Chapitre 6
La femme respirait lentement, retenant son souffle afin de ne pas troubler le sommeil réparateur de l’homme en cotte de mailles, allongé sur une table massive. Elle caressa du regard le visage buriné par l’écrasant soleil du Levant, encore jeune et pourtant si marqué par les épreuves traversées. Loup d’Ostèr, son sauveur alors que l’Espoir était mort, vaillant guerrier, chrétien tolérant, qui avait laissé sa foi dans les Ténèbres des souterrains secrets d’antiques cités du désert. Ils avaient été amants, durant les années de ses missions, jusqu’au jour où son esprit s’était enfui vers des lieux plus doux et qu’elle l’avait porté auprès du comte de Toulouse, loin de son propre pays à elle. On l’avait placé chez des moines alors qu’elle était tenue prisonnière dans une abbaye, forcée à apprendre la religion chrétienne, menacée de mort si elle ne se convertissait pas, ce qu’elle avait toujours refusé. Elle pensait s’échapper, mais Loup lui manquait, la retenait dans cette contrée hostile, jusqu’au jour où le comte de Toulouse lui-même vint la chercher : le guerrier était reparti en chasse, et il réclamait la présence de sa sœur d’armes. Équipée comme un homme afin de passer inaperçue, elle avait galopé le plus rapidement possible pour le retrouver, suivant le plan qu’il avait tracé et ordonné qu’on lui remette. Il était là, identique à ses souvenirs, les cheveux légèrement grisonnants aux tempes, son visage carré toujours aussi beau. Il ouvrit les yeux, soudainement, une main sur la garde de son épée.
Je rêve encore…
Non, mon doux ami, je suis bien là.
Elle se pencha et l’embrassa longuement, goûtant le sel sur ses lèvres. Il la déshabilla lentement, pour se nourrir de cet instant, contemplant sa beauté si différente de la pâleur des femmes chrétiennes. Imane se perdit dans ses bras.
Le souper mijotait dans la cheminée au fond de la grotte, la fumée s’évacuant par un trou naturel dans le plafond. Imane, amusée, regardait le guerrier remuer de temps en temps la tambouille. Il lui avait expliqué la mission et les dangers qu’elle représentait. Ils se mettraient au travail dès le lendemain au lever du soleil.
Loup avait fait le chemin jusqu’à la bergerie pour récupérer son épée auprès du berger. Il ne trouva personne à la maison. Ils devaient être au travail. Le guerrier descella la vieille pierre dans l’âtre froid et en retira l’arme puis la ceint avec des gestes sûrs. Sur le seuil, il sortit la lame pour la contempler à la lumière du soleil. Des lettres gravées sur le métal jetèrent un éclat bref. On pouvait y lire des phrases latines, grecques, arabes, hébraïques et des hiéroglyphes égyptiens. Elle avait été forgée à Jérusalem devant des savants de plusieurs religions et cultures. Ils avaient tous apposé des incantations, des formules qui la rendait spéciale. Loup avait douté au début de cette forme de magie qui n’avait rien à voir avec sa foi. Mais la foi l’avait abandonné, remplacée par la croyance en des forces surnaturelles incontrôlables et insoupçonnées. La puissance de l’arme pouvait en témoigner.
Il rejoignit Imane.
L’histoire ressemble à celle qui t’a mené vers moi, lui dit-elle en montant à cheval.
Nous savons ce que nous allons affronter. Hélas, nous ne sommes que deux. Autrefois, nous étions plus d’une cinquantaine…
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