Chapitre 13 : Tueur au sang froid

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La tension était à son comble sous cet impassible ciel bleu. Razab et les deux garçons capés se toisaient comme des chats sauvages. Le jeune homme les fixait de son oeil vermeil, qui brillait d'une intensité toute particulière, presque inquiétante. Un vent frais souffla dans leurs cheveux tandis que Lucie, restée derrière, les observait avec inquiétude. À deux contre un, elle allait devoir venir en aide à son guide, mais... Elle jeta un coup d'oeil à ses jambes flageolantes : elle n'était clairement pas en état de se battre. Razab, lui, ne semblait pas le moins du monde épuisé : il faisait quelques pas souples sur le côté, sans quitter ses ennemis des yeux. Ceux là montraient déjà des signes d'anxiété ; apparemment leur adversaire avait une réputation.

Au loin, alors qu'ils n'en finissaient plus de se toiser, la neige de l'un des pics montagneux s'écroula dans la brume.

Le premier des deux garçons projeta subitement ses deux paumes en avant, droit sur Razab. Un instant plus tard, celui-ci explosait dans un fracas de flammes et de cendres.

Lucie toussa dans le souffle de la détonation ; elle n'en revenait pas : en si peu de temps son camarade était passé de vie à trépas. Était-ce à cela que ressemblaient les duels de magie à haut niveau ? Quelle chance avait-elle contre des adversaires capables de détruire une cible à distance ?

  • C'est tape à l'oeil, ce petit tour ! fit une voix familière. Mais un peu trop lent à éxécuter.

Lucie pivota la tête, et le garçon qui avait lancé le sort voulut en faire de même... Mais une lame argentée traversait son thorax. La jeune femme écarquilla les yeux : Razab se trouvait derrière lui ! Le deuxième garçon blémit en voyant son camarade ainsi transpercé.

L'oeil marron de Razab était affreusement froid, comme si tuer un homme n'était pour lui qu'une formalité. En revanche son oeil rouge luait d'un intense éclat, un éclat plus meurtrier que tout ce qu'avait vu Lucie auparavant. Le garçon qu'il empalait regardait avec incompréhension le flot qui s'écoulait de son torse, il voulait parler mais du sang remontait aussi dans sa gorge, étouffant ses paroles.

Des gouttes de sueur perlèrent sur le front de Lucie, qui ne parvenait plus à s'arrêter de trembler. Elle qui considérait la vie comme sacrée, elle qui avait une épée incapable de tuer, elle ne pouvait qu'être horrifiée d'une telle violence. Razab était un être froid, il n'avait aucune considération pour le vivant et elle comprit à cet instant qu'ils n'avaient rien en commun.

Mais avant qu'elle ne puisse dire ou faire quoi que ce soit, le jeune homme se prit une nouvelle explosion, et cette fois son corps fumant fut projeté sur le sol, où il roula quelques instants : le deuxième garçon avait lancé un sort à son tour, et Razab étant occupé à achever les souffrances du premier n'avait pas vu venir l'attaque. Cette fois il était cuit.

Le temps d'un battement de cils, Lucie vit la main du garçon capé se dresser ensuite vers elle : celui-ci voulait en finir au plus vite avec elle aussi, sans lui laisser la moindre chance de contre-attaquer. Mais la jeune femme fut plus rapide et leva sa main gantée la première ; le bras du garçon se stoppa alors subitement dans sa course, et bien qu'il tentait de le bouger à nouveau, son membre restait figé. Lucie soupira de soulagement, elle avait réussi à l'empêcher de lancer son terrible sort, bien que l'utilisation de magie drainait ses forces à toute vitesse.

  • Pourquoi veux-tu me tuer ? demanda-t-elle alors, contrariée.

Elle trouvait cela vexant qu'il ait voulu l'attaquer sans lui poser au moins quelques questions avant. Elle aurait très bien pu être innocente !

  • Toi aussi, tu as souillé l'honneur de notre maître ! répondit le garçon avec difficulté tant il était concentré pour se libérer de son emprise.

Lucie était épuisée et affaiblie, mais elle tenait bon.

  • L'être invisible ? C'est lui qui m'a agressée sans raisons !
  • Je ne veux pas le savoir ! C'est mon maître et je dois défendre son honneur, même au prix de ma vie !

Incroyable, cette simple idée dépassait l'entendement de Lucie.

Mais le garçon cria de toutes ses forces cette dernière phrase, et c'est avec stupeur que la jeune femme reçut un grand coup au visage qui la fit tomber en arrière. Le temps qu'elle reprenne ses esprits, le garçon capé pointait sur elle sa paume de la mort ; cette fois, pas d'échappatoire, elle n'aurait ni le temps de le bloquer, ni le temps d'esquiver. Elle ferma instinctivement les yeux, dans ce qui devait être le dernier réflexe de sa vie.

Mais c'est un grand cri de douleur qui remplaça la détonation d'une explosion. Lorsqu'elle rouvrit avec incertitude ses paupières, ce fut pour découvrir que Razab n'était toujours pas mort. A la place, il était debout et tordait les doigts du garçon qui venait de manquer de la tuer. Le pauvre se débattait sous sa cape, mais le jeune homme avait une poigne de fer et semblait réduire en bouillie la main qu'il tenait.

La chemise blanche de Razab avait été déchiquetée dans l'explosion, ce qui permit à Lucie de remarquer qu'il portait dans le dos et sur les épaules des tatouages luisants d'un étrange éclat ; tout aussi rouge que son oeil. Le jeune homme se saisit ensuite d'une autre dague accrochée à sa ceinture, plus petite que la précédente mais non moins aiguisée. Il la leva d'un geste mécanique au-dessus de son ennemi, et l'abaissa d'un mouvement rapide et sec...

Mais il fut stoppé ; la main écarlate, lui saisissant le poignet, l'avait empêché de finir son action. Razab tourna la tête avec agacement : il dut affronter les yeux glacés de Lucie. Bataille de regard qui dura une,

deux,

trois,

puis quatre secondes. Le jeune homme rangea sa lame et se recula tandis que derrière lui, le garçon capé tombait à genoux en tenant avec effroi sa main broyée.

  • Lui ne comptait pas t'épargner, siffla Razab.
  • Ce n'est pas une raison, affirma Lucie.

Les tatouages du jeune homme cessèrent instantanément de briller et devinrent tout à fait noirs. L'autre garçon avait perdu la vie aux suites de sa blessure, la longue dague argenté toujours en travers de son thorax, et Lucie eut un regard dépité sur sa dépouille. Personne ne méritait ça.

Sous le regard sombre de Razab, elle ramassa une branche sur le sol et retira le gant de soie blanche qui protégeait sa main craquelée, puis elle tendit le tout au garçon encore agenouillé :

  • Utilise mon gant pour nouer cette branche autour de tes doigts, afin de les maintenir droits. Sinon leur état va empirer.

Cependant, celui-ci se mit à blanchir de plus belle en appercevant la main de Lucie, puis il hurla :

  • Toi aussi tu es maudite ?! Vous êtes diaboliques tous les deux !

Dans un effort apparemment surhumain, il se releva et se mit à dévaler la pente de granit rose vers le bas de la montagne. Il disparut dans le brouillard, et ses cris se turent dans son sillage.

Lucie n'en revenait pas, après tout ce qui était arrivé, c'était sa main qui le choquait ? C'était insensé.

Mais quelque chose devait retenir son attention, et elle se tourna vers Razab : le garçon capé avait été surpris qu'elle aussi soit maudite... Alors le jeune homme était lui-même victime d'un coup du sort. Tiens donc... Elle allait peut être enfin en savoir un peu plus sur son guide sans état d'âme.

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