Chapitre 6
Le moine poussa un cri strident en se levant, la main sur la poitrine. Il s’écroula au sol, essayant de se rattraper aux bras qui se tendaient vers lui. Il se reçut sur un genou, grimaçant de douleur. En un éclair, Loup fut sur lui et le prit par un coude. À sa grande surprise, le forgeron avait suivi. Ensemble, ils écartèrent les autres moines, et le portèrent sur le parvis, à l’air frais. Le forgeron s’agenouilla et commença à lui frotter le visage et la nuque avec de la neige. Loup ne quittait pas le malade des yeux. Leurs regards se croisèrent. Ils surent aussitôt qu’ils étaient ennemis et que seule la mort pourrait régler ce différend. Avant qu’il ne puisse tenter quelque chose contre le forgeron, Loup lui assena un coup de botte en pleine poitrine, le projetant à quelques mètres.
— Mais vous êtes fou ? beugla le robuste artisan.
— Ce n’est pas ce que vous croyez. Je suis Loup d’Ostèr, surnommé le Loup de Bigorre, je suis l’envoyé du comte de Toulouse.
— Je me moque de qui vous servez. Votre bague dit que vous êtes un ancien croisé, comme moi. C’est la seule raison pour laquelle je ne vous tue pas sur le champ ! Oser violenter un homme de Dieu !
— C’est un démon, répliqua Loup d’un ton tranquille, presque détaché.
Le moine s’était relevé et courait de toutes ses forces vers une ruelle adjacente. Il se retourna une seule fois. Ses yeux brûlaient d’un feu d’outre-tombe.
Loup se précipita, le forgeron sur ses talons. Le démon bifurqua plusieurs fois avant de tomber sur une impasse. Haletant, il fit enfin face à ses poursuivants qui… ne portaient pas d’armes… Il ricana d’une voix grave et profonde comme une cavité sans fond. Il se métamorphosait, mais sans vraiment pouvoir quitter la forme humaine qu’il avait revêtue pendant si longtemps. Le démon grogna, essayant d’ignorer la douleur dans sa poitrine. Le Viking avait pu franchir la barrière. Il serait bientôt là. Lui seul pouvait le renvoyer ou pire, l’anéantir. Il avait trouvé un refuge ici, loin des descendants des Hommes du Nord, s’emparant décennie après décennie d’un nouveau corps, toujours jeune et fort… La foi dont faisait preuve les gens en ces lieux le nourrissait toujours plus. Encore une petite centaine d’années et il aurait pu définitivement s’incarner dans le Monde des vivants et répandre son règne de terreur…
Loup hésitait. Il avait bien la dague d’Imane, cachée dans une botte, mais elle ne serait d’aucune utilité, à part lui faire gagner du temps. Le forgeron s’empara du couteau de chasse qu’il portait à la ceinture. Il le montra à Loup :
— Une arme d’apparat, mais qui sait faire son travail quand elle est bien maniée.
Ils chargèrent ensemble. L’adversaire attrapa le forgeron par l’épaule et l’envoya voler dans les airs. Le colosse percuta un mur et tomba assommé pour le compte. Loup réussit à porter une attaque mais la lame lui échappa des mains. Une patte griffue enserra sa tête et il se retrouva à trois mètres au-dessus des pavés.
— Maudit humain ! J’avais peur de toi il y a quelques instants. Mais tu n’as aucun pouvoir ! Tu seras mort avant que le Viking n’arrive. Je prendrai un autre corps et je pourrai poursuivre mon existence…
Il commença à serrer, se délectant des cris d’agonie de Loup qui s’agrippait de toutes ses forces au bras brûlant de son bourreau.
Annotations
Versions