Mon ami Cervers.1
I. Une amitié.
Aneen s’était éveillée aux premières lueurs du jour.
Comme chaque matin, elle avait hâte de rejoindre Cervers, son ami.
Elle écarta le rideau en toile de sa chambre aux murs de chaux, traversa comme une flèche la cuisine, manquant presque de renverser la chaise, et échappa au regard de sa maman, tournée vers son plan de travail.
Elle poussa la porte de bois, et sortit en trombe de la pièce principale, laissant pénétrer dans la maison un petit nuage de poussière grise.
— Mange au moins quelque-chose ! Lui cria sa Maman, en tournant la tête, sans réel espoir de l’apercevoir.
— Pas le temps, Cervers m’attend. Répondit Aneen en courant sur le chemin, alors qu’elle était déjà loin.
Aneen s’était fait un nouvel ami fantastique, et depuis qu’elle l’avait rencontré, ils étaient devenus inséparables.
Leur rencontre, qui remontait seulement à trois, ou quatre jours, avait été insolite, tout comme les événements qui en ont résulté.
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Aneen venait d’avoir neuf ans.
« Que veut dire avoir neuf ans ? Se demandait-elle en observant son reflet dans le miroir placé à l’entrée de sa chambre. Est-on encore petit ? Ou bien déjà grand ? L’enfant que j’étais est-il toujours présent en moi ? Ou bien l’adulte que je vais devenir l’a-t-il déjà remplacé ? »
Aneen adorait se poser mille questions à la seconde.
De nature réfléchie, et aimait laisser ses pensées vagabonder lors de ses promenades dans la nature qui entourait le domaine familial.
Mais çà ne l’empêchait pourtant pas d’être active. Elle aimait marcher, mais aussi courir, sauter, nager dans l’étang, et découvrir de nouveaux endroits mystérieux et secrets.
Son caractère était direct. Généralement elle disait et faisait très rapidement ce que lui dictait son cerveau, ou peut-être plutôt son instinct très sûr.
Ses cheveux étaient châtains. Elle les aimait mi-courts, c’est à dire descendant jusqu’au haut du cou, et toujours un peu décoiffés.
Ses yeux étaient bleus, ou gris, ou verts, selon la saison, et l’heure de la journée.
Elle portait généralement un chemisier blanc, à manches courtes, et une jupe de toile, couleur daim, des socquettes courtes, et des chaussures basses rouges.
Son papa, et son grand frère, Froyl, de six ans son aîné, travaillaient à la plâtrerie du village de Psiella.
Sa maman gardait deux petits enfants Adak, et Pougy, respectivement de deux et quatre ans, que leur avait confiés une voisine qui avait dû reprendre son travail au commerce familial du bourg voisin de Novvau, et elle s’occupait aussi, en même temps, du potager familial.
Aneen allait depuis ses trois ans à l’école de Psiella, mais l’année prochaine, elle devrait prendre le car pour se rendre au collège du bourg.
Elle avait de nombreux amis, garçons et filles, mais son meilleur ami d’enfance était Horou, un garçon roux au visage long, couvert de tâches de rousseurs.
Bien que d’un an son aîné, Horou ne se montrait pas toujours très dégourdi, mais Aneen l’aimait énormément.
Elle ne l’avait pas beaucoup vu cette année, car depuis un an Horou était entré au collège du bourg, pourtant elle avait l’impression que cette expérience ne l’avait pas beaucoup fait grandir.
Maintenant, c’était l’été, et Aneen pouvait enfin profiter de la campagne avoisinante, gambader dans les prés, grimper sur les collines, et jouer avec ses amis.
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Aneen avait l’habitude, depuis qu’elle était toute petite, de se promener aux alentours de la maison de ses parents.
Elle affectionnait particulièrement une petite colline située derrière leur bâtisse, à environ un bon quart d’heure de marche, où elle aimait s’asseoir sur un gros rocher, et contempler le paysage environnant.
Lorsqu’elle parvint au sommet de la colline, le matin de la première rencontre avec son nouvel ami, elle remarqua combien la végétation était devenue sèche.
Nous étions au milieu de l’été, il n’y avait pas eu de pluie depuis le mois de mai. Les buissons étaient jaunis, les feuilles des arbres semblaient souffrir sous le chaud soleil du matin.
Pourtant, ces odeurs de feuilles et d’herbes sèches, sublimées par les dernières rosées matinales, rendaient l’air terriblement envoutant.
Elle n’avait pas remarquée, en arrivant au sommet de la colline, que dans le ciel totalement bleu, trônait un petit nuage blanc et cotonneux, posé pratiquement à l’aplomb d’un des acacias desséchés.
— Que fais-tu là, tout seul, petit nuage ? Se demanda-t-elle à voix haute. As-tu perdu ta maman ?
Aneen observait cette forme duveteuse, immobile dans le grand ciel d’été, et se demandait quel était son secret pour rester en l’air.
Elle continua à balayer du regard son paysage familier.
En une semaine tout avait jauni. Les fleurs de printemps avaient perdu leurs pétales, et les fleurs d’été attendaient des heures moins chaudes pour s’épanouir.
Son regard s’arrêta sur l’acacia, dont les feuilles vert-tendre au début de l’été étaient presque devenues grises sous l’effet des jours successifs de sécheresse, et au dessus de lui, ce nuage qui semblait figé, insensible à ses besoins de fraicheur.
— Eh, toi ! Tu ne pourrais pas arroser cet arbre assoiffé, au lieu de rester comme çà au milieu du ciel, les bras croisés.
Aneen reprit le tour d’horizon de son paysage favori, fait d’arbres nains, et de buissons aux feuilles colorés, tout en se disant que la Nature paraissait bien fragile.
Un bruit léger l’arracha à ses réflexions. Elle tourna la tête.
Ce bruit, intermittent, et doux, venait de l’acacia asséché qu’elle venait d’observer ; plus précisément, il semblait provenir de son feuillage.
Insensiblement, le son s’amplifia, et les feuilles de l’arbre se mirent à frémir.
Maintenant que les feuilles grises commençaient à prendre un aspect plus luisant, et que le bruit, tic-toc, ne laissait plus de place au doute, on devinait qu’il pleuvait sur l’acacia !
Aneen n’en croyait pas ses yeux. Elle leva la tête, et découvrit que, toujours seul dans le ciel entièrement bleu, le petit nuage rebondi arrosait l’arbre épineux assoiffé.
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