VI - Camille
Oui, je sais pourquoi tu es là, Louis.
Pour me faire payer.
Tu sais quoi ? Je ne sais pas si je regrette.
Après tout, j'ai juste... laissé les choses se faire.
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Je vois souvent Anaïs en dehors du lycée. Ça me fait du bien de lui parler. Grâce à elle je me sens... normale. C'est dur à expliquer, mais depuis notre rencontre, je vais beaucoup mieux.
J'arrive à surmonter les choses, à dompter le monstre.
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Ce matin, pour la première fois depuis une éternité, j'ai fait quelques exercices de Pilates.
Il était temps que je me réapproprie mon corps.
Louis était là, dans un coin de la pièce. Il me regardait sans rien dire. Peu importe. Maintenant, j'arrive à l'ignorer tout à fait. Il ne me gène plus. Vivre devant lui est devenu une douce provocation. Chaque fois que je sors du lit, je crie haut et fort que je suis vivante.
Tu m'entends ?
Je suis vivante !
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On frappe à la porte.
Il est quatorze heures trente. Je n'attends personne.
Quand j'ouvre, mes jambes flagellent. Je m'attendais à ce qu'il me rende visite un jour.
Noë.
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« Camille ? »
Que fais-tu là ? J'ai peur. Il veut se venger, il va m'agripper, me coller contre un mur et m'étrangler jusqu'à ce que mes artères implosent.
« Je suis Antoine. Le frère de Noë. »
Une colère sourde serpente entre ses mots.
« Je vous ai retrouvée grâce... À vrai dire, je me fous un peu que vous me croyiez ou non. Je vous ai retrouvée parce que mon frère m'a mis sur votre piste. »
Je sais de quoi il parle.
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« Maintenant, j'aimerais bien savoir pourquoi vous êtes venue le voir ce soir-là. Le soir où il est mort. »
Ses yeux sont pleins de rage. Sur le coup, je pense lui devoir une réponse. Je bredouille :
« Parce que je voulais lui dire... Enfin, je voulais lui dire que je savais, pour mon mari. Je savais pour eux. »
Je fais une pause.
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« Devant lui... je n'en ai pas été capable. Je l'ai regardé, longtemps. Analysé. Jugé. Puis je suis repartie. »
Il me fait peur. Il m'a déjà condamnée. Que croit-il ? Je craque.
« Je sais que votre frère est mort. Mon mari me l'avait dit. Et vous savez quoi ? Il en est mort, lui aussi. Il n'a pas supporté. Il l'aimait tellement... »
Mes larmes commencent à couler. Je crois que les siennes aussi.
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Je craque.
« Vous croyez que je vis comment, moi, avec tout ça ? Que c'est facile ? Vous débarquez chez moi avec un air de flic, vous me posez des questions de flic, mais vous êtes qui ? Vous vous prenez pour qui ?
- Je... excusez-moi. Je suis désolé. Sincèrement.
- Dégagez maintenant. Emportez vos fantômes avec vous. J'en ai déjà un, si vous voulez savoir. Prenez-le avec vous, lui aussi, si ça vous chante. Mais foutez-moi la paix. Tous ! »
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Tout est sorti. D'un coup.
Les choses s'apaisent en silence.
« Je suis désolée pour votre frère. Je suis désolée. »
Je m'affaisse contre le mur le plus proche. Le contact froid du plâtre me fait du bien. Je me sens fatiguée, tellement fatiguée. Vidée. Mais... soulagée.
Antoine s'approche de moi.
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Nous nous enlaçons.
Nous mêlons nos peines.
Tu aurais tellement voulu que ton frère ne se soit pas fait du mal tout seul. Que ce soit juste... un accident. Ou encore mieux : une vengeance.
Mon mari est mort. Il est mort de chagrin. Peu après avoir su pour ton frère, il s'est mis à boire beaucoup. Beaucoup trop. Il n'allait plus au travail.
Il a tout laissé tomber. J'étais comprise dans le lot.
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Je l'ai gardé à la maison, pourtant.
Je l'aimais toujours. Un amour emprunt d'une colère noire, du chaud et du froid mélangés. C'était dur.
Alors quand je l'ai découvert un soir, étalé sur le sol, je n'ai rien fait. Je me suis dit qu'avec un peu de chance...
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Je n'ai pas aimé ça, Louis. Je n'en ai tiré aucun plaisir.
Je n'ai pas aimé te regarder mourir.
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