chapitre 30 - Fin de Pétunia
Alors que Circella aperçoit enfin le clocher de Tourloing, elle pressent une menace. La magie, ainsi que les liens du sang, la connecte à la douleur de Pétunia. Atteinte des souffrances de sa sœur comme si c’était les siennes, le liquide écarlate coulant dans ses veines se glace. Elle grimpe aussitôt sur son balai pour aller plus vite. Au loin, une sorte d’aboiement rauque parvient à ses oreilles suivies de lamentations. Dépassant le panneau indiquant le nom du hameau, elle est à l’entrée de Tourloing. Du coin de l’œil, elle distingue fenêtres fermées, portes closes, et à travers les persiennes, des visages anxieux. Circella, sans ralentir, serre les dents, et maudit les villageois qui ne tentent pas de secourir sa soeur. Ils sont aussi mauvais que nous, songe la magicienne, ils font juste semblant d’être bons. Elle a tort. S’il s’était agi de n’importe quel autre habitant de Tourloing, la population aurait tout entrepris pour le sauver… mais Pétunia… pourquoi risquer sa vie pour elle ? Tous ont entendu les rugissements du loup avec en fond sonore les cris de peur de la sorcière. Ne sachant pas ce qu’il se passe, mais devinant un drame, les Tourloingnais, se sont pour la plupart, claquemurés chez eux, attendant la suite des évènements.
Tous cependant n’ont pas réagi ainsi. Se hâtant vers le château, Crégor le centaure, accompagné de Merlin et la Bonne Fée, espère découvrir l’origine de tout ce tapage. Ils arrivent en même temps que Circella qui ne leur accorde pas un regard.
Hélas, le spectacle qui s’offre à eux ressemble à un mauvais film gore. Devant eux, l’allure à nouveau normale, Sacha, les lèvres sanguinolentes, agrippe dans une patte un reste de la robe de Pétunia. À ses pieds, plus qu’une flaque, presque une mare rouge.
— Je ne sais pas ce qui s’est passé, bredouille le loup, l’air perdu. Je… je crois que je l’ai dévorée…
Circella, dans un élan de détresse, se précipite vers lui, les mains en avant, avec l’intention manifeste de le tuer. Sacha, toujours émotionné de son acte, la regarde venir vers lui, puis comprenant soudain le danger, il s’échappe, filant aussi vite que Flash Gordon. Il passe devant Crégor qui sous le choc, ne cherche pas à le retenir. Merlin, désabusé, le laisse s’enfuir, tandis que la Bonne Fée, chancelante, ne peut détacher ses doux yeux, des morceaux de corps éparpillés sur le sol. Circella se tourne vers eux, le visage tellement pâle qu’elle ressemble à une geisha. Oubliant un instant qu’elle s’adresse à ses ennemis, elle murmure avec une voix d’enfant brisée par le chagrin :
— Où est Pétunia ? Elle n’est pas morte n’est-ce pas ? Il a menti, il n’a pas vraiment pu la manger ?
Crégor détourne la tête, gêné, tandis que la fée qui a bon cœur éclate en sanglots, plongeant son nez avec un bruit assourdissant dans un mouchoir brodé de rose.
— Pétunia s’est faite avaler par le loup et aucun des habitants de Tourloing ne la regrettera, déclare Merlin. Toi et ta sœur êtes deux méchantes femmes et aujourd’hui, l’une d’entre vous l’a payé de sa vie. Je m’occuperais de Sacha plus tard et, croie-le, il sera puni pour ce qu’il a fait, mais pas par respect pour ta cadette, simplement parce que lui aussi est un être mauvais. Mes amis et moi allons te laisser seule avec ton chagrin que nous ne partageons pas.
Merlin ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil vers la Bonne Fée qui sèche ses larmes d’un air contrit. Il ajoute :
– Sache seulement, Circella que ton tour viendra.
La sorcière trop bouleversée ne réagit pas et les regarde tourner les talons, sans faire le moindre mouvement. Il est trop tard pour s’en rendre compte, mais Circella découvre avec surprise et mortification que finalement elle avait de l’affection pour Pétunia et que cette dernière va terriblement lui manquer.
Derrière elle, le mur de la façade extérieure du château commence à s’ébrécher dans un infime bruit de fissure qu’elle ne remarque pas.
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