SAMEDI
Cyrus rentra tard dans la nuit. Sans un bruit, il se dirigea à l'étage. Il ouvrit d'abord la chambre de sa fille pour s'assurer qu'elle allait bien, et qu'elle dormait à poings fermés. Il fit de même avec la chambre conjugale, sa femme dormant paisiblement. Cyrus se dirigea ensuite vers la salle de bain, et prit une longue douche pour nettoyer les atrocités qu'il avait commises. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'est qu'un crime aussi abominable noircit l'âme, et non le corps. Même dans la mort, son acte l'entâchera.
Après cela, Cyrus se dirigea dans son bureau et remarqua que rien n'avait bougé. Le chaos était toujours intact et il en était satisfait. Il se dirigea parmi les décombres vers son bureau, releva son siège imposant et se servit un verre du même alcool qui avait aider à empoisonner son frère. Il regarda la pleine lune à travers les vitres de la fenêtre qui offrait une vue sur leur immense jardin fleuri. Il prit alors une gorgée et s'en délecta. La boisson était la même, mais le plaisir de la dégustation était tout autre. Une saveur douce et sucrée lui caressait le palais et une satisfaction immense l'ennivrait. Cyrus se perdit dans ses pensées. Il se remémorait les bons moments de sa vie. Ses anniversaires, les réveillons de Noël, son mariage, la naissance de sa fille, son entreprise ou encore son crime effectué quelques heures auparavant. Chaque souvenirs lui procurait un frisson de chaleur et il ne pouvait s'empêcher d'exprimer un rire nerveux avant de prendre une nouvelle gorgée.
Il repensait de plus en plus à ce qu'il avait commis, et il n'en était que plus satisfait. Il sortit la lame de sa poche et s'admira dans le reflet du métal brillant. Il l'empoigna ensuite dans le creux de sa main, et se remémora le corps de Solomon gisant sur le sol. Sans hésiter, il planta la lame froide dans l'accoudoir en cuir de son siège. Il regarda hautainement l'objet, les yeux mis clos, puis souffla du nez. Il esquissa un léger sourire, presque déçu que la lame ne puisse pas être teintée de sang. Cyrus releva son bras, serra le manche plus fort, et asséna un nouveau coup, plus profond. Il se sentait un peu plus satisfait et lâcha à nouveau un rire. Il recommança alors, plus intensément que les fois précédentes. À mesure que la lame pénétrait le cuir, le rire et la joie de Cyrus devenaient plus euphorique. Il se souvenait à tort des cris de douleur de sa victime, de son visage empli de douleur et de terreur, ainsi que des supplications qu'il hurlait pour stopper ce cauchemar. Et ce petit jeu dura un temps considérable.
Mais soudain, la petite lame traversa le cuir, la main s'enfonçant dans l'accoudoir. Cyrus regarda avec déception l'état lamentable du siège, et grommela des insultes, méprisant le meuble aussi fragile que son frère. Il n'avait pas tenu assez longtemps pour jouir de ses actions. Il leva alors son verre à moitié plein, les yeux rivés vers le plafond, comme pour célébrer quelque chose. Mais au lieu de profiter de la boisson, il se versa délicatement le contenu sur le visage. L'alcool se déversa sur son front et s'infiltrait dans le creux de ses yeux qui devinrent rapidement rouges. Mais Cyrus ne faiblissait pas, et gardait les yeux ouverts malgré la douleur. Un sourire malsain se dessina, laissant apparaitre ses dents comme un loup affamé prêt à sauter sur sa proie dûrement chassée. Sa langue caressa ses lèvres et récolta les quelques gouttes d'alcool qui coulaient, mélangées à des larmes de souffrance. Pendant qu'il profitait de son breuvage à sa manière, Cyrus continuait à jouer avec la lame, la plantant légèrement sous sa machoire pour partager la douleur qu'il avait causé, pour se sentir plus proche de sa victime, pour ressentir ce qu'elle avait vécu.
La nuit passa, le jour se leva, samedi arriva et Cyrus ne remarqua rien. Totalement ivre, sa chemise déboutonnée mais toujours assis dans le fond de son siège, il n'avait pas bougé de son bureau depuis son retour. Quelle heure était-il ? Il n'en avait que faire. Quelqu'un toqua à la porte, mais il ne répondit pas. Elle s'ouvrit quand même, légèrement pour ne pas le déranger, et sa femme inquiète lui demanda si tout allait bien. Cyrus ne répondit pas et attendait qu'elle s'en aille. Elle lui annonça que son frère était décédé dans la nuit, qu'elle s'inquiétait pour lui et qu'elle souhaitait savoir où il était sorti hier soir. Mais Cyrus n'entendait pas. Au lieu de lancer une nouvelle discussion inutile, il lui fit un geste pour déguerpir, le verre en cristal à la main. Il ne s'était pas retourné, et sa femme n'obéit qu'au membre qui s'était présentée à elle. Elle referma la porte et laissa son mari dans sa folie d'ivresse.
Mort. Il était enfin mort. Cyrus baissa la tête, les cheveux dans les yeux, encore humides par l'alcool. Il n'y croyait pas, mais sa joie ne fut que plus grande. Il éclata de rire et continua à boire le reste de la journée, comme pour se féliciter et célébrer cet heureux évènement.
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