Loup prit place dans l’église, parmi les notables et les grands de passage. Il avait une vue d’ensemble sur toute la congrégation. La messe commença avec une belle ponctualité. Les moines, attentifs, imperturbables, accomplissaient le déroulement de la cérémonie à la seconde près. Loup se permit un petit sourire satisfait.

Il reporta son attention sur ses voisins proches, éliminant d’emblée les voyageurs comme lui. Une vapeur blanche s’échappait des poitrines dans le froid de la salle, pourtant bien moins mordant qu’à l’extérieur. Les notables n’étaient pas très nombreux, jeunes pour la plupart. Il ne ressentait rien d’étrange. Seul le forgeron dégageait cette aura propre à ceux qui travaillent avec le feu et transforment la matière. Il s’attarda sur lui, dévisageant les traits volontaires et bonhommes du colosse. Il respirait fort et gardait ses mains épaisses sur ses genoux, droit comme une lance. Il nota la bague à son doigt. Il ne devait la mettre que pour les occasions comme celle-ci. Les armoiries frappées sur l’or d’un orange sombre éloignèrent aussitôt les soupçons de Loup. Il affichait les armes de la maison des comtes de Champagne. Il n’était donc pas originaire d’ici. Quand il releva les yeux pour poursuivre son examen, le forgeron le fixait avec un sourcil levé. Loup inclina lentement la tête en une profonde révérence. Il montra ostensiblement sa main droite ornée d’une bague gravée aux couleurs de ce qui était devenu le comté de Tripoli. Le forgeron hocha la tête. Les croisés se reconnaissaient entre eux.

Loup s’attarda sur l’abbé. Le vieil homme était encore vert, énergique et soucieux du bien-être de sa communauté, comme pouvaient en témoigner les nombreux chantiers d’agrandissements de la ville et du monastère, à présent en pause à cause de l’hiver. L’âge des moines s’étendait de quinze ans pour les plus jeunes à canonique pour quelques-uns.

Une lueur grise commença à poindre derrière les vitraux. Le moment était venu. Il se força au calme, à laisser ses sens dériver en toute liberté. Imane devait maintenant entrer en action.

Guilhem avançait d’un pas léger dans la neige. Il rencontra la barrière sans y prendre garde et grogna de douleur. Imane arriva à son tour et de la paume de la main éprouva le mur invisible. Elle confia l’épée de Loup au Normand et traversa sans problème.

— Bien… Il est temps.

Il la regarda faire. Elle prit différentes flasques dans un sac et en versa le contenu sur la neige, de part et d’autre de la protection, tout en murmurant des formules dans des langues qu’il ne comprenait pas.

— Quand une lumière bleue naîtra autour de toi, il te faudra traverser, rapidement. Je peux te garantir que le démon va te sentir passer…

Guilhem acquiesça et se tint prêt. Imane fit quelques pas en arrière, vers le village. Elle écarta légèrement ses bras et débuta un rituel venu du fond de la mémoire humaine. Guilhem se mit à transpirer, mal à l’aise. Cette langue l’angoissait. Il ne put retenir des tics nerveux, bougeant la tête par à-coups, à gauche, puis vers le haut, sa paupière droite se fermant douloureusement. Imane tournait maintenant ses mains devant elle dans une danse hypnotique. Ses yeux devinrent blancs un bref instant.

La neige se mit à fondre et une pulsation verdâtre s’évapora tout autour de lui. Le Normand se ressaisit et se mit à courir pour rejoindre la sorcière. Il ferma les yeux par crainte de percuter le mur. Quand il les ouvrit, il courait toujours, Imane à ses côtés. Ils avaient réussi. Ne restait plus qu’à rejoindre Loup le plus vite possible : il aurait besoin de l’épée pour vaincre le monstre.