Chapitre 2 Le départ - Alice
Mais qu’est ce que je fous là? Je regarde Lina, elle a son air détaché comme d'habitude, comme si rien ne l’atteignait. Moi je commence à avoir des bouffées de chaleur, des grosses auréoles commencent à se former sous mes bras. Merde, j’ai pas choisi la bonne couleur, la transpi sur du rouge ça se voit!...
J’ai dit oui à Lina sur un coup de tête, un soir où j’en avais ma claque de mon boulot de comptable. Coincée entre mon ordinateur et Béatrice, ma collègue de 50 ans dépressive depuis qu’elle a mis les pieds dans ce monde, les journées me semblent bien longues.
Damien n’a pas trop compris mon engouement pour partir, lui qui a toujours eu l’habitude de me voir à l’aise dans mes repères s’est demandé si je ne faisais pas une crise de démence. Il a finalement fini par me dire que ça me ferait du bien de sortir de ma zone de confort. Je le soupçonne surtout de vouloir rester seul quelques semaines.
Notre couple bat de l’aile, on ne se parle plus et on ne partage plus rien, bien loin de la passion des débuts. Nos soirées ne se résument plus qu’à un dîner partagé à la hâte dans l’espoir qu’un de nous deux trouve un sujet de conversation. On se cache ensuite derrière une émission de type “rendez vous en terre inconnue” enroulés dans nos plaids avant d’aller se coucher à 22h30.
Du haut de mes 29 ans, j’ai l'impression d’avoir vieilli trop vite. Il me semble si loin le temps où je rentrais à 4h du matin encore saoule de la veille en priant pour ne pas avoir trop mal au crâne le lendemain.
J’ai dû longuement négocier pour que mon chef m’accorde ces 3 semaines de vacances, je n’ai pas d’enfants, alors pourquoi poser autant de congés? Ses gros sourcils broussailleux se sont froncés sur ses petites lunettes grasses et ses yeux globuleux m’ont fixé d’un air suspicieux.
-”Je ne sais pas trop ce que vous avez en tête mais je ne peux pas vous empêcher de prendre ces congés sinon je devrais vous les payer. On tentera de se débrouiller sans vous même si ça risque d’être très compliqué. J’espère que vous pourrez vous connecter de temps en temps.”
J’ai presque sautillé dans le couloir en sortant de son bureau. Je n’y croyais pas, moi qui depuis toutes ces années posait mes vacances en dernier pour ne froisser personne, je partais 3 semaines en plein milieu de l’année!
Assise au 22B, je me demande maintenant ce qui m’est passé par la tête. Je crois que l’insouciance de Lina a déteint sur moi quelques minutes avant de se rendre compte que mon cas était plus compliqué que ça. Je n’ai jamais aimé l’imprévu, les surprises. Lina l’a bien compris et m’a forcé à ne planifier que 2 semaines sur les 3 de notre voyage pour laisser sa place à l’inconnu. Tu parles, si l’inconnu consiste à être perdues dans une rue glauque en pleine nuit à chercher désespérément un endroit où dormir, je préfèrerai m’en passer.
Lina me sourit comme pour me rassurer, elle doit se douter de ce qui se passe dans ma tête. Elle a noué ses cheveux en chignon bas, laissant ressortir ses larges épaules de sportive. Mis à part notre peau bronzée, physiquement rien ne nous rapproche. Du haut de ses 1m58, Lina a toujours été petite, ce qui contraste fortement avec son caractère. Elle fait l’effet d’une tornade, très extravertie, parfois autoritaire, elle sait se faire remarquer. Paradoxalement, c’est aussi un petit rayon de soleil, elle amène le sourire et le positif même dans les moments les plus sombres. Mon père la soupçonne d’être hyperactive. Je crois qu’il n’y a pas un sport qu’elle n’a pas essayé. Elle a toujours une idée en tête, elle s’y met à fond dedans pendant quelques mois puis elle change subitement pour une nouvelle activité qui lui semble soudainement beaucoup plus intéressante.
Lina n’aime pas les barrières, les règles ou les contraintes. Elle se débrouille toujours pour garder une forme de liberté. Adolescente, elle a été très compliquée à gérer. Elle fuguait quelques jours avant de revenir comme si de rien n’était. L’école n’a jamais été son truc. Ses notes n’ont jamais été très hautes, juste assez pour qu’elle obtienne le BAC. Depuis, elle enchaîne les petits boulots à durée déterminée comme les mecs qu’elle rencontre pour seulement quelques jours ou quelques semaines avant de se lasser d’eux aussi rapidement qu’elle s’y est attachée. Tout n’est que temporaire dans sa vie. Je me demande parfois si elle est vraiment heureuse.
Elle a pourtant une multitude de talents et je l’admire pour ça. Elle sait jouer de la guitare, dessiner, écrire ou faire du skate comme personne. Elle s’adapte rapidement à un nouvel environnement et elle n’a jamais peur, elle ne voit pas le danger. Pour elle l’inconnu représente la nouveauté, un nouveau challenge à relever.
Elle a toujours eu ce style de garçon manqué avec ses tee-shirts larges et ses shorts de sport. Pour autant, ses longs cheveux noirs et son regard d’ébène en attire plus d’un. Malgré sa petite taille, son corps est finement musclé et ses courbes féminines. Elle a une tonne d’amis en tout genre qui voient en elle le potentiel qu’elle même ne voit pas.
Je suis curieuse de la découvrir dans ce nouvel environnement. J’ai envie qu’on retrouve cette relation si légère que l’on avait avant lorsqu’on ne vivait quasiment que toutes les deux. Avant qu’elle ne décide de me prendre sous sa responsabilité et de faire attention à moi au moindre problème.
Elle met son casque sur ses oreilles, sa musique est son instant d’évasion. Pas un jour ne passe sans qu’elle ait son shot de musique. Je prends le bouquin que le magazine “Elle” conseillait pour trouver un nouveau sens à sa vie. “L’homme qui voulait être heureux”, c’est peut être pas si mal. J’ouvre la première page et me plonge dans la lecture, plus que 9h de voyage.
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