Chapitre 41 - 2
– Notre communauté n'est pas très loin.
Érable, l'homme qui dirigeait le groupe, souleva une branche basse afin de laisser passer Rosalie.
Cerise, Nuage et Crépuscule s'étaient saisis du charriot avec une dévotion craintive, et le tiraient sur le sentier.
Renarde galopait quelques pas devant eux, tandis que Papillon et Glaise fermaient la marche.
Les arbres se clairsemèrent de plus en plus, jusqu'à ce que l'horizon ne se dégage d’un coup.
Le sol s'inclinait sur deux cents mètres, droit vers le cratère... et la Lune.
L'imposant rocher gris, reflété de nuances plus sombres et constellé de minuscules cavités. Un morceau de ciel. Rosalie comprit ce que les premiers magiteriens avaient vu lors de cette découverte.
Le rocher se dressait sur dix mètres de haut pour le double de large, et il portait en lui cette impression, presque douce et rassurante, de puissance et d’humilité mêlées.
N'étant ni matriarche ni héritière, Rosalie n'avait jamais mis les pieds ici à son époque.
Seul, le cratère devait déjà être impressionnant à voir, mais elle serait la seule depuis des générations à l'avoir contemplé avec ce qui lui avait donné naissance.
Parvenue au bas de la pente, Rosalie s'approcha de la roche, sans que l'on en empêche. Les habitants se tenaient en retrait, s'imaginant qu'il devait s'agir là d'un moment sacré.
La jeune femme tendit la main et toucha la Lune du bout des doigts. Elle sourit, comme lorsque l'on retrouve une vieille amie précieuse.
Elle avait bien sûr déjà caressé les pierres du manoir, mais frôler la roche brute, naturelle, était une sensation différente, apaisante et revigorante à la fois.
Lorsque Rosalie retira sa main, ce fut presque un déchirement.
Entre temps, d'autres habitants s'étaient rapprochés, et au retour de la jeune femme, ils reculèrent en baissant timidement les yeux.
Rosalie fut conduite au village, situé de l'autre côté du cratère. Deux cents personnes vivaient là, dans de petites maisons de pierres extraites du rocher Lunaire.
– Nous l'avons découvert alors que nous cherchions désespérément un toit, expliqua Érable. Nous avons pris cela comme un signe.
Ses mains s'étaient crispées. Il devait craindre de s'être trompé et d'avoir offensé la Lune.
– Vous avez fait ce qu'il fallait.
Les enfants vinrent à sa rencontre, mains tendues pour toucher ses vêtements, voire sa tache sur le nez pour les plus grands.
On installa Rosalie dans une maison vide. Un matelas et un repas lui furent amenés, posés à côté de son chariot. Sa blessure examinée et nettoyée, Cerise et Renarde lui proposèrent de l'accompagner au ruisseau pour se laver, ce que la jeune femme accepta avec reconnaissance. L’eau était froide, mais lui l’impression de se débarrasser de ses malheurs récents.
Le savon gras et parfumé passé sur son corps, Cerise demanda l'autorisation de lui laver les cheveux. Un peu gênée, Rosalie répondit qu'elle en ferait autant pour elle et Renarde – qui s'avérait être sa fille.
Entre-temps, on avait déposé sur la rive une robe de toile propre à l'attention de Rosalie. Ses anciens vêtements seraient lavés, lui dit Cerise.
Après cela, Rosalie expliqua être très fatiguée de son voyage. Cerise la raccompagna, et ne quitta la maison qu'après en avoir tiré les rideaux.
La mage se laissa aller, malgré le soleil encore présent.
Plus tard, une autre lueur la réveilla, mais ce n'était plus celle du jour.
Une vive clarté perçait au travers des rideaux. Rosalie se redressa, découvrant une lumière crue, irréelle au point de sembler fantomatique.
Intriguée, elle se leva et souleva le rideau qui servait de porte.
Face à elle, dans le cratère, la Lune brillait. Elle rayonnait même, d'un pur éclat d'argent fondu.
Fascinée par ce phénomène, Rosalie s'avança, malgré le froid qui giflait sa peau, jusqu'à ce que la lumière soit trop intense pour être supportable.
La jeune femme ne saisissait pas ce qu'elle voyait. Jamais les pierres du manoir n'avaient brillé ainsi, mais c'était pourtant la même roche.
– Elle est belle, n'est-ce pas ?
Rosalie se retourna. Cerise arrivait vers elle, les yeux plissés à cause de l'éclat.
– Pourquoi brille-t-elle ainsi ?
Si la femme s'étonna de sa question, elle n'en montra rien.
– À cause de la Mère dont elle s'est détachée. Même séparées, elles restent du même sang.
– Pourtant, les maisons ne brillent pas.
– Parce qu'en détachant la pierre et en la taillant, nous l'avons souillée, rendue impure, affaiblissant la magie qu'elle renferme.
– La magie ?
Ainsi donc, ils en avaient connaissance ? À moins que ce terme ne désignât autre chose.
Cerise se pencha et ramassa une motte de terre.
– Regardez comme elle est belle. Nous avons beaucoup voyagé à la recherche d'une vie meilleure, et n'avons jamais vu de sol aussi riche. Les plantes sont plus belles, les arbres plus forts, le gibier abondant, les fruits savoureux. Nos enfants plus vigoureux, jamais malades.
Chose que n'avait jamais vue Rosalie. Exception faite d'elle-même puisque son corps avait été modifié, les enfants magiteriens avaient attrapés les mêmes maux que les autres. De même, si les familles ne s'occupaient pas de leurs terrains, des plantes pouvaient elles aussi souffrir.
– Nous sommes cependant plus vulnérables la nuit, continua Cerise, car le rocher garde la magie pour lui.
Rosalie porta une main à sa poitrine. Son cœur allait-il s'arrêter la nuit tombée ? Il semblait pourtant battre correctement.
– Vous voulez dire... la magie cesse de fonctionner ?
La femme secoua la tête, affolant ses boucles brun-roux.
– Non, ce n'est pas ça. Le reste de la magie fonctionne toujours, mais... en arrière-plan. Comme lors d'une éclipse. La Lune cache le soleil, mais il continue de briller, même...
– Même si on ne le voit pas.
C'était une chose qu'elle ignorait, et qui pouvait tout changer. Rosalie avait compté puiser dans l'ensemble du rocher pour rentrer, mais faire cela pouvait l'endommager. D'un autre côté, Noé ne s'était-il pas déjà servi de roche modifiée pour ses expériences ? De la roche pure n'était donc pas nécessaire.
Rosalie l’observa.
Même si cela n'avait pas d'incidence sur son projet, elle sentait que c'était là une information importante, à garder en tête et à faire mûrir.
Sa curiosité satisfaite, la jeune femme retourna se coucher. Elle s'imaginait avoir des difficultés à dormir à cause de la lumière, mais ce fut au contraire comme une berceuse chantée par une mère à son enfant. Doux et réconfortant.
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