ Imany, appela doucement Léto (la jeune fille regarda sa thérapeute). J’aimerai qu’en attendant notre prochaine séance, tu puisses réfléchir à toutes les situations dans lesquelles tu ressens le besoin de te faire vomir. Nous en rediscuterons toutes les deux, d’accord ?

Imany hocha la tête. Léto s’assura qu’elle avait bien compris, puis se retourna vers Mme Duboy, l’air résolu. Elle n’avait pas du tout envie de créer un nouveau conflit avec elle, mais elle aussi allait devoir accepter ses instructions pour le bien de sa fille. Et accessoirement pour celui de sa thérapeute.

_ Mme Duboy, poursuivit la thérapeute. J’aimerai qu’à l’avenir, vous ne vous présentiez plus aux séances d’Imany. Je ne pourrai pas le tolérer une nouvelle fois. Je vous remercie pour votre initiative d’aujourd’hui, je l’ai grandement appréciée. Néanmoins, privilégions les entretiens téléphoniques si une situation similaire devait se représenter.

La mère de sa patiente se renfrogna. Il était évident qu’elle n'appréciait guère qu’on lui dise ce qu’elle devait faire. Etonnamment, elle choisit de se taire et se contenta également d’hocher la tête. C'était un certain progrès, nota Léto.

_ Bien, si nous n’avons rien à ajouter, nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Imany, je te vois dans une semaine.

_ Au revoir, Madame.

La mère et la fille se levèrent dans un même rythme et regagnèrent la porte d’entrée sous le regard bienveillant de la thérapeute. Une fois la porte refermée, Léto expira la tension accumulée dans un bruyant soupir. Elle avait réussi à contenir la bête féroce habitant dans les limbes de l’esprit de cette chère Mme Duboy . La jeune femme se devait absolument de brûler un bâton d’encens pour fêter ça.

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