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“ Je n’en reviens pas que ce soit déjà pour ce soir ! s’exclama Octave. A chaque fois c’est pareil, j’ai l’impression que les préparatifs vont prendre une éternité et…le jour arrive presque sans que je m’en aperçoive. Eh alors patron… je me sens tout gosse quoi…
- Ah ! Le trac des grands soirs ! s’amusa Lupin.”
Plus calme, il saisit une fléchette et, prenant son temps pour jauger la trajectoire, visa. Le dard de métal fendit l’air et se planta au cœur de la cible dans un claquement. Le dernier coup était joué, et Lupin remportait la partie haut la main. Riant de l’expression déconfite de son compagnon, il s’attela à ranger le jeu.
« De la patience, de la minutie, et de la précision, Octave. prêcha-t-il. Et tu réussiras dans toutes tes entreprises. »
Il avait décroché une à une les fléchettes de la cible, et les remettait consciencieusement à leur place dans une petite boîte de marqueterie fine. L’opération s’effectuait sur une table console qui accueillait, entre autres, quelques livres précieux et un service à cognac. Le meuble se trouvait contre un mur. Au-dessus, un grand miroir permettait à Lupin d’observer discrètement ses invités lorsqu'il le jugeait nécessaire, ce qui, dans sa profession, était presque toujours le cas. C’est pourtant sans préméditation que son regard se posa sur le reflet d’Octave. Il s’arrêta pour observer plus attentivement le visage de son compagnon, sans que celui-ci le remarqua. Il lui trouva une expression qu’il ne lui avait jamais vue lorsqu’ils conversaient ou, plus simplement, lorsqu’ Octave avait conscience d’être observé. Il y lût de l’admiration, mieux, une de ces sortes d’adorations secrètes, qui alourdit les traits d’une tristesse immense. Lupin tressaillit et revint à sa tâche. Il connaissait l’emprise de son caractère sur les êtres qu’il côtoyait, qu’il les aida ou les combatit. Il savait quel pouvoir de séduction sa figure, son intelligence et sa gouaille exerçait sur les femmes. Il se savait aimé d’elles… Après tout, qu’un homme eût les mêmes penchants… La dernière fléchette manqua de lui glisser des doigts. Était-ce la raison pour laquelle Octave pouvait se montrer si distant ? Il releva les yeux vers l’image de son compagnon de façon, cette fois, à ce que leurs regards se croisent. Les secrets devenaient un peu trop lourds.
“ Allons, plaisanta Lupin, arrête de me regarder comme ça, tu vas finir par me faire rougir ! “
Octave sursauta.
“ Blague à part, ajouta-t-il, soudain sérieux, je t’ai vu l’autre soir, à Montmartre, entrer dans un dancing… Comment était-ce déjà ? Ah ! Oui ! La Poule aux Œufs d’Or. "
Lupin n’avait pas besoin de préciser le jour, ni d’avouer son indiscrétion. Il avait compris qu’Octave était un habitué de l’endroit. Le jeune homme pâli. Soudain, ses jambes ne le portaient plus. Il tituba et s’affala dans un fauteuil. Lupin déboucha la bouteille de cognac qui se trouvait sur la console et, ayant rempli un verre, se précipita vers lui.
“ Eh bien ! Eh bien !, s’affola-t-il. Faut pas se mettre dans des états pareils ! Tiens, bois, ça va te remettre.
- Patron ? ”
La voix était faible, éteinte. Lupin força le verre contre ses lèvres et l’obligea à boire. Octave pût se reprendre.
" Qu’est-ce que vous allez faire de moi maintenant ? demanda-t-il.”
Il ne semblait plus ni paniqué, ni suppliant, mais résigné. La gravité du ton secoua Lupin, qui s’empressa de répondre.
“ Quoi ? Mais rien pourquoi ? Ah ! Tu as peur que je te flanque à la porte ? Et au nom de quoi bon sang? De la morale publique ? Balivernes ! De la société ? Envoyée au diable depuis longtemps ! De la religion alors ? Peuh…”
Il fit un signe de la main, comme pour balayer les angoisses de son ami. Octave s’était redressé, un pâle sourire ravivait son visage, il termina son verre.
“ Si je ne m’abuse, continua Lupin, Matteo, qui s’occupe de chapeauter les renseignements, y joue un petit numéro comique sous le pseudonyme de La Berlue, hein ?
- Ma parole patron, s'étonna Octave, vous êtes bien renseigné!
- C’est mon travail, répondit-il. Bon sang, quelle trouille tu viens de me fiche ! Mais tu as l’air d’être remis déjà. Et heureusement, regarde l’heure !
- Puisque vous savez, tenta le jeune homme, il faut… il faut que je vous dise…
- Pas maintenant, le coupa Lupin, nous aurons tout le temps après, dans notre planque de Bec-Hellouin. C’est l’heure, il faut partir. “
Octave acquiesça et, sans un mot, rendit le verre à son compagnon et le suivit hors de la pièce.
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