Chapitre 5 - Confirmation
Philippe et Brigitte étaient de nouveau réunis. Brigitte avait résumé sa conversation avec Loïs.
« Toutes les avis convergent, commenta-t-elle. François ne vivait plus que pour son travail, ses placements et avait renoncé à toute vie sociale avec son épouse. Ségolène a donc développé ses propres activités et rencontrait beaucoup de monde en dehors de son mari. C’est comme cela qu’elle a fait la connaissance de Bertrand. Une femme encore jeune, aisée et libre, ça attire nécessairement les hommes non ?
— Tu veux mon avis en tant qu’homme ? demanda Philippe.
— Oui, c’est ça. Essaie d’imaginer la situation.
— Pas difficile en effet. C’est vrai que Ségo a toujours été très séduisante, elle a juste un an de moins que moi, alors bien sûr quand j’étais ado, elle m’attirait, et je n’étais pas le seul, mon frère Louis aussi a eu un béguin. À treize ans, c’était une vraie Lolita, mais son père la surveillait comme le lait sur le feu. Après le coup de massue de Charlotte, il n’était pas question de la laisser flirter avec le premier venu. Il y en a sûrement plus d’un qui ont été tentés, mais ont du renoncer devant les réticences paternelles. Alors, quand elle s’est retrouvée libre et émancipée de toute tutelle, il est certain qu’elle s’est retrouvée au centre des convoitises.
— Tu connais bien Bertrand ?
— Sans doute guère plus que toi. J’ai été invité à leur mariage, bien sûr, mais je n’ai pas eu beaucoup d’autres occasions de le rencontrer. Je sais que sa famille est très fortunée. Il s’est installé comme pharmacien à peine son diplôme en poche, financé par ses parents et il a par la suite racheté plusieurs officines dans le secteur de Mazamet et Castres. Il a été marié une première fois, mais son épouse est décédée assez rapidement d’une maladie fulgurante. Ils n’avaient pas eu d’enfants. Si mes souvenirs sont bons, ils se sont connus à l’occasion d’un tournoi de golf en double mixte, au très select club de La Barouge, à Mazamet. Ségolène a toujours été une très bonne joueuse. Je suppose qu’elle n’avait pas de difficulté à trouver des partenaires.
— Tu penses qu’il a pu y avoir un « dix-neuvième trou » ?
— L’étiquette prévoit que le dernier se prenne au club house, je doute qu’il y louent des chambres.
— Ne joue pas sur les mots, tu m’as très bien compris.
— Bien entendu, je t’ai compris. C’est juste que je n’en sais rien. C’est possible, je te le concède.
— Qui pourrait m’en dire plus ? Il me faudrait trouver la bonne amie perfide, celle qui convoitait le même homme.
— Demande à Marie-Sarah, proposa Philippe. Après tout, c’est elle qui t’a lancée sur cette piste.
— Oui, tu as raison. Je vais essayer de la trouver. »
La jeune fille était attablée avec d’autres garçons et filles de son âge.
« Salut les jeunes, vous avez une place pour la vieille tata ?
— Si tu reviens avec une bouteille, plaisanta Hugues, le fils de Louis et Laure de Loubennes.
— S’il n’y a que ça pour vous satisfaire, attendez-moi une minute. »
Brigitte se dirigea vers le buffet le plus proche et revint avec une bouteille de champagne.
« Si vous préférez du coca ou de la bière, vous y allez vous-mêmes.
— Le champagne, ça ira très bien, répondit Marie-Sarah.
— Alors, vous êtes toujours en train de comparer vos avenirs ?
— Oh, tu sais, on ne planifie pas si loin. On va bien voir ce que ça va donner après la rentrée, il sera toujours temps de changer si ça ne nous plait pas.
— C’est qui le prochain sur la liste ? demanda Brigitte.
— Sur quelle liste ? demanda Hugues.
— Le prochain mariage, bien sûr ! répondit Brigitte.
— Ne le répète pas aux parents, mais je n’ai pas la moindre envie de me marier, répondit Marie-Sarah. Je ne sais pas ce qui a pris à ma sœur de se passer la bague au doigt à vingt ans. Elle est encore étudiante. Je suis prête à parier qu’avant un an elle nous annoncera qu’elle est enceinte. C’est le portrait de Maman et elle va suivre ses traces.
— Et alors, après tout c’est vraiment grave ?
— Tu déconnes, je n’ai pas envie d’élever des mômes avant même d’avoir commencé à vivre !
— Là, tu marques un point, répondit Brigitte. Je suis bien d’accord avec toi.
— Pourquoi est-ce que tu t’es mariée alors ?
— C’est une bonne question, disons qu’on ne voulait pas couper les ponts avec nos familles respectives, alors on a fait une sorte de pacte avec Philippe. On se marie, mais chacun continue à vivre sa vie et sa carrière. J’avoue que c’est un peu égoïste, mais ça marche plutôt bien.
— C’est cool comme approche. Tante Charlotte à l’air d’avoir une vie sympa aussi, même si je ne la vois pas souvent.
— Je ne la connais pas, mais ce que Philippe et Loïs m’en on dit me laisse penser que je m’entendrais bien avec elle.
— Elle a eu le cran d’assumer ses choix.
— J’ai envie de marcher un peu. Tu m’accompagnes ? demanda Brigitte à la jeune fille.
— Oui, bien sûr si tu veux. »
Brigitte attendit qu’elles se soient un peu éloignées des conversations pour reprendre.
« Je ne voulais pas revenir sur notre conversation d’hier devant tout le monde.
— Oui, j’ai bien compris.
— J’ai parlé de ton père, François, et de ta mère et je pense que tu pourrais bien avoir raison. Il ne serait pas surprenant que Ségolène ait pu avoir un ou même plusieurs amants, et ce avant le décès de François. Ton père ne sortait plus, ne faisait plus de sport, ne voyait plus ses amis. Ta mère avait sa propre vie sociale, elle faisait des tournois de golf en double mixte. Elle devait donc côtoyer des hommes et bien sûr, elle ne les laissait pas indifférents. Je peux te dire que moi-même, j’ai régulièrement des propositions de confrères ou même de parfaits inconnus. Si je voulais, je pourrais avoir un homme différent toutes les nuits dans mon lit.
— Est-ce que tu …
— Ça fait partie de notre pacte de vie avec Philippe, on a le droit à des petites fantaisies, mais aucun secret. Et c’est la même chose pour lui. S’il te plait, je te fais confiance, ne le répète pas à la comtesse, pouffa Brigitte.
— Ne t’inquiète pas, je ne dirai rien. De toute façon, à part toi, personne ne fait attention à nous.
— Hier, tu m’as dit qu’un ami de ton père t’avait fait des révélations. Qui est-ce, il est là aujourd’hui ?
— Oui, je crois que je l’ai aperçu tout à l’heure. Ils sont allés à l’école ou à la fac ensemble. Il s’appelle Jacques Langlois.
— Tu pourrais me le présenter ? On n’a qu’à dire que je fais une étude généalogique et que je voudrais explorer cette branche.
— C’est une super idée. Je vais essayer de le trouver et je te l’amène.
— Entendu, on fait comme ça. Je retourne m’assurer que Philippe reste sage ! »
Brigitte s’empara d’une flute de champagne et d’une assiette de canapés avant de retourner à sa table. Philippe n’y était plus. Brigitte le remarqua un peu plus loin, en conversation avec un couple plus âgé. Marie-Sarah s’approcha de la table accompagnée d’un homme d’une cinquantaine d’années.
« Je te présente Jacques, un ami d’enfance de Papa, je lui ai parlé de tes recherches. Je vous laisse discuter tous les deux.
— Enchanté de faire votre connaissance, vous êtes Brigitte, c’est bien ça ?
— Oui, asseyez-vous je vous prie. Je suis la femme de Philippe, un cousin de Ségolène.
— Et donc vous vous intéressez à François Barthélémy, m’a expliqué Marie-Sarah.
— Oui, en fait, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas bien la famille de mon époux, et j’essaie de comprendre qui est qui. Je n’ai pas connu personnellement François, mais j’en ai un peu entendu parler. Philippe lui-même n’a pas pu m’apprendre beaucoup de choses. Marie-Sarah m’a dit que vous étiez amis d’enfance, c’est ça ?
— Oui, en fait, nous avons fait nos études ensemble et nous sommes devenus de bons amis. Nous avons continué de nous voir ensuite, même après nos mariages respectifs. J’étais l’un de ses témoins.
— J’ai cru comprendre que François n’avait pas été bien reçu par la famille de Ségolène, du moins au début.
— C’est un euphémisme. Le père de Ségolène, le vieil aristo allemand, ne voulait pas d’un gendre de basse extraction pour sa fille. François venait d’une famille de français moyens, comme on dit. Ils vivaient correctement, mais n’avaient pas de blason. Je crois que d’autres avaient renoncé avant lui, mais François était déterminé. Je me souviens qu’il m’avait dit : Je l’enlèverai à sa famille s’il le faut, et je mourrai s’ils veulent la reprendre ou quelque chose comme ça ! En fait il était raide dingue de cette fille.
— Et finalement le mariage s’est quand même fait.
— Oui, nous commencions juste à travailler à cette époque. François était entré dans un cabinet de courtage. Il n’a jamais voulu me donner de détails, mais il a réussi à suggérer des placements très lucratifs au futur beau-père, qui l’a soudain vu d’un autre œil.
— Et Ségolène a abandonné ses études pour un mariage rapide ? Elle était enceinte ?
— Non, même pas, je ne crois pas. Pierre est né un an après le mariage, mais François voulait que sa femme se consacre entièrement à leur foyer, qu’ils aient rapidement des enfants. Il était hors de question qu’elle ait une activité professionnelle. Il était persuadé qu’il gagnerait très vite très bien sa vie. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs.
— Cette vie convenait à une jeune femme de vingt ans ?
— Au début, je pense que tout allait pour le mieux. Ils étaient très amoureux, ils s’embrassaient tout le temps. À cette période, on se voyait un peu moins, moi j’étais encore célibataire, on n’avait plus la même vie, mais on gardait le contact. Quand je me suis marié moi-même un peu plus tard, on a recommencé à se fréquenter. Ségolène et Marie-Jo, ma femme, sont devenues amies. Malgré les enfants, on arrivait à sortir ensemble, aller au resto ou au théâtre. Progressivement, François a consacré de plus en plus de temps et d’énergie à son activité professionnelle. Il ne parlait plus que de placements, taux d’intérêts, tendances boursières, ce qui ennuyait profondément nos épouses. Marie-Jo m’a fait comprendre qu’elle n’avait plus envie de ces soirées. Elle a continué à voir Ségolène et moi je parlais au téléphone avec François, surtout d’affaires où nous avions des intérêts communs, mais nous n’avons plus eu de rencontres à quatre.
— Votre épouse avait les mêmes centres d’intérêt que Ségolène ?
— Oui, du moins quelques uns. Ségolène a initié Marie-Jo au golf. Elle n’a jamais atteint son niveau bien entendu, mais il leur arrivait tout de même assez souvent de jouer ensemble.
— J’ai entendu dire que Ségolène jouait en double mixte. Marie-Jo aussi ?
— Non, ou très rarement, elle n’avait pas un handicap suffisant pour faire des tournois.
— C’est facile de trouver des partenaires en double ?
— Je ne sais pas, personnellement je ne suis pas golfeur, mais je présume que Ségolène n’avait pas de difficulté. Compte-tenu de son niveau et de sa classe, les propositions ne devaient pas manquer. Elle jouait surtout à Mazamet, mais avec Marie-Jo, elle allait parfois aux Etangs de Fiac ou à Vieille-Toulouse.
— Pardonnez-moi si je suis un peu directe, mais pensez-vous que les hommes qui jouent en double peuvent avoir d’autres motivations que la seule pratique de leur sport ?
— Ne vous inquiétez pas, j’ai eu les mêmes interrogations que vous et je m’en suis ouvert auprès de Marie-Jo. Elle m’a confié avoir eu elle aussi des propositions extra-sportives. Pas directes, bien sûr, mais des suggestions pour prendre un verre ou un dîner, par exemple.
— Vous pensez que François était lui aussi conscient de cela ? Est-ce que ça lui posait problème ?
— Je crois qu’il s’était rendu compte de la dégradation de son couple, et qu’il s’y était résigné. Il nous est arrivé de parler de ces sujets, pas souvent je dois dire, mais j’ai cru percevoir qu’il se doutait que cela pouvait se produire. Sa maîtresse à lui, c’était la Bourse.
— Est-ce que Bertrand de Mas-Thomier jouait au golf avec Ségolène à cette époque ?
— Je ne suis pas joueur moi-même, je ne peux pas vous le confirmer, mais je n’en serais pas surpris. Bertrand est un joueur assidu qui a lui aussi un excellent niveau. Marie-Jo en sait plus que moi à ce sujet, mais je ne lui ai jamais posé la question. Demandez-lui à l’occasion si vous êtes curieuse.
— Ça doit être de la déformation professionnelle, je suis avocate pénaliste et j’essaie de trouver des connexions partout…
— J’avoue avoir eu les mêmes interrogations. Comme je vous l’ai précisé, François était un très bon ami, et j’ai été malheureux de voir notre amitié se dégrader et sa famille se défaire progressivement.
— Vous pensez que la dégradation de sa santé était due à l’excès de travail ou de stress professionnel ?
— Je ne suis pas médecin, je ne sais pas vous répondre, mais j’ai été surpris d’apprendre son décès brutal. Il se savait atteint d’une maladie chronique et suivait un traitement assidument. Il voyait son cardiologue plusieurs fois par an et se pensait à l’abri de complications, mais je crois que dans ce domaine, il y a des choses qu’on ne peut pas prédire.
— J’en parlerai à Philippe, il doit avoir un point de vue sur la question, même s’il n’est pas cardiologue. »
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