Chapitre 27 - 3
Elle s'aperçut soudain que Noé la fixait, s'attardant sur sa main appuyée contre sa poitrine. La jeune femme la retira et redressa le dos.
– Ici, annonça soudain leur prisonnier.
Amerius ouvrit la porte. Ils débouchèrent sur un toit-terrasse dont Rosalie remarqua aussitôt l'emplacement, situé entre un hangar et une série de fenêtres appartenant à la prison.
– C'est cela que tu appelles une sortie ? fulmina Amerius.
– C'est le seul chemin pour ne rencontrer personne.
Amerius le fit s'agenouiller avant de se tourner vers Rosalie.
– Je suis navré, mais je vais devoir vous le demander.
Il lui fit signe de se saisir de l'épée. La jeune femme s'avança, les jambes tremblantes. Son front et ses mains étaient moites, la douleur lui compressait la poitrine.
Amerius se dirigea vers le bord de la terrasse.
– Le toit du hagard est proche et plus bas que nous, en sautant nous devrions pouvoir l'atteindre.
Rosalie ne répondit pas, elle l'avait à peine entendu. Sa main avait de plus en plus de mal à tenir l'épée, sa vision se troublait. Le Bas-Terrien lui parla, mais sa voix était étouffée, lointaine.
Elle avait mal à la poitrine. Sur la gauche, juste sous le sein, là où les battements étaient devenus plus faibles.
Mon cœur, il arrive quelque chose à mon cœur.
Sa main lâcha l'arme, ses jambes cédèrent.
Il lui sembla que deux voix l’appelèrent, mais la jeune femme ne savait pas laquelle écouter. Elle s'effondra sur la pierre.
Un bras se glissa sur ses épaules et la retourna sur le dos. Rosalie vit un visage au-dessus du sien, mais le sel de sa sueur lui piquait les yeux.
– Rose ! Rose, répondez-moi !
La jeune femme reconnut l'éclat rouge du manteau d'Amerius. Elle voulut s'y accrocher, s'en saisir comme une bouée de sauvetage, mais son bras était engourdi. Le manque d'air l'empêchait de respirer, de parler. Elle sentait une brûlure naître sur son omoplate gauche, là où se trouvait sa tache de vin.
– Qu'est-ce que vous lui avez fait ?!
– Je n'ai rien fait, elle était déjà mal quand vous m'avez libéré !
Noé fit mine de s'approcher, mais Amerius le repoussa.
– Reculez !
– Je peux l'aider ! Je sais ce qu'elle a, je peux la sauver !
– Je ne vous fais pas confiance. Vous êtes un assassin !
– Pas envers elle.
Rosalie essaya de parler, de se faire entendre par-dessus le vacarme. Elle parvint à se saisir du manteau d'Amerius pour attirer son attention et à rapprocher son visage du sien.
– Le... le garde !
À se disputer, ces deux imbéciles l'avaient laissé partir ! Amerius posa Rosalie au sol et se saisit de son épée, mais il était déjà trop tard, l'homme avait disparu. L'alarme qui se mit à hurler dans le bâtiment leur confirma que la situation dégénérait.
– Nous devons sauter sur le toit !
Amerius passa un bras sous les épaules de Rosalie. La jeune femme mit ses dernières forces dans ses jambes, pour qu'elles ne cèdent pas, pour qu'elles l'emmènent jusqu'à ce rebord, qui lui semblait si loin.
– Sautez en premier, ordonna Amerius.
Rosalie vit Noé se hisser sur le rebord, un regard indifférent posé sur le toit en contrebas.
– Allez !
Noé sauta. Il se réceptionna lourdement sur l'épaule avant de rouler misérablement sur lui-même pour se remettre debout.
Amerius se tourna alors vers Rosalie.
– Nous allons sauter ensemble, accrochez-vous à moi.
Elle passa ses bras presque inertes autour de son cou.
Un claquement et des hurlements retentirent soudain derrière eux, et la jeune femme reconnut les soldats Bas-Terriens.
Elle se souvint à peine qu'ils avaient sauté, juste qu'Amerius lui avait demandé de s'accrocher et que la sensation de reposer sur quelque chose l'avait quitté. Un choc violent la ramena à sa pleine conscience.
Ils étaient sur le toit, Rosalie à moitié étendue sur Amerius qui avait encaissé le plus gros du choc.
La jeune femme se releva, et se fut à son tour de l'aider à rester debout, poussée par un regain soudain. Ses membres avaient retrouvé un peu de force, respirer devenait moins difficile.
– Appelez vos Poupées !
La voix d'Amerius était brisée, il se tenait les côtes, l'une d'elles devait être cassée.
Noé fit un geste, mais un tir de revolver l'atteignit à l'épaule. Il hurla, la main sur sa blessure.
Sur le toit, les soldats étaient plusieurs à les viser et Rosalie n'eut pas le temps de hurler qu'elle entendit le claquement d'un fusil.
Une Poupée s'interposa entre elle et la balle. Les créatures apparurent par trois sur le toit, deux d'entre elles occupées à soutenir Noé. La troisième posa ses mains sur les épaules de Rosalie. En face, les gardes s'étaient interrompus, certains avaient reculé, effrayés.
La jeune femme voulut se saisir du bras d'Amerius, mais l'ordre de Noé claqua comme un fouet.
– Pas lui.
Une quatrième Poupée se jeta sur Amerius avant de le plaquer au sol.
– Qu'est-ce que vous faites ?!
Rosalie se débattit, mais la Poupée était trop forte pour elle qui n'arrivait plus à tenir debout.
Amerius tenta de frapper celle qui le retenait, mais la créature lui appuya sur les côtes. Il hurla et Rosalie se joignit à lui, malgré sa voix éraillée par la cendre de la Poupée.
– Laissez-le ! Il n'a rien fait ! Il est venu vous libérer !
Noé lui renvoya un regard haineux, mais ce n'était pas à elle qu'il était destiné.
– Les Bas-Terriens n'ont rien à faire en dehors de leur pays ! Vois ce qu'il se passe, quand on leur donne la magie !
– La magie n'y est pour rien ! La guerre trouvera toujours un moyen de se faire !
Ces paroles durent atteindre quelque chose en lui. Noé se figea, les yeux agrandis de stupeur.
– Tu as raison. La magie n'y est pour rien. Mais je vais quand même la reprendre à ceux qui me l'ont volé avant de faire brûler cette terre maudite. Et tu vas venir avec moi.
– Non !
Sans réfléchir, Rosalie porta la main à son revolver. Elle le dégaina et tira, avant de le lâcher ; elle était trop faible pour le tenir plus longtemps.
Noé hurla, la balle l'avait atteint à la cuisse.
En pleine contradiction, la Poupée desserra sa prise sur Rosalie, qui se déroba. La Poupée tendit le bras pour la rattraper, mais il s'évapora dans un nuage de cendres. Ses consœurs disparurent dans un éclat doré, emportant Noé avec elles.
Rosalie se précipita vers Amerius, mais son corps l'abandonna de nouveau. Effondrée au sol, par ses poumons ridicules et ses jambes inutiles, elle se traîna sur les bras pour rejoindre Amerius.
La Poupée venait d'enrouler ses mains autour de son cou et serrait, tant que sa magie le lui permettait.
Amerius lui avait saisi un bras, tirant dessus pour le réduire en cendres, mais Rosalie voyait qu'il souffrait.
Au même moment, des soldats Bas-Terriens déboulèrent sur le toit, et les visèrent aussitôt, tout en conservant une distance prudente.
Mais elle s'en fichait, ses armes pointées sur elle n'avaient aucune importance tant qu'Amerius avait besoin d'elle.
Ses bras la laissèrent tomber. Sa vue était brouillée, ses oreilles bourdonnaient et sa poitrine, sa poitrine tirait toujours, faiblement, mais sans s'arrêter.
Rosalie trouva la force de relever la tête, tandis que des soldats Bas-Terriens venaient vers elle et lui plaquaient la joue au sol.
Elle crut alors rêver, que son état lui causait des hallucinations, mais une masse blanche venait droit vers eux depuis l'horizon.
Elle avala le ciel, les toits, les routes, en même temps que des hurlements se soulevaient à son passage, avant de se taire.
Rosalie regarda Amerius, parce qu'elle ne voulait pas que la dernière chose qu'elle vit avant d'être emportée fût un visage Bas-Terrien. Amerius rayonnait. Une lumière dorée venait de jaillir de la Poupée toujours accrochée à lui, enveloppant également le mage. Rosalie vit le même éclat remplir son champ de vision, en même temps que revenait la brûlure à son omoplate.
Aveuglée et épuisée, incapable de reprendre un souffle normal, elle ferma les yeux au moment où la vague les enveloppait, dans un vacarme sourd semblable à l'océan qui s'échouait sur le sable.
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