4.2

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Une quatrième et dernière détonation. Le policier armé tituba et s’effondra, touché à la jambe. Comme Lupin l’avait prévu, son compagnon cessa la poursuite pour lui venir en aide. Il gagna le bord du toit et s’agenouilla. Octave était tombé quelques mètres plus bas, sur un toit moins élevé. Il rampait pour se mettre à couvert. Encore quelques mètres, et il se rendait invisible à tout observateur du dessus. Oubliant ses blessures, Lupin franchit en quelques secondes la distance qui le séparait du jeune homme. Le soutenant, il l’aida à gagner le couvert. Octave tomba de tout son poids sur les tuiles. Doucement, son compagnon l’installa dans une position plus confortable. La poitrine, les vêtements et les mains du jeune homme étaient pleines de sang. Lupin regardait ce sang, ce sang rouge, fluide, infâme, s’écouler, comme hypnotisé. La voix éteinte d’Octave, qui tentait de balbutier une phrase, le ramena à la réalité. Lupin se pencha, son visage à quelques centimètres du sien.

" Patron je ne veux pas… je ne veux pas mourir, répétait-il.

-Tu ne vas pas mourir, bêta, tenta de plaisanter Lupin. Allons, tu me fais confiance non ? Je vais te sortir de là, on a connu des déveines bien pires.. je vais te sortir de là. Fais moi confiance, je te jure que… "

À mesure qu’il parlait, sa voix se faisait moins assurée, s’éteignait jusqu’à s’étrangler. Son angoisse montait tandis que ses mains s’agitaient autour du blessé, cherchant désespérément un point de départ pour prodiguer des soins efficaces, le temps de pouvoir transporter le jeune homme vers un hôpital. Plus il cherchait, et plus la panique montait. Plus la panique montait, et moins Lupin parvenait à réfléchir correctement. Un sanglot déchira sa poitrine. Il tremblait.

Octave comprit. Tout doucement, il approcha sa main écarlate de la joue de Lupin et attira son visage vers le sien. Ses lèvres cherchèrent celles de son compagnon, s’y posèrent. Lupin ne se déroba pas. Il accueillit simplement ce geste d’adieu mêlé d’un aveu désespéré, y répondant presque imperceptiblement. De grosses larmes roulaient sur ses joues et sa poitrine était secouée de sanglots silencieux. Il sentait qu’entre ses bras une vie qui lui était chère s’éteignait, et qu’il n’y pouvait rien. Octave eut un spasme qui l’arracha à son compagnon. Son visage, un instant plus tôt apaisé, se contorsionnait de douleur.

" Pauvre gosse, pensa Lupin. Je peux pas te laisser souffrir comme ça."

Il sortit de sa poche un paquet de cigarettes et un briquet, en alluma une et la glissa entre les lèvres du jeune homme. Octave tira une bouffée avec difficulté, puis une autre. Lupin ne voyait plus, à la place du blessé, qu’une masse floue derrière un rideau de larmes. La main du jeune homme, cependant, le rappela à lui en tirant sur sa manche. Lupin s’essuya les yeux. Octave pointait la poche intérieure de sa veste. Il y glissa la main et en retira le portefeuille de son ami.

" Qu’est-ce que tu veux que… ? s’étrangla-t-il. "

Octave tenta de parler, mais les mots se bloquèrent dans sa gorge. Il eut un dernier spasme, puis plus rien.

Lupin se mordit les joues pour ne pas crier. Il rangea le portefeuille dans sa propre poche, ferma les yeux du jeune homme et retira la cigarette de ses lèvres pour la porter à sa bouche. Quelques secondes plus tard, il l’écrasait et la jetait au loin. Il prit son visage à deux main, tentant d’ignorer le froid, la douleur de ses blessures, l’afflux de sang qui lui montait au tempes, le corps inerte qui gisait à ses côtés. Soudain, il entendit du bruit au-dessus. Les policiers étaient revenus pour chercher les blessés sur les toits. Ils étaient nombreux.

Fuir, et sans attendre, il n’y avait pas d’autre option. Il devrait laisser son ami, son compagnon, là, pour sauver sa misérable existence. Une nouvelle salve de sanglots le parcourut. Il caressa le visage du jeune homme, arrangea ses boucles sur son front, pauvre toilette mortuaire. Puis, doucement, sans un bruit, se releva et s’enfuit, ombre chaotique et trébuchante. Plusieurs fois, il manqua de se rompre le cou. Dès que cela lui fut possible, il désescalada les façades en s’aidant des gouttières et des balcons, et se laissa glisser sur le sol. La pluie commençait à tomber. Lupin réalisa soudain qu’il était couvert de sang, depuis le visage jusqu’ au bas de la chemise. Sur ses vêtements, le sang d’Octave se mêlait au sien. Il se figea, victime d’un nouvel accablement. Encore un qui avait été prêt à donner sa vie pour lui. Encore un qui mourrait pour lui. Mais pourquoi ? Pourquoi diable le suivaient-ils tous ? Pourquoi avaient-ils tous en lui une confiance aveugle ? Lui qui n’était qu’un homme, et qui venait de faillir, et de faillir de la plus horrible des manières. Lupin sortit de sa poche le revolver d’Octave et vérifia les munitions. Il ne manquait qu’une cartouche, évidemment. Il fit claquer le barillet qui rentra dans le corps de l’arme. Un instant, il caressa une idée. Non. Il n’avait pas le droit de faire ça. Sa vie ne lui appartenait pas. Désormais, elle ne lui appartenait plus.

La pluie se faisait de plus en plus insistante, et Lupin entreprit de raser les murs en dissimulant du mieux qu’il pouvait le sang qui innondait sa chemise. Puis il revit Octave, ses yeux grands ouverts sur la mort, ses lèvres tentant d’articuler une dernière phrase inaudible. Une bouffée de panique lui étreignit la gorge. Il s’arrêta de nouveau et, s’adossant au mur, s’employa à refouler la crise. La situation était incertaine, et il se devait de garder son sang froid, au moins jusqu’à ce qu’il ait rejoint un abri sûr. Après… après on verrait bien. La raille était au courant de ce coup, qu’avait-elle deviné de plus? Le dénouement désastreux de l’affaire d’Auclerc lui faisait redouter une plus ample défaite. Aussi ne retourna-t-il pas à son hôtel, ni à aucune des résidences parisiennes qu’il occupait sous un faux nom. Il lui fallait autre chose, une planque plus sûre, que seuls ses complices les plus fiables connaissaient. Une cachette où même la police, dans la haute estime où elle le tenait malgré elle, n’irait pas le chercher. Il savait parfaitement où se rendre.

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