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“ Le p’tit déjeuner, l’est-y à vot’ convenance Monsieur ?

-Parfait Faustine, vous vous surpassez! “

Lupin s’était réveillé de bonne humeur. Devant lui, un café crème, des fruits, des pâtisseries, des confitures… bien plus qu’il n’en fallait pour un seul homme. Ce qu’il ne mangeait pas, il l’offrait aux plus nécessiteux. Avec une gourmandise et un enthousiasme de grand enfant, il plongeait la main dans les corbeilles pleines en chantonnant. Une madeleine pour Arsène ! Un p’tit pain pour Lupin ! Les évènements de la veille lui paraissaient de lointains souvenirs. Son idylle avec Olga ? Oubliée ! Sa culpabilité envers son ami ? Bagatelles ! Après tout, n’était-il pas Lupin, personnage omniscient et omnipotent tenu d’être au courant des moindres faits et gestes de ses subordonnés? Il se saisit du journal posé près de lui et, soufflant sur son café, parcourut les titres.

“ Pas très intéressant ce canard… grommela-t-il . Débat houleux à la chambre au sujet des projets de coupes budgétaires…mmmmh… retour de voyage du baron de… d’accord… accident de taxi rue de la Tour-des-Dames, un jeune aristocrate tué sur le coup… morbide…. Ah ! Ah voici qui pourrait bien m’intéresser tiens… Monsieur et Madame d’Auclerc, qui résident rue Royale, ouvrent leur portes demain soir aux visiteurs afin d’exhiber un calice Cellini nouvellement acquis lors d’une vente aux enchères. Dame ! Voilà un bibelot que je serais ravi d’ajouter à ma collection !

Dans son excitation, Lupin fit un mouvement qui projeta vers le journal et la table un bon tiers du café-crème. Il épongea les dégâts en riant et finit la tasse d’une traite. Puis, chiffonnant le journal dont la lisibilité devenait plus questionnable à mesure que le liquide imprégnait le papier et mélangeait l’encre, le jeta dans une corbeille.

Le coup ne pouvait pas être exécuté avant une bonne semaine. De fait, les d’Auclerc avaient, le temps de l’ouverture de leur hôtel au public, engagé une bonne huitaine d’agents de la Sûreté qui se relayaient nuit et jour à l’entrée et à l’intérieur du bâtiment. Toutes les précautions étaient prises. L’inspecteur Ganimard lui-même qui, comme de juste, craignait une tentative de son monte-en-l’air national, se rendait régulièrement sur les lieux.

Lupin, pourtant, mit à profit ce délai. Un accès direct aux intérieurs de son prochain larcin ? C’était plus qu’un honnête homme ne pouvait espérer de la chance ! Accompagné d’Octave, il revint plusieurs jours sous différents costumes, saluant chaque fois pour son plus grand plaisir un Ganimard insoupçonneux de ses identités multiples. Un jour enfin, il détecta une brèche dans la surveillance, et en profita pour se faufiler dans les parties de l’hôtel non ouvertes à la visite. Tandis qu’Octave tournait autour du bâtiment et prenait des renseignements sans en avoir l’air, Lupin examina les différentes stratégies possibles d’entrée et de repli. Par chance, il ne croisa pas le moindre domestique, ceux-ci étant trop affairés à servir les visiteurs, et à s’assurer qu’aucun deux n’endommage ou ne salisse les meubles, tapis ou rideaux. Au bout de vingt minutes à peine, son esprit rompu à l’exercice avait enregistré les moindres couloirs, portes, fenêtres et mécanismes de verrous. Il s’apprêtait à ouvrir une porte qui, comme ses renseignements lui avaient appris, donnaient sur un vaste sous-sol qui servait d’entrepôt à certains objets d’art, lorsqu’un petit raclement de gorge derrière lui le fit tressaillir. C’était une jeune bonne, de dix-sept à dix-huit ans, qu’il n’avait pas entendu arriver, tant elle était menue et le tapis du couloir épais.

“ Monsieur est un ami ? interrogea-t-elle.

- Ma foi… fit Lupin en prenant des airs niais … non ! J’ai vu du monde dehors qui se pressait pour voir je ne sais quelle babiole de valeur alors bah… chuis entré. Ah pour sûr, le machin est admirable oui, oui ! Mais cette foule ma foi ! Ça me donne le tournis ! Alors j’ai voulu m’écarter un instant… Oh ! Sans vouloir déranger hein… mais je me suis perdu en cours de route… faut m’excuser ma pauv’ dame, je suis si oublieux vous comprenez ? “

L’intrus semblait si navré, et ses grands gestes maladroits étaient si comique, que la jeune fille le prit en pitié et le raccompagna de bon cœur . Au policier qui l’interrogea, Arsène Lupin sortit le même numéro, et on le laissa partir en riant. L’idiot d’ailleurs, était bien innofensif, et il ne cessait de faire la révérence, s’excusant encore du dérangement qu’il avait occasionné. Ganimard lui-même se tenait les côtes, et avait les larmes aux yeux. Hors de vue, Lupin vissa son chapeau sur sa tête et s’exclama, un immense sourire sur le visage : “ Plus c’est gros, plus ça passe ! Riez, riez… avec tous les tracas que je vais bientôt vous causer, je vous dois bien ça mes gaillards ! "

Lupin rejoignit Octave dans une petite rue à deux pas de l’hôtel. Ce dernier, faisant mine de demander du feu au nouveau venu, lui exposa chacun des détails qu’il avait pû noter. Il avait l’air fatigué depuis quelques jours, et ses traits tirés faisaient peine à voir. Son compagnon, pourtant, s’abstenait de l’interroger. Ils se quittèrent une dizaine de minutes plus tard. Lupin souriait, il avait en main tous les éléments nécessaires. Il n’y avait plus qu’à échafauder un plan et patienter.

***

Le coup était aisé, peut-être même l’un des plus élémentaires qu’Arsène Lupin eut jamais à fomenter. Les d’Auclerc avaient refermé leur hôtel au public et déclaré que le Cellini se trouvait désormais dans leur coffre à la banque. Dans un coffre, il y était bien, mais une amie de Lupin, placée depuis très longtemps chez le couple comme cuisinière, l’avait prévenu que c’était dans le propre bureau de monsieur Constantin d’Auclerc, et non à la banque, que le calice avait été apporté.

Pas d’échec possible. Lupin et Octave devaient entrer dans l’hôtel par une fenêtre du rez-de-chaussée. Les rondes de police nocturnes avaient été soigneusement notées et calculées par Octave, de sorte qu’il serait impossible aux deux complices d’être surpris. Lupin s’occuperait du coffre. Il était passé maître dans l’art de les percer, et ne s’en remettait qu’à lui-même lors de coups de si grande ampleur. Octave, lui, se chargerait de dénicher dans la bibliothèque quelques ouvrages particulièrement précieux dont Constantin d’Auclerc avait la fâcheuse manie de se vanter à tous les dîners mondains auxquels il était convié. Pendant ce temps, quatre des hommes de Lupin s’introduiraient dans le sous-sol par un passage dérobé qu’Octave avait signalé au patron, et déménageraient les plus importantes pièces de la collection qui s’y trouvaient. Arsène Lupin ne les avaient pas vues de ses yeux, mais il suivait depuis longtemps les acquisitions des d’Auclerc - comme celles de tous les collectionneurs de Paris d’ailleurs - et avait minutieusement catalogué les œuvres selon qu’elles étaient entreposées, exposées, revendues, de sorte qu’il était exactement certain du contenu de l’entrepôt. C’est par ce même passage que les deux comparses ressortiraient. Dehors, un fourgon les attendrait. Ils s’embarqueraient à l’arrière avec une partie des complices et le butin, et rejoindraient tranquillement une de leurs caches dans la campagne normande.

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