LUNDI
Nous étions lundi. En fin de journée, au cœur d’un hôpital blanc et dans une ambiance particulièrement froide, se trouvait un enfant, assis seul sur la chaise d’un couloir. La couleur des murs, à défaut d’amener une certaine douceur, apportait à l’inverse une sensation étrange, presque mortuaire. Le petit garçon, à peine âgé de cinq ans, attendait patiemment que l'on vienne le chercher. Trop petit pour que ses pieds puissent toucher par terre, il se maintenait parfaitement statique, le dos droit, les poings serrés sur ses genoux dénudés. Son visage fermé fixait le sol, totalement inexpressif. Cela faisait maintenant trois heures qu’il patientait, immobile. Aucune infirmière, aucun docteur, ni le moindre patient ne l’avait rencontré. Mais même si cela était arrivé, le garçonnet n’aurait absolument rien dit, ou juste jeté un regard.
Une porte s’ouvrit et brisa le silence, apportant avec lui les cris et les larmes d’un bébé. Mais cette interruption ne déstabilisa en aucun cas le garçon qui garda son inexpression. Un homme, bien plus âgé, autant enjoué que paniqué, appela le petit garçon, son fils.
— Cyrus ! Mon garçon ! C’est bon, c'est terminé. Tu peux venir le voir.
Mais ce dernier ne bougea pas. Le père le rappela une deuxième fois, d’un ton plus calme.
— Cyrus, viens avec nous s’il te plaît.
Le garçon se laissa glisser de sa chaise, ses souliers claquèrent contre le sol, provoquant un écho dans cette allée sans fin. Il hésita quelques secondes avant de se diriger vers son père, sans pour autant lui adresser un seul regard. En silence, l’enfant passa devant lui et pénétra dans la pièce. L’homme lui caressa l’épaule et l’accompagna à l’intérieur. Quelques médecins restèrent présents pendant que d'autres s’évincèrent pour leur laisser un peu d’intimité. Seul un nourrisson perturbait le calme de la pièce dans les bras d’une sage femme. Après avoir été rincé et enveloppé, l’enfant fut rendu à sa mère qui le garda contre son visage épuisé. L’un des médecins lui demanda le nom qu’elle souhaitait lui donner et elle lui répondit sans hésitation.
— Solomon.
La mère fondit en larmes et colla son front contre celui de son petit. Elle remarqua ensuite son autre fils d’un coin de l'œil et lui fit signe de se rapprocher. Mais l’enfant semblait méfiant, et poussé par son père, il la rejoignit. Sur la pointe des pieds, il regarda son petit frère et afficha peu à peu un regard renfrogné. Sa mère, larmoyante, caressa les cheveux de son fils à l’arrière de la tête. Elle était heureuse d’avoir ses enfants près d’elle et son mari à ses côtés. Pour les parents, c’était l’un des plus beaux jours de leur vie. Mais pour le fils, c’était tout le contraire. Il aurait vraiment voulu aimer ce petit être. Seulement, il ne ressentait que de la rancoeur et de la colère qui allait grandir au fil du temps, comme si ce petit lui avait tout volé.
— Je vous aime tous, chuchota la femme à sa famille.
Son mari lui répondit d’un baiser. Le nouveau né, qui avait cessé de pleurer, gazouilla même en guise de réponse. Mais Cyrus resta muet et acariâtre. Il en voulait presque à sa mère de l’avoir mis au monde. Malheureusement, il ne se doutait pas que ce jour était l’un des derniers où il la verrait.
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