Chapitre 12 : Ô Ascension, terrible ascension

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Le dernier sasquatch tomba complètement inconscient sur le sol enneigé. Contre toute attente, Lucie les avait tous vaincus à grands coups d'épées et de magie. Mais cela avait été au prix d'une longue plaie sanguinolente sur le bras droit, ainsi que de plusieurs éraflures sur le visage et sur les jambes : toujours est-il qu'aucune de ces créatures n'avait perdu la vie. Razab, bras croisés et en retrait, avait observé toute la scène d'un air désapprobateur.

  • Si tu m'avais laissé t'aider, on aurait gagné du temps et tu n'aurais pas toutes ces blessures.

La jeune femme rengaina son épée dans son dos.

  • Je m'en fiche, déclara-t-elle d'un ton catégorique. Toi tu les aurais tués, et ça je le refuse.
  • Je n'ai pas le même genre d'état d'âme que toi, c'est tout. Tu ne pourras pas toujours t'en sortir sans te salir les mains.

Lucie ne répondit rien, bien qu'elle soit intimement persuadée qu'il était parfaitement possible de s'en sortir sans se salir les mains. C'était à son avis une question de volonté.

Laissant derrière eux les sasquatchs assommés, ils se remirent en route à travers la tempête. La jeune femme sentait que petit à petit, le froid reprenait sur elle le dessus, et qu'elle en subirait bientôt les conséquences : il fallait se sortir au plus vite de ce brouillard de gel. Mais leur marche avait beau être régulière, les intempéries les suivaient toujours. Lucie se demandait d'ailleurs comment Razab pouvait suivre la trace du sbire dans ce blizzard ; mais de toute façon beaucoup trop de mystères l'englobaient. Le jeune homme s'enfermait dans son silence en avançant d'un pas décidé, il ne semblait surpris par aucun des phénomènes de la montagne, et avait la solution pour tous les problèmes qui survenaient. Lucie devait accepter de ne pas poser de questions, tout comme lui n'en posait pas. De toute façon, à travers toute cette neige il était difficile de discuter.

Leur cheminement s'éternisa dans les montagnes, le vent glacial battant de toutes ses forces contre leur visage, il semblait qu'ils n'arriveraient jamais au bout de ce périple. Lucie sentait la flamme dans son ventre s'estomper peu à peu, et le froid qui commençait à lui firgorifier les os. De plus, ses blessures la lançaient progressivement. Mais par-dessus tout c'était l'absence de Moz qui lui pesait. Elle ne s'en remettait pas. Et pourtant elle suivit Razab toute la nuit, sans aucun répit et sans pouvoir échanger un seul mot... Au moins ils ne subirent aucune nouvelle attaque de sasquatchs.

Lucie comprenait mieux pourquoi les hommes évitaient de s'aventurer trop loin dans les landes : c'était un environnement où la nature était clairement dominante, où aucune forme de civilisation ne pouvait la ternir. Il s'agissait sans conteste de l'épreuve la plus dure que la jeune femme ait eu à surmonter, et plus le temps passait plus elle doutait de sa réussite, sa volonté s'amenuisant au fil des heures.

Mais à un moment, alors que Lucie ne sentait plus ses membres, que ses blessures enflammaient ses nerfs et que l'épuisement manquait de la faire basculer dans la neige, le brouillard se dissipa miraculeusement. Avec un immense soulagement, elle put voir Razab devant elle au lieu de ne distinguer que sa silhouette ; ainsi que le ciel dégagé qui couvait tout le paysage autour d'eux.

Ils étaient en haute altitude, et une mer de brume laiteuse s'étendait sur chaque horizon ; seuls quelques pics enneigés en dépassaient, le soleil projetant des reflets châtoyants sur leur cime.À leurs pieds, la neige était fondue et ils pouvaient désormais constater que le sol était constitué de granit rose étincelant. Époustouflée par ce somptueux décor que peu de gens devaient avoir vu, Lucie s'arrêta quelques instants pour récupérer. En contrebas, le brouillard de gel semblait toujours la menacer et elle songea en regardant l'océan brumeux tout autour d'eux que l'apparence calme et poétique d'un tel paysage était bien trompeur. Elle aurait d'ailleurs bien du mal à redescendre cette montagne sans l'aide de Razab. Mais il n'était pas encore temps d'y penser.

L'ascension n'était de toute manière pas terminée : après le plateau de granit rose s'élevait d'autres pics rocheux. Mais ceux là n'étaient pas entourés de brume glaciale et ils étaient moins hauts que ce que Lucie venait déjà de gravir. D'ailleurs, elle n'avait aucune idée de leur altitude : elle savait qu'ils avaient passé une journée entière à marcher dans la montagne et qu'ils devaient donc être très haut, mais il lui était impossible de voir au delà du brouillard ; ce qui rendait le décor encore plus surréaliste, comme coupé du monde.

  • On ne doit pas trainer, sinon on va perdre la trace du sbire.

Et voilà que Razab jouait encore les rabat-joies. Lui ne paraissait peut être pas fatigué, mais Lucie, elle, l'était totalement. Avec ses blessures et le fait qu'elle était transie de froid... Elle avait de plus en plus de mal à suivre le rythme.

  • Je te suis.

Il fallait quand même donner le change. C'était elle, après tout, qui voulait retrouver Mélopée. Elle était bien obligée de se montrer volontaire, sinon pourquoi Razab se donnerait-il la peine de la guider ?

Marcher sur le granit rose était tout de même moins fatiguant que dans la neige, et sans le vent frigorifiant, le périple en devenait presque agréable. Le beau ciel bleu constituait une voûte réconfortante au dessus de leur tête, et Lucie croyait bien que le reste du trajet se passerait sans encombre.

Mais deux garçons à l'air patibulaire se présentèrent sur leur route. Ils étaient vêtus de capes mauves qui cachaient à la fois leurs épaules et leur corps. Razab ricana en les apercevant.

  • Razab ! l'interpela l'un d'eux. Il paraît qu'hier, toi et une petite sorcière avez perturbé notre maître ! Je ne sais pas ce qui t'as pris, mais tu vas le payer cher !

Lucie soupira ; de nouveaux ennuis se profilaient. Ils parlaient sûrement de l'être invisible qu'elle avait affronté.

  • Ce lâche n'a pas osé m'attaquer, railla le jeune homme aux yeux marrouges. Et maintenant il vous envoie ? Il aurait mieux fait de me combattre lui-même dans ce cas, il aurait eu plus de chance.

Les deux nouveaux arrivants semblaient le détester. Leur ton était empreint de haine lorsqu'ils reprirent :

  • S'il ne t'a pas attaqué, c'est seulement parce que Mélodie veille sur toi. Sans elle tu serais déjà mort un paquet de fois !
  • Justement, s'il craint Mélodie, pourquoi vous envoit-il vous ? Il devrait savoir que je vais vous tuer, et qu'ensuite elle sera au courant qu'il a voulu s'en prendre à moi.

De nouveau, ils ruminèrent leur rage :

  • Imbécile ! Ce n'est pas lui qui nous envoie. On est venus de notre propre chef, sans qu'il soit au courant. Tu as souillé son honneur, et maintenant qu'on a retrouvé ta trace on va te le faire payer !

Razab leur afficha un sourire glacial.

  • Vous voulez surtout faire le point sur une vieille rivalité on dirait. Alors approchez, que je puisse me dégourdir un peu.

Soudain, Lucie se sentit mal à l'aise : une puissante aura meurtrière se dégageait de son compagnon. Elle comprit alors avec effroi que Razab n'était pas qu'un simple apprenti magicien, mais qu'il était aussi un tueur de sang froid.

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