Inspection de locomotive et rapport de voyage

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Compagnie du Chemin de fer Treize-Flammes

Inspection de locomotive et rapport de voyage

Inspecteur : Robert Lancier

Date de l’inspection : 17 Mai 1864

Identifiant de la locomotive : Prototype, Horloge Express

L’Horloge Express est un nouveau type de locomotive à vapeur pouvant atteindre les 200 km/h et dont la consommation de combustible est un dixième de la consommation des appareils conventionnels. À la requête de la direction de la compagnie du Chemin de fer Treize-Flammes, le prototype sera installé sur nos rails et j'écrirai un rapport détaillé de mon inspection. Je suis arrivé sur le quai de la gare, mon carnet et un crayon en main, en attente de l’équipe de transport.

8:00

Le prototype est arrivé à l'heure prévue. J’ai du mal à contenir mon enthousiasme à la vue de cette impressionnante machine. Durant l’installation, j’ai pu observer l’extérieur de la locomotive. De couleur bronze et dorée, les rayons du soleil matinal se reflètent sur les parois métalliques comme dans un miroir. D’énormes rouages mécaniques constellent les côtés et entre en contact avec de plus petits engrenages pénétrant dans l’appareil. De plus, une extravagante horloge est exposée fièrement sur le nez de la locomotive, symbolisant l’engagement du conducteur de toujours arriver à l’heure. Mis à part les propriétés uniques susmentionnées, les dimensions sont conformes et s’apparentent à nos modèles de transport de marchandises.

Pour la démonstration, six voitures prototypes ont été attachés, dont trois pour le transport des passagers. Monsieur Muntz, l’inventeur de l’Horloge Express, avait insisté sur le fait que ces véhicules spéciaux étaient nécessaires au bon fonctionnement de l’appareil. Cependant, Muntz n’est étrangement pas présent aujourd’hui pour l’essai du prototype. Je suis quelque peu déçu de ne pas pouvoir rencontrer l’homme à l’origine d’un tel chef-d’œuvre. L’équipe d’installation est autant surprise que moi par son absence, mais ils m’ont expliqué qu’ils connaissent bien les mécanismes importants et ils m’ont assuré qu’aucun problème ne surviendra.

Sur cette lancée, l’ingénieur le plus expérimenté du groupe a pris l’initiative de m’expliquer les détails techniques. Nous sommes montés dans une voiture de transport et il a ouvert un panneau au plancher. Des centaines de rouages parcourent l’entièreté du train, certains de la taille d’un homme et d’autres sont si petits qu’ils pourraient être utilisés dans les mécanismes d’une montre de poche. La complexité de ce système est absolument ahurissante et je reconnais n’avoir aucune idée de comment il fonctionne. D’ailleurs, je redoute que la maintenance d’un tel assemblage soit extrêmement laborieuse et potentiellement coûteuse.

J’ai été informé que les engrenages permettent entre autres de conserver l’inertie du véhicule et de distribuer l’énergie de la chaudière directement aux véhicules remorqués, un phénomène qui me laisse sceptique. Du côté de la cabine du conducteur, à l’exception des nombreux rouages, le reste correspond à ce que l'on attend d’une locomotive adéquate. Les cadrans, le foyer, la chaudière et la boîte à fumée, tout est conforme. Je suis presque déçu de la normalité de ces éléments.

On m’a invité à m’asseoir dans une voiture et d’attendre la mise en route. Une série de sièges en cuir s’étendent de chaque côté et un grand tapis rouge traverse l’habitacle. Les murs intérieurs sont couverts d’une tapisserie fleurie grise et blanche quelque peu déprimante comparée aux parois étincelantes de l'extérieur. Au plafond, la tapisserie laisse place à une arche formée de panneaux métalliques perforés. De grandes fenêtres offrent une vue panoramique des environs, une caractéristique généralement appréciée par les passagers qui souhaitent profiter du paysage durant le voyage. Il est malheureusement difficile d’obtenir ce résultat en tenant compte des secousses générées par le mouvement du train.

Alors que je patientais, une femme munie d’un calepin et d’un crayon est embarquée dans la voiture, guidée par le chauffeur. Elle s’est assise en face de moi et nous avons discuté quelque temps. Elle m’a indiqué qu’elle est une journaliste contractée par Monsieur Muntz pour écrire un article élogieux de l’Horloge Express. Il sera publié dans Le Grand Matin, je penserai à le lire à ce moment. Plus important, elle m’a appris que l’absence de son employeur s’explique par le décès d’un membre de sa famille le soir de la veille. Apparemment, il y a eu un grave accident durant la maintenance du train. Alors que les panneaux du plancher des wagons étaient absents, quelqu’un serait tombé à l’intérieur pendant que la machine était en marche. Les détails de la tragédie sont nébuleux, mais je pense pouvoir imaginer l’horreur d’un corps se faisant écraser par le terrifiant système de rouages.

J’ai heureusement pu me sortir cette image de la tête lorsque Catherine précisa que ce n'était qu'une rumeur sans fondement venant d'un ouvrier congédié. Une fois le train en route, ma camarade de cabine et moi avons commencés à prendre des notes sur notre expérience de voyage. L’accélération de l’appareil est plutôt rapide. Je peux sentir de petites oscillations régulières à travers mon siège qui, je crois, sont dues à la rotation des rouages internes. Cette sensation est accompagnée d'un bruit cadencé de Tic-Tac caractéristique du mécanisme d’une horloge et qui prend de la vitesse à mesure que la locomotive accélère. Impressionné, j’ai estimé que nous nous déplacions déjà à plus de 100 km/h. Je n’y aurais jamais cru si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. Sans oublier que la stabilité de la voiture est irréprochable. Je peux facilement me lever et me déplacer à l’intérieur de l’habitacle, j’ai déambulé d’une extrémité à l’autre en appréciant le décor distingué puis je suis retourné m’asseoir pour continuer mon rapport.

Une expérience fascinante est survenue peu après. Je me suis mis à regarder par le paysage par la fenêtre défiler pour ce qui m’a paru des heures. Je me suis senti comme dans une transe, incapable de détourner le regard. J’ai fini par reprendre mes esprits, mais cet événement fut très étrange, suffisamment pour le prendre en note. J’observais simplement les motifs fleuris sur la bordure des fenêtres, je crois que ce sont des chrysanthèmes qui y sont gravés, puis je me suis soudain senti anormalement détendu. Je ne sais pas si c’est la fatigue ou un effet du cliquetis rythmé qui se fait entendre depuis le départ, mais je me suis retrouvé confus et inexplicablement fasciné par le panorama à l’extérieur. Vers la fin de ma contemplation, j’ai cru que le train était près d’achever son itinéraire. Ma surprise fut grande quand j’ai regardé ma montre, pour y lire que seulement quelques minutes étaient passées. Tout de même, j’évite désormais de porter mon regard vers les fenêtres dans la crainte de me perdre à nouveau dans mes pensées.

Le train a encore accéléré, par conséquent la vitesse du Tic-Tac aussi. Nous avons probablement atteint la vitesse maximale. J’ai soudain très mal à la tête, mais la journaliste qui m’accompagne ne semble pas affectée. Elle n’a pas décollé le nez de son calepin une seule fois depuis le début. Je vais lui parler un moment, ma migraine passera peut-être en me changeant les idées.

Notre discussion a été brève et j’ai de plus en plus mal à la tête. Toutefois, j’ai appris que j’étais le seul à souffrir de cette étrange affliction. Elle m’a donné son nom, Catherine Baudelaire. Nous n’avons pas conversé longtemps, seulement échangé quelques banalités. Elle était tellement concentrée sur l’écriture de son article qu’elle n’a même pas levé la tête. Ne voulant pas la déranger plus longtemps, je me suis également remis au travail. Si seulement ce bruit de Tic-Tac infernal pouvait s’arrêter !

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