Prologue
Les chapitres prologue à 3 - 2 ont été basculés en texte final, bonne lecture
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Lieu, heure et date inconnus.
Lorsque la neige se mit à tomber, Rosalie sut qu’elle n’arriverait pas à temps pour empêcher un meurtre.
Elle hurla de rage en découvrant le manteau neigeux qui enveloppait déjà les sentiers de montagnes. Les roues de son véhicule lancé à pleine vitesse pouvaient glisser à tout moment. Rosalie tira sur les sangles du cheval pour forcer le cyclopousse à ralentir. Un moyen de transport inadapté, mais sa conductrice ignorait comment monter et n’avait trouvé de mieux. L’urgence lui avait fait oublier toute prudence. Elle réalisait maintenant que c’était stupide, inconscient, de s’élancer sans préparation dans la forêt en pleine nuit d’hiver.
Rosalie s’engagea dans un étroit chemin sur la gauche.
D’un élan furieux, elle chassa les flocons qui venaient se coller sur son visage. Le vent glacial lui fouettait la peau, lui rappelant que, dans sa précipitation, elle n’avait enfilé que son manteau. Ses lèvres la brûlaient, de même que ses doigts difficilement serrés autour de la sangle.
Il fallait qu’elle s’en fiche, qu’elle oublie de s’en soucier. Un homme allait se faire tuer et elle était seule à le savoir ! Si Rosalie ne l’empêchait pas, on l’accuserait peut-être de complicité ou de n’avoir su éviter la catastrophe qui en découlerait. Quant au possible meurtrier, elle se moquait bien de son sort. Avec un peu de chance, peut-être serait-ce lui qui allait se faire…
Non ! Ne dis pas ça, ne sois pas comme lui !
Il méritait de payer pour ses erreurs, et pour cela, il devait rester en vie.
Déterminée, Rosalie fit claquer les rênes du cheval. Ses sabots battirent sans bruit la terre blanchie, mais le véhicule était dangereusement secoué de toutes parts, manquant d’éjecter sa passagère.
La prudence se disputa de nouveau à la colère, et Rosalie ralentit. Si elle le poussait trop, l’animal finirait avec une jambe cassée, prise dans une racine ou une irrégularité du sentier. La lampe-tempête accrochée au-dessus du siège conducteur était pratiquement inutile face aux ténèbres, alourdies par les nuages qui masquaient les étoiles.
La route s'enfonça davantage entre les pins. Rosalie espérait qu’il s’agissait de la bonne direction. Elle n'était jamais venue et se basait uniquement sur de vagues indications. Il lui avait fallu insister, l'air de rien, auprès de celui qu’elle poursuivait, pour ne pas déclencher sa paranoïa.
Avant tout ça, il ne se serait jamais comporté ainsi.
Rosalie était démunie face à cet homme. Ne savait plus comment réagir face à lui. Elle s'était longtemps demandé si elle pouvait être en partie responsable. Maintenant, elle comprenait que non. Et elle refusait de le laisser gâcher davantage sa vie, de l’obliger à porter le fardeau de ses erreurs.
Elle déglutit pour tenter de chasser la boule d’angoisse dans sa gorge. Une sensation d’étouffement menaçait de s’emparer d’elle – la même depuis des mois.
Alors qu’elle caressait enfin l’espoir d’arriver à temps, le véhicule bascula soudain sur la gauche. Rosalie poussa un cri avant de se rattraper de justesse au siège. Une roue du cyclopousse s'était prise dans un creux du sentier. Rosalie jura avant de descendre, lampe-tempête en main. Elle constata rapidement que le véhicule n'avancerait plus. Rosalie dut capituler.
Abandonner l’animal lui meurtrissait le cœur, mais elle n’avait pas le temps de s’en occuper. Rosalie lui accorda une caresse – un élan de compassion qui lui fit perdre un temps précieux. Elle continua par ses propres moyens, presque en courant. Son cœur menaçait de lui déchirer la poitrine, le souffle blanc échappé de ses lèvres gênait sa vue. Elle trébucha, mais elle tint bon, ignorant la saleté qui s'accrochait à ses bottines.
La lisière des arbres lui apprit qu'elle était enfin arrivée.
De l'imposant manoir sombre, seule une faible lueur se détachait de la porte d'entrée entrouverte.
Rosalie se hâta de franchir la grille du domaine envahie de lierre et de neige pour remonter l’allée de graviers gelés avant de se précipiter sous le porche, le souffle court.
Au moment d'ouvrir la porte, elle hésita.
Que ferait-elle si ce n'était pas la bonne personne qui avait eu gain de cause ? Est-ce que l'autre s'en prendrait à elle aussi ? Elle n'était pas armée, ayant toujours refusé de se servir d'un revolver. Quant à fabriquer un sortilège de défense, les ingrédients et le temps lui manquaient.
Mais elle avait encore une chance d'empêcher un malheur, alors malgré sa peur, malgré cette petite voix l’incitant à les abandonner, Rosalie posa une main tremblante sur la porte et poussa.
La lumière dans sa main lui révéla aussitôt le corps gisant sur le parquet, un sourire écarlate dessiné en travers de la gorge. Et la silhouette qui se tenait à côté, le couteau ensanglanté encore en main.
Rosalie la regarda, mais n'eut droit qu'à une expression hébétée. Depuis combien de temps était-il figé ainsi, paralysé par son geste ?
Il fut incapable de parler. Rosalie vacilla, se retenant de justesse à la porte.
Trop tard. Trop tard !
Elle regarda de nouveau la silhouette, mais ne voyait plus désormais qu'un coupable.
– Qu'est-ce que tu as fait ?
Il allait tomber, et elle ne pouvait que prier la Lune pour ne pas le suivre dans sa chute.
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