DIMANCHE

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 Lors d'un dimanche pluvieux, un cortège gravissait une colline en direction du cimetière. Tous habillés en noir, les parapluies déployés, l'ensemble des conviés suivaient le corps d'un homme, un proche, enfermé dans un cercueil qui était soulevé par six porteurs. Parmi ces personnes se trouvaient famille, amis, collègues. Une semaine s'était écoulé depuis sa mort. Sa femme avait retrouvé son corps inerte, gisant dans son propre sang. Elle revenait de son travail de nuit, épuisée de tous ses patients. Elle n'avait qu'une hâte, se coucher dans les bras de l'homme de sa vie. Mais la vie étant injuste, son mari s'était endormi bien avant elle, et pour l'éternité. Elle pleura durant des heures, ses rêves et son avenir s'écroulaient. Et ses larmes ne se sont pas arrêtées durant sept longues journées. Elle n'a également pas prononcé un mot depuis. À ce jour, elle s'empêchait de se laisser mourir pour une chose, leur enfant qu'elle porte depuis quatre mois.

 Personne ne parlait pendant cet enterrement, à l'exception du prêtre qui récitait les prières habituelles. Des chants accompagnés par les pleurs des proches du défunt. Le cercueil fut ensuite déposé dans le fond de la fosse qui avait été creusée dans la matinée. Sa femme hurlait à la mort dans l'espoire qu'on lui rende son mari. Les premiers mots de la cérémonie. Une petite fille vint la réconforter, tout aussi triste que cette femme. Il s'agissait de la nièce du défunt, qui aimait profondément son oncle malgré la distance qui les séparait. Le duo fut rapidement rejoint par une troisième femme, la mère de la petite fille, qui partageait leur tristesse et qui leur amenait du réconfort. Parmi la famille se trouvait également la marraine, qui ressentait la même douleur, comme si elle venait de perdre son fils. Cette famille était détruite.

 L'enterrement fut déchirant. Les larmes s'étaient mélangées au milieu des gouttes de pluie et le groupe s'en alla progressivement. D'abord les connaissances, puis les amis proches et enfin la famille. Tous étaient partis, à l'exception d'un homme. Cyrus.

 Lui qui était resté à l'arrière du groupe se retrouva malgré lui sur le devant de la scène. ll replia son parapluie maintenant que l'averse était finie, rangea une main dans sa poche, et avança vers la tombe fraichement rebouchée. Il garda le silence quelques minutes, imaginant ce que l'homme six pieds sous terre pouvait ressentir à cet instant. Puis il engagea un discours qu'il avait récité maintes fois dans sa tête, comme s'il s'agissait d'une comptine.

 — Solomon, tu as eu une vie très atypique.

  Né un lundi

  Baptisé un mardi

  Marié un mercredi

  Malade un jeudi

  À l'agonie un vendredi

  Mort un samedi

  Et enterré ce dimanche-ci.

  Ainsi finit la vie... de Solomon GRUNDY.

 Cyrus patienta, le regard fixé sur le sol, comme s'il attendait à le voir se mouvoir ou tout simplement à lui répondre. Après tout, Solomon lui avait offert bien des surprises. Mais à cet instant, seul le vent discutait avec cet homme. Alors Cyrus reprit.

 — Et pourtant, malgré le fait que tu sois parti, je n'en ai pas fini avec toi.

 Cyrus se munit d'une pelle qui trainait sur le côté, et il la planta dans le sol. Il poussa avec son pied afin de recueillir un maximum de terre, et la retira pour creuser et atteindre le cercueil. L'homme passa alors près d'une demie-heure pour atteindre le cadavre. Il s'adossa ensuite contre un arbre et patienta. Après quelques minutes, une calèche arriva, dirigée par deux hommes à la mine patibulaire, et tirée par deux magnifiques chevaux d'un noir cendré. Les deux hommes descendirent du véhicule et sortirent de grosses chaînes qu'ils accrochèrent au cercueil. Tout était planifié, et leurs actions ne nécessitaient aucune communication. La nuit tombait peu à peu, et un brouillard lugubre s'installa autour d'eux. L'un des compères alluma une lanterne qui pendait à l'avant de la calèche et se remit rapidement au travail.

 Le cercueil sorti et arnaché à l'arrière de la calèche, Cyrus les remercia avec une poignée d'argent, monta à l'avant du véhicule, et emprunta un sombre chemin avant de disparaître rapidement dans la pénombre. Il voyagea pendant une dizaine de minutes, le cercueil de Solomon traînant à l'arrière. Cyrus restait cependant silencieux et détendu, comme bercé par le son que produisait les pas des chevaux. La brume lui collait à la peau, semblable à des âmes qui essayaient de s'échapper d'une mort certaine, avant de se laisser glisser vers une antre de ténèbres que Cyrus fuyait calmement. Il ne faisait pas partie de ce monde, mais il accompagnait son frère à un repos qu'il estimait plus juste.

 Un coassement se fit entendre au loin, à travers les branches des arbres qui se rapprochaient de la calèche. Des moustiques commençaient à virevolter autour du cocher pour lui souhaiter la bienvenue et les corbeaux pendus aux branches surveillaient qu'il ne s'écarte pas du chemin. Cyrus arriva par la suite à destination, un vieil étang qui dégageait une odeur nauséabonde. L'homme descendit ensuite à l'arrière du véhicule pour décrocher le cercueil, abîmé par le voyage. Il le poussa tant bien que mal vers la source d'eau et l'observa quitter le rivage. La boite commença à flotter avant de plonger progressivement dans les profondeurs du lac. L'eau s'infiltrait petit à petit dans les fissures et le cercueil disparut rapidement.

 Cyrus regarda quelques instants les bulles qui remontaient à la surface, afin de s'assurer et de profiter de cet adieu, puis repartit, ne racontant à quiconque ce qu'il avait fait.

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