1.1
Samedi douze octobre deux mille dix-neuf : j –21
Égypte, temple du dieu Seth, journal de bord de Pierre Berthas
Lundi 23 septembre : la porte du temple a dû être forcée pour être ouverte. Plusieurs ouvriers, superstitieux, ont refusé d’y pénétrer et ont quitté le camp. Je n’en ai pas fait cas et ai poursuivi mon exploration. L'intérieur sombre présente une vaste allée, délimitée de chaque côté par des lignées de colosses de pierres séparées par des colonnes. Des statues en granit gris d’hommes à tête bestiale. L'ensemble demeure impressionnant et donne le sentiment de se retrouver en face du dieu lui-même.
Mardi 24 septembre : la découverte de la seconde salle s’est révélée splendide. De hauts piliers sculptés soutiennent un large plafond rocheux peint en rouge. Sur les murs s’identifient, à la lueur des lampes, des scènes de vie représentant l’adoration des hommes pour la divinité. Ces dessins me rendent mal à l’aise. Aimer à ce point un dieu maléfique me donne froid dans le dos.
Mercredi 25 septembre : des évènements étranges sont survenus dans le monument durant la journée. Des courants d’air glacé, semblant surgir de n’importe où, ont sillonné le sol de pierre et nous ont gelé les pieds. Des torches enflammées se sont éteintes de façon subite, nous plongeant dans le noir à plusieurs reprises. Des chuchotements, à peine inaudibles, se sont élevés au même instant. Les ouvriers pensent que les lieux sont hantés ! Balivernes !
Jeudi 26 septembre : deux galeries ont été dégagées au fond de chaque extrémité de la deuxième salle. Elles permettent d’accéder à de grandes chambres surchargées de trésors, donnant elles-mêmes sur de nouveaux boyaux et des pièces tout aussi riches. Je n’ai jamais découvert autant d’œuvres anciennes accumulées dans un même endroit. Je n’en reviens pas encore !
Vendredi 27 septembre : des hurlements stridents et des grognements ont retenti cette nuit dans le campement, nous laissant tous transis de peur. Les hommes rechignent à transvaser les premiers ouvrages (composés d’or, de matériaux rares et de pierres précieuses) hors du temple pour les dépoussiérer et les prendre en photo. Une bête rôderait-elle dans le secteur ?
Samedi 28 septembre : le garde-manger a été découvert, pillé ! Tout est sens dessus dessous ! Les sacs sont éventrés, les flacons brisés et les paquets déchiquetés ! La présence d’un animal se confirme ! J’ai proposé d’effectuer une ronde la nuit pour s’en débarrasser. Du côté du temple, aucun souci particulier. Les ouvrages s’accumulent dans des caisses fermées sous la tonnelle, prêtes à être expédiées.
Lundi 30 septembre : j’ai déniché une nouvelle chambre tout exigüe, de deux mètres de diamètre. Cette pièce, taillée de façon grossière dans la roche, s’avère sommaire. Les murs sont nus, sans peinture ni décoration. Un petit cercueil, d’un mètre de long, repose sur le sol inégal. À voir la masse de poussières accumulées sur son couvercle, il demeure ici depuis une éternité. Sa présence m’intrigue et m’étonne. Aurait-on voulu s’en débarrasser ?
Mardi 1 octobre : ce sarcophage en or contient un félin momifié ! Sur le dessus, figure la représentation d’une femme à tête de chatte, vêtue d’une longue robe blanche, peinte avec minutie. Sans doute une reproduction de la déesse égyptienne Bastet. Des lignes de hiéroglyphes colorés recouvrent les deux côtés du cercueil. Ses signes sont trop anciens. Je n’ai pas réussi à les déchiffrer. Après réflexion, j’ai supposé que ce cercueil appartînt aux trois objets requis…
Mercredi 2 octobre : la bête rôde sur le lieu de fouille à la tombée de l’obscurité. Nous avons entendu ses hurlements plusieurs soirs d'affilée et avons découvert des traces de pattes dans le sable des allées du camp. Ce matin, des manches en bois d’outils ont été retrouvés rongés et des caisses démantibulées. Les recherches pour repérer l’animal et l’abattre n’ont rien donné. Les ouvriers sont nerveux. Ils sursautent au moindre bruit suspect et ne se déplacent plus qu’avec une arme sur eux.
Vendredi 4 octobre : j'ai expédié les premières pièces dans ma demeure en France. J'ai eu Alexis au téléphone. Il les réceptionnera dès leurs arrivées. Je lui ai parlé des deux objets particuliers qui lui seront envoyés à part le lendemain. Il n’a pas compris ma demande. Enfin, ce n’est pas grave. L'essentiel est qu’il communique le premier à Chloé et qu’il condamne le second.
Samedi 5 octobre : un courant d’air froid à en engourdir les doigts, s’échappant des interstices d’un ancien mur de pierre dans la seconde salle, m’a interpellé aujourd’hui. Je l’ai fait abattre par les ouvriers. Derrière, un étroit boyau donne sur une chambre de forme conique, aussi sombre et glaciale que le fond d’un gouffre et garni d’un trésor inimaginable ! La pièce entière regorge d’œuvres antiques, d’une richesse inégalée ! Elles s’empilent les unes sur les autres, formant une montagne artificielle de deux mètres de hauteur ! C’est incroyable !
Dimanche 6 octobre : la salle décelée se révèle être le sanctuaire du dieu Seth lui-même ! Sur les parois rocheuses s’inscrivent d’immenses scènes, retraçant la vie de la divinité, du début de son règne à sa fin. Au milieu trône une grande table en pierre sculptée. Son plateau est enveloppé de taches sombres, semblable à du vieux sang séché, provenant sans doute d’anciens hommes offerts en sacrifice. Elle m’a donné froid dans le dos, autant que cet air frigorifique qui semble s’échapper de cette étrange cavité, tout au fond de la pièce. L’intérieur, peint en rouge et tapissé de symboles, abrite une petite statuette noire aux yeux de rubis. Les ouvriers refusent de s’en approcher. Selon eux, elle représenterait la divinité sous sa forme animale et maudirait tous ceux qui s’avanceraient vers elle.
Lundi 7 octobre : une triste tragédie est survenue aujourd’hui. Un des bustes des quatre colosses de pierre de l’entrée s’est brisé en morceaux. En tombant, les blocs ont heurté deux hommes chargés d’œuvres antiques qui sortaient du temple. Ils ont frappé à la tête et à la poitrine et ne s’en sont pas échappés...
Mardi 8 octobre : encore un nouvel accident. Des cobras royaux se sont glissés sous la tonnelle durant le repos des ouvriers. Deux de nos compagnons ont été mordus. Ils sont morts dix minutes plus tard malgré l’administration d’un anti-venin…
Pierre Berthas – aussi dénommé le vieil homme à cause de ses longs cheveux blancs attachés en queue-de-cheval, dégarnis sur le front et les tempes – délaissa sa lecture, las de ses incidents qui ponctuaient son quotidien.
Après avoir jeté un regard dépité sur les deux cadres disposés en face de lui – sa fille Chloé et son fils Alexis lorsqu'ils étaient enfants –, il ôta ses lunettes, sortit un mouchoir de la poche de sa veste et essuya son visage moite. Sur la table de camp en fer, utilisé en tant que bureau, traînait une bouteille d’eau, près de l’appareil photo – il était anti-technologie et ne possédait pas d’équipements numériques, ordinateur ou téléphone portable. Il l’attrapa d’une main tremblante, s’en servit un verre et le but avec reconnaissance. La chaleur en journée en plein désert restait étouffante.
Sa peau blanche en subissait les frais – elle avait tendance à rougir, à cloquer et à peler – et l’obligeait à se couvrir des pieds à la tête. Il transpirait et suffoquait comme un bœuf malgré ses vêtements légers en coton. Aussi privilégiait-il les lieux à l’ombre (sa tente, les tonnelles ou l’intérieur du temple) pour travailler sur ses dernières trouvailles. C'est ainsi qu’il avait eu vent du drame.
Annotations
Versions