Chapitre 3 - Querelle entre une sorcière et un centaure
Le lendemain, malgré un ciel toujours gris, l’averse a cessé.
Crégor s’éveille alors que huit heures sonnent au clocher du village. Le centaure ne demeure pas au cœur de Tourloing, il vit dans une confortable chaumière au toit de paille tressée (qu’il a dû rehausser car les anciens résidents étaient petits) et aux murs blanchis à la chaux. L’habitation est entourée par d’imposants chênes où des écureuils roux jouent à colin-maillard. Une rivière coule à quelques mètres à peine de l’entrée. Auparavant, la maisonnette appartenait à sept gentils nains qui travaillaient dans une mine de pierres précieuses. Suite à l’arrivée d’une colocataire, une princesse aux lèvres rouge cerise, ils ont dû déménager dans un spacieux appartement. Le centaure qui cherchait un nouveau chez soi, s’offrit donc leur chaumière.
Bref, revenons à l’histoire.
Crégor se lève de sa couche, prend un solide petit déjeuner composé de baies, pommes et eau fraîche, puis se baigne dans la rivière. C’est seulement à ce moment-là qu’il se rend compte que quelque chose ne va pas. Il lui manque sa longue et scintillante crinière brune ! Tournant légèrement la tête vers son arrière-train, le centaure a confirmation de ce qu’il craint… hélas, il a désormais une mignonne queue de lapin blanche !
— Pétunia, maugrée-t-il d’un ton rageur.
Il hennit méchamment tandis que ses sabots raclent furieusement le sol. L’hybride ne perd pas de temps et galope à destination du village, plus précisément en direction de la sorcière. Les quelques habitants de Tourloing qui le voient comprennent de suite quel mauvais tour on lui a joué. Pas besoin non plus, de réfléchir longtemps pour deviner qui est l’auteur de cette vilaine farce. Aussi, chacun s’écarte du passage du centaure tout en l’observant avec inquiétude se diriger vers le lugubre château où se terre Pétunia (qui avait prévu la colère de son ennemi).
Devant la lourde grille protégeant l’entrée, Crégor s’arrête et lève son visage vers les balcons de la demeure en s’écriant :
— Montre-toi sorcière ! Viens que je t’attrape ! Ah ! Tu sais jeter des sorts ! Moi je sais donner des coups !
La rousse ensorceleuse daigne s’exposer, tout en veillant à rester soigneusement derrière les fenêtres entrouvertes de la balustrade.
— Que me veux-tu ? Puis, apercevant la queue de lapin, elle ricane : Ah, ça ! Un petit cadeau, je trouve que cela te sied mieux. Ah, ah ah ah.
Pliant son corps rond en deux, Pétunia ne cesse de glousser. D’en bas, Crégor lui lance des regards furibonds.
— Rends-moi ma crinière, sorcière ! Si tu t’exécutes, je promets d’oublier cet outrage.
La méchante femme essuie les larmes de joies qui coulent de ses yeux verdâtres et reprend son sérieux.
— Non, désolée. Je pourrais si je voulais, mais… non, tu es beaucoup mieux comme ça !
— Tu vas subir ma rage !
— Si tu crois que j’ai peur de toi ! crache Pétunia tel un chat sauvage.
Crégor regarde autour de lui et réfléchit. Il a beau menacer l'ensorceleuse, il doit reconnaître qu’elle est plus forte que lui. Le centaure ne sait rien de la magie et ne maîtrise pas les potions. Il n’a pour lui que son côté guerrier, mais se doute que cela ne peut rien contre Pétunia et ses pouvoirs. Faisant quelques pas en arrière, il aperçoit les pots de fleurs et jardinières qui bordent la façade sombre. Une lueur rusée s’allume dans ses yeux ombreux. Il lève la tête vers son ennemie. Cette dernière voit avec inquiétude un troublant rictus se dessiner sur le visage de son rival.
— Tu souris ?
— Oui, je suis particulièrement content.
— Pourquoi ? Il me semble que tu n’as aucune raison de l’être, remarque Pétunia. Je ne te restituerai pas ta crinière, ajoute-t-elle.
— Peut-être pas en effet, reconnait Crégor, mais j’ai un moyen de te rendre furieuse.
— M’étonnerais, répond la sorcière d’un ton quand même méfiant.
— Oh, mais si. Regarde bien ce que je m’apprête à faire, je vais t’enlever quelque chose que tu apprécies plus que tout.
Et, avant que Pétunia ne puisse répliquer ou tenter le moindre geste, Crégor, de ses sabots scintillants, écrase tous les pots en terre cuite, piétine toutes les fleurs : campanules, balbas (plante carnivore venant d’un lointain royaume), primevères, ne s’arrêtant qu’une fois le sol jonché de multiples couleurs de pétales abîmés. La magicienne émet un cri de fureur qui fait gronder le tonnerre au loin. Son visage se contracte sous l’effet de la haine. Ses yeux flamboient tandis que le ciel semble se déchirer en deux et que d’énormes grêlons s’abattent sur Tourloing. Nullement impressionné, le centaure esquisse une révérence narquoise à l’attention de son adversaire et lui tournant le dos, s’éloigne pour retourner chez lui. Pétunia ne le quitte pas du regard, se mordant les lèvres jusqu’au sang.
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