Chapitre 43 - L'armée
Anastasie, éreintée, son dos la faisant souffrir, comprime la baguette entre ses mains. Si elle avait pu, elle l’aurait brisée. Devant elle, Circella, vêtue d’une longue robe rubis, lui lance des regards désapprobateurs tout en maintenant les lèvres serrées.
— Je n’y arrive pas, pleurniche Anastasie.
— Tu n’essayes même pas ! tempête Circella.
— Tout ça ne m’intéresse pas !
— Il le faut pourtant ! Jamais tu ne rentreras chez toi, désormais c’est moi ta famille !
— Non !
Révoltée, la jeune femme brandit sa baguette vers la sorcière. Ne sachant pas l’utiliser, le geste ne sert à rien, mais sous la colère, Anastasie ne se contrôle plus. Alors que Circella s’apprête à riposter, un tumulte se fait entendre au-dehors. Oubliant leur querelle, les deux ennemies s’approchent de la fenêtre en forme de hublot, qui éclaire faiblement la pièce. Le spectacle s’offrant à elles les laisse bouche bée.
Une légion d’hommes en armures argentées marche d’un même pas, dans un bruit entêtant de ferraille. Le soleil illumine leurs épées blanches.
— Ils viennent me sauver, se réjouit Anastasie.
— Ils ne peuvent rien contre moi, la contrecarre la sorcière.
Les soldats, serrés, épaules contre épaules, semblent une multitude. Leur nombre fait battre le cœur de Circella un peu plus vite, tandis qu’une douleur sourde envahit sa poitrine. La sorcière ne veut pas s’avouer qu’elle a peur. Arrivée devant le portail du château, l’armée s’arrête ne laissant dans son sillage qu’un silence pesant qu’aucun pépiement d’oiseau ne vient briser.
À leur fenêtre, Anastasie et Circella, tremblantes, observent la scène.
La troupe s’écarte, cédant la place à un cheval aux poils orangés, presque dorés. Sur son dos, Bédélia, ses longs cheveux balayant ses épaules, passe entre les soldats, le regard rivé sur la demeure fortifiée. Derrière elle, l’accompagnent Crégor, le prince charmant, le chasseur et Merlin. Circella recule de quelques pas, plus terrifiée par eux que par l’armée tout entière. Anastasie, elle, à les jambes flageolantes et s’imagine déjà sauvée par un preux chevalier. La voix de Bédélia parvient aux deux femmes, amplifiée par la magie.
— Circella, je te demande de libérer ta prisonnière. Je sais que la disparition de Pétunia t’a bouleversée, mais Anastasie n’est pas ta sœur ! Javotte a mandé cette armée pour la délivrer. Si tu acceptes de la laisser franchir le portail et nous rejoindre, il ne te sera fait aucun mal.
— Et si je ne veux pas ?! s’époumone la magicienne.
La Bonne Fée soupire. S’attendant à cette réponse, elle avait quand même espéré éviter le drame qui allait se jouer. D’une voix lasse, elle riposte :
— Si tu n’acceptes pas, la prophétie, hélas, se réalisera.
— La prophétie ?! répète Circella décontenancée.
— Merlin m’a révélé ce que la prédiction dévoile à ton sujet.
Circella tente de réprimer l’appréhension qui lui noue l’estomac. Jamais elle ne baissera le regard devant ces individus qui ne sont rien. D’une voix qu’elle espère ferme, elle crie :
— Et que dit la prophétie ? À moins que tu fabules et n’en saches rien !
La moutarde commence à monter au nez de Bédélia.
— Me traiterais-tu de menteuse ?! Je voulais t’épargner, mais tant pis ! La prédiction annonce ta mort pour ce jour !
Les battements de cœur de Circella s’accélèrent, la nausée manque de passer ses lèvres. Respirant par à coup, la sorcière tente de se calmer en réfléchissant à des choses agréables : des tortures par le fouet, des inondations, tremblements de terre… la méchante femme se sent un peu mieux. Se tournant vers Anastasie qui sans un mot s’est approchée de l'entrée espérant s’enfuir, Circella lui lance d’une voix glaciale.
— N’y pense même pas. Reste là.
Et quittant la pièce, elle traverse le couloir aux murs lambrissés. Descend les escaliers aux marches fêlées. Pénètre dans le hall. Ouvre la porte d’entrée vitrée. Avale en quelques foulées les derniers mètres jusqu’au perron. Franchit le jardin à grands pas, sa robe vermeille flottant autour de ses jambes, et finalement s’arrête devant le grand portail noir, unique rempart entre elle, Bédélia et l’armée de Cendrillon.
— Non. Vous n’aurez pas Anastasie. Pas question. Je ne veux pas être seule… cette petite idiote me rappelle Pétunia… elle reste avec moi.
— Tant pis, murmure Bédélia.
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