La légende du grand Rock.

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Rock n’était pas du genre à s’en laisser conter.

Il maniait le barillet six-coups mieux que quiconque, et personne dans l’Ouest, n’aurait voulu se retrouver un jour sur son chemin.

Personne, pas tout à fait, car dans l’Est, un bon à rien, surnommé Stiup - aucun des habitants de la ville de Dumbbleglowne ne se souvenait d’ailleurs pourquoi - lut les exploits de Rock dans les journaux, et s’imagina qu’il pourrait, lui, le battre.

Stiup acheta une pétoire au drugstore de son quartier qui était tenu par la veuve Grandsmith.

L’ambitieux renégat s’entraîna durant plusieurs semaines sur des boîtes de haricots rouges vides qui traînaient en lisière de la ville, quand ce n’était pas sur des chats errants.

Et quand ce hors-la-loi à la petite semaine estima qu’il était prêt, il quitta, sans un regard, son vieux père, assis depuis plus de trente ans sur son fauteuil à bascule, sous le porche de sa cabane en planches de bois vermoulu.

Stiup cravacha son cheval à travers la poussière et les buissons épineux, jusqu’à ce que le pauvre animal crève d’épuisement.

Ce gibier de gibet poursuivit ensuite sans état d’âme sa route vers l’Ouest, mais les ampoules qui se développaient rapidement sous ses pieds lui suggérèrent de trouver un autre moyen de transport.

Une diligence l’emporta jusqu’au comté suivant, où les habitants ne lui firent pas bon accueil, sous prétexte que ce despérado aurait triché aux cartes, alors que c’était même pas vrai.

Stiup réussit in extremis à échapper au goudron et aux plumes, en ayant néanmoins conservé la plupart de ses gains de jeu.

Il dut pourtant reprendre son périple sur ses deux jambes ; la diligence refusant de transporter une vile canaille de son espèce.

L’habitant malfaisant de Dumbbleglowne se dirigea donc vers le comté suivant qui le rapprochait de l’Ouest, et croisa quelques chacals et serpents à sonnette, avec qui il s’entendit à merveille.

Dans l’État suivant, Stiup fut plus malin, et les bons bougres n’y virent que du feu lorsque le brigand les allégea de toutes leurs économies, avec ses dés pipés.

Riche d’une escarcelle rondement remplie, il acheta un nouveau canasson, que ce vaurien des Grandes Plaines prit soin cette fois de ménager un peu ; preuve que son esprit n’était pas totalement imperméable à toute leçon.

Lorsque Stiup arriva enfin dans le village où créchait Rock, il ne prit pas la précaution d’élaborer une stratégie d’attaque.

Ce coupe-jarret de l’Ouest se pointa directement devant le mythe. Le provoqua. Et le tua.

Stiup l’idiot fut le premier étonné de ce résultat. Les bookmakers furent ruinés. Les Unes des journaux affichèrent sa photo durant trois bonnes semaines, tant la réputation de Rock avait été illustre.

Cet exploit lui valut une telle célébrité que cent desperados qui rêvaient de lui faire la peau pour partager avec lui la célébrité du regretté grand Rock, l’attendaient maintenant sur son chemin de retour pour l’affronter.

Moins certain de réussir le même coup que celui qui avait déboulonné la légende, Stiup voyagea systématiquement de nuit, rampa sur le sable, et se dissimula derrière des cactus.

Lorsque ce pitoyable bretteur arriva enfin chez lui, son vieux père lui demanda s’il avait fait bonne route, et pour toute réponse Stiup répondit simplement :

- Oui, mais je me suis traîné tout le long du voyage, avec un roc dans ma chaussure.

Le père et le fils éclatèrent d’un rire franc et sans malice, et pour fêter çà, le vieux ouvrit une bouteille de whiskey de 1852, une excellente année paraît-il.

Ah, l’esprit du Far West était bien là, et c’était quand même quelque chose !

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