Le client de la boulangère.1
I. Un pain au chocolat
Cela faisait maintenant presque un an que Paul était au chômage.
Avait-il mérité cette situation ? Il savait que oui, en partie.
Bien sûr, il n’était pas responsable de cette épidémie mondiale de Coronavirus, mais sa position professionnelle était fragile depuis plusieurs années et cette pandémie était venue couronner sa carrière chancelante.
— Bonjour Monsieur.
— Bonjour Madame.
L’homme était un grand échalas de presque 60 ans, un peu courbé, dont la démarche légèrement chaloupée provenait d’une faiblesse de sa hanche droite qu’il n’avait jamais voulu soigner.
À son âge et avec cet handicap, Il était persuadé qu’il ne retrouverait jamais de travail.
Paul venait chaque jour acheter son pain à la boulangerie du quartier.
En cette période de Coronavirus, il portait un masque médical qui cachait largement les expressions de son visage. La boulangère n’avait cependant eu aucune difficulté à le reconnaître la première fois qu’elle l’avait vu derrière ce déguisement.
— Comme d’habitude ?
— Oui je vous remercie.
La boulangère était une femme blonde bien habillée pour le commerce. Un peu plus âgée que lui, elle avait toujours ses cheveux très bien coiffés.
— Voulez-vous aussi un pain au chocolat ?
— Oui, s’il vous plaît.
— Voilà.
— Je vous remercie.
— Cela fait 3 euros 30.
Paul lui tendit sa carte le crédit.
La boulangère pris le terminal de paiement posé sur le rebord de marbre noir de la vitrine des pâtisseries et tapa le montant de l’achat sur le clavier, puis elle lui tendit l’appareil.
Il devait se concentrer avant de taper les numéros du code de sa carte bancaire car il les confondait encore avec ceux de l’alarme de son ancienne maison.
— Il va faire beau aujourd’hui ! Affirma la maîtresse des lieux, comme pour colorer cet instant de bleu, ou faire diversion.
— Oui c’est agréable.
— Vous allez partir en vacances prochainement ?
— Oui, je pars dans le midi dans deux semaines et je reviens après la mi-août.
— Quelle chance !
L’assistante de la boulangère plaça sur le plateau de verre les pains commandés, que Paul rangea immédiatement dans son sac.
— Je vous remercie ; je vous souhaite une bonne journée.
— Merci à vous. À demain !
Chaque jour, Il échangeait avec sa boulangère quelques propos banals mais ces mots simples et attentionnés le rassuraient. En achetant son pain, il avait l’impression de compter un peu, pour quelqu’un.
Paul n’avait plus ni famille ni ami proche.
Ses seules relations étaient sa boulangère et sa coiffeuse ; les derniers repères de son ancienne existence.
Depuis qu’il s’était retrouvé sans travail, il s’était demandé comment occuper son temps libéré.
Il ne s’était jamais rendu à la nouvelle médiathèque ; trop de souvenirs le rattachait encore à l’ancienne maison des livres, qu’il connaissait depuis son adolescence.
Il avait envisagé de s’inscrire à une association, mais sa timidité maladive freinait toutes ses intentions.
Il ressentait une peur panique à l’idée de se présenter à ses membres, être obligé de leur parler de son parcours, de sa vie.
Sa vie, … , il ne voulait plus en parler.
Il avait vécu trop longtemps pour savoir ce que la vie comporte comme part de déception et de renoncement.
Bien sûr, il avait aussi connu le bonheur, mais les expériences désagréables semblaient persister plus durablement dans sa mémoire.
Paul habitait un petit meublé au centre-ville ; c’était la solution la plus simple qu’il avait trouvée pour se loger après son divorce.
Son épouse et lui s’étaient séparés trois mois auparavant, sans heurt, après avoir passé tant d’années de vie heureuse ensemble.
Depuis qu’il était au chômage, ils n’avaient plus la même existence. Son ex-épouse était une femme dynamique, entreprenante et active. Elle, elle avait gardé son travail ; un travail qu’elle trouvait pourtant parfois trop prenant.
Lui, au contraire, était devenu au fil du temps passif et résigné ; il ne croyait plus en grand-chose.
Leurs filles avaient grandi et il ne les voyait plus.
Déjà, lorsqu’ils vivaient ensemble, ils n’avaient jamais eu beaucoup de choses à se dire, comme s’il avait existé une frontière invisible et muette entre les générations.
Peut-être avait-il été trop accaparé par son travail, lorsqu’elles étaient petites et ne leur avait-il pas consacré, alors, assez de temps.
Paul entra dans son immeuble.
Il ne prit pas l’ascenseur qui, exceptionnellement, n’était pas hors-service.
Il préféra emprunter l’escalier jusqu’au deuxième étage, où se trouvait son appartement.
Son ex-épouse avait quitté la ville depuis qu’ils avaient vendu leur pavillon. Elle habitait, maintenant, dans un appartement proche de Paris.
Leurs filles s’étaient éloignées de la région parisienne, pour vivre avec leur ami, dans des villes lointaines de province.
— Bonjour Monsieur Vidal.
— Bonjour …
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