Gratuit.1
I. Une pause.
Les premiers jours de décembre étaient beaux, mais froids.
J’avais assez travaillé sur mon roman et m’accordais quelques heures de détente.
J’habitais tout près du quartier d’affaires de La Défense. En une dizaine de minutes, je pouvais me trouver sur son parvis.
Je m’habillais chaudement d’un manteau de laine, pris mon écharpe et mon bonnet et quittais mon appartement surchauffé.
Dans la petite rue où j’habitais, je croisais de nombreux promeneurs qui semblaient tous se rendre au même endroit : le marché de Noël.
L’air était sec et les dernières couleurs du soir disparaissaient derrière le voile de la nuit.
Les parents, vêtus de vêtements plus bigarrés qu’à l’ordinaire, tenaient leurs enfants par la main. Tous avaient hâte de se trouver devant les étals de bonhomme en pain d’épices et de pères Noël en chocolat.
Après avoir grimpé un premier escalier, nous nous sommes tous retrouvés sur l’escalator donnant sur la grande arche.
Les enfants, enthousiastes, demandaient à leurs parents ce qu’ils pourraient acheter.
L’escalator nous déposa devant la petite barrière blanche délimitant l’espace du marché.
Les visiteurs étaient nombreux ; grands et petits voulaient profiter des attractions.
Certains formaient des petits groupes, en dégustant un vin chaud à la cannelle dont le parfum épicé taquinait les narines.
D’autres achetaient des guirlandes fournies et multicolores.
Les enfants s’émerveillaient devant des présentoirs de personnages fabriqués en bois ou en tissus.
J’avançai parmi des éventaires, tous plus merveilleux les uns que les autres.
Chocolat, nougat, pain d’épices, bonbons au miel, cerises à l’eau-de-vie.
Je m’approchais d’un des stands dont la spécialité était les motifs figuratifs en chocolat ; chatons, poussins, canards, singes et pirates se démultipliaient sur un grand tréteau de bois recouvert d’une nappe en papier doré.
Les parents attendaient que leur progéniture ait choisi leurs figurines pour pouvoir payer.
Ma main droite s’approcha du bord du plateau.
Je pris le coin du présentoir entre mes doigts et le soulevai.
Le vendeur, occupé à encaisser les ventes, ne s’aperçut pas, tout de suite, de mon action.
Doucement, les petits personnages de chocolat, commencèrent à pencher ; certains se couchèrent sur la table, provoquant un bruit léger, couvert par le fond musical du marché.
Les enfants, qui étaient en train de choisir leurs personnages, se tournèrent vers moi, puis ce fut le tour de leurs parents.
— Eh mais, qu’est-ce que vous faites ? S’inquiéta alors le vendeur.
Je soulevai le plateau plus haut et l’ensemble des figurines commença à se déplacer vers la gauche, comme soumis à une force magique et irrésistible.
Lorsque les premiers canards dégringolèrent sur le sol, le vendeur tenta de m’en empêcher, mais, d’un mouvement sec, je terminai mon coup en soulevant la planche à 60 degrés et tous les personnages dévalèrent vers le sol.
Tous les personnages ne se cassèrent pas mais la totalité était au moins ébréchée.
Les parents étaient comme figés par mon acte et de nombreux enfants commençaient à pleurer.
Le vendeur arriva jusqu’à moi.
— Non mais ça ne va pas ! Pourquoi avez-vous fait ça ?
Il me saisit le bras, mais je le repoussai violemment et il chuta le dos contre le sol.
Je m’approchai de l’étal voisin. Le présentoir était couvert de casse-noisettes en terre cuite.
Je soulevais la planche devant les yeux ébahis des familles ; tous les personnages glissèrent vers le sol et se brisèrent en morceaux.
Le vendeur contourna son stand et tenta de me saisir par l’épaule.
Je l’esquivai et parcourus les quelques mètres qui me séparaient de l’éventaire suivant.
Son vendeur, qui avait suivi tout mon petit manège, se dressa devant moi, pendant que d’autres commerçants arrivaient à la rescousse.
D’un geste rapide, j’eus le temps de renverser le présentoir portant les bocaux de cerises à l’eau de vie, qui vinrent se fracasser bruyamment sur le sol, répandant des prunelles roses et parfumées sur tout le marché.
Le vendeur du stand voisin m’attrapa par derrière, en me bloquant les deux bras.
Le propriétaire des bocaux m’enserra le cou et me flanqua une claque diagonale. Le choc fut brutal et je sentis mon oreille siffler.
Les deux autres vendeurs, respectivement propriétaires des figurines de chocolat et des casse-noisettes, arrivèrent à leur tour et me frappèrent eux aussi au visage.
Le choc de leurs mains contre mes dents, m’ouvrit la lèvre supérieure et ma joue était endolorie.
Pour conclure la séance de représailles, le vendeur de chocolat crut bon de rajouter un bon coup de poing dans mon œil droit.
— D’où sort-il celui-là ? Attends mon gars, on va te trouver un policier pour t’expliquer.
Les quatre hommes m’accompagnèrent, solidement encadré, à travers tout le marché en direction du poste de sécurité.
A côté de la guérite de surveillance, je vis deux policiers qui discutaient.
— On vous apporte un client ! Dit le vendeur de casse-noisettes.
Les policiers interrompirent leur discussion et se tournèrent vers nous.
Ils purent constater que j’étais leur prisonnier et que je saignais de la bouche et de l’arcade sourcilière.
— Eh bien, vous l’avez bien arrangé. Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Il a fichu nos étals en l’air, répondit le vendeur d’eau-de-vie. Vous pouvez l’embarquer ?
Les policiers se tournèrent vers moi :
— Ça va ? me demanda l’un d’eux.
— Ça va. Répondis-je.
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