banalités.
- Nous n'avons plus d'argent, Signala Yuu, un matin, tout en préparant le
petit-déjeuner. Nos réserves de pièces impériales d'il y a dix cycles sont
épuisées. Vous avez tout dépensé pour rendre cet endroit plus luxueux que
nécessaire.
Son visage souriant fut des plus inquiétants. Neryss avait tout intérêt à arrêter
sa lecture et à reprendre le contrôle de la situation, sinon il lui faudrait passer
encore une bonne partie de la matinée à se faire réprimander. Il chercha une
excuse valable ou un moyen de s'en sortir et évoqua alors la prime aux élèves
leur permettant de vivre ici, ainsi que la paye qu'allait toucher sa complice.
Mais rien n'y fit. Elle l'assit sur le sol devant elle et lui enseigna l'importance
d'économiser, une nouvelle fois.
Heureusement, quelques coups à la porte d'entrée vinrent couper Yuu dans son
élan et sauvèrent le pauvre bougre d'une interminable leçon. L'incriminé le
pensa peut-être à trop haute voix au vu de comment sa bourrelle le fusilla du
regard. Elle alla ensuite ouvrir et Yin'Fia apparut pour donner des nouvelles.
- Notre directrice m'envoie vous prévenir que vous commencez demain.
Dame Elyrim en tant que professeur de bienséance, et Sean sera dans la classe
gardienne supérieur numéro trois. N'hésitez pas à passer nous voir, chez les
protécorces, si vous avez des questions.
Yuu mit un certain temps avant de répondre, elle ne s'était pas encore habituée
à son nom d'emprunt. Ou peut-être était-ce le fait de revoir Yin'Fia ? Elle prit la
pile de documents que lui tendait la jeune fille et acquiesça d'une voix basse.
- Je suis étonnée que vous habitiez ici et pas au dortoir. Vivre avec un élève
est... étrange, continua la jeune fille.
- Oui, répondit Neryss en s'approchant de la porte. Nous nous connaissons
depuis longtemps. Et comme nous tenions déjà une forge auparavant, sa majesté
Ti Anjou en a profité pour nous confier celle de l'école en échange d'une bourse
un peu plus conséquente. Mais bon, je suis quand même gêné d'avoir une
tutrice.
- Bon, et bien voilà. J'ai fait ce qu'on m'avait demandé, je vais y aller,
maintenant.
À la surprise de son jeune maître, Yuu tendit sa main comme pour attraper
Yin'Fia alors qu'elle commençait à s'en aller. Mais, au final, elle la laissa
s'échapper sans que cette dernière s'en aperçoive.
L'aube suivant arriva vite après s'être couché tôt pour préparer leur entrée.
Neryss frotta le tissu de sa nouvelle tunique bleue pour en enlever les quelques
plis. Il soupira à la vue de sa servante en train d'ajouter la dernière touche à son
Kimono. Cela le rendit jaloux. Les professeurs pouvaient s'habiller comme ils
l'entendaient, eux. Son propre uniforme lui sortait par les yeux, il n'y avait que
trop peu de poches et il serait difficile de se protéger des intempéries sans cape.
Sans même parler du fait qu'il était maintenant totalement identifiable comme
un membre de l'académie à part entière. En plus, même si sa vieille tenue
s'usait, il l'aimait bien. Elle l'avait accompagné durant de nombreux voyages.
Le nouvel élève soupira. Les leçons l’intéressaient quand même plus
qu’escompté, étonnement. Même si l'objectif principal était de pouvoir se
rapprocher des filles tout en rassurant la reine, il en profiterait pour en
apprendre un peu plus sur l'évolution de Meruel au fil de ces cinq cents derniers
cycles. Il avait bien foulé ce sol il y en a dix, mais sans jamais se mêler à la
politique ou même à la vie citadine. C'est à peine s'il s'était sociabilisé.
Les deux complices se saluèrent avant de se séparer et Neryss s'engagea dans
les longs couloirs pour trouver le bureau des professeurs. Il devait s'annoncer en
tant que nouvel arrivant avant le début des leçons. C'était la moindre des
politesses. Il finit par trouver l'objet de ses recherches après s'être un peu perdu.
Il frappa à la porte déjà ouverte et se présenta.
- Ah. Le petit Sean, c'est ça ? Répondit la seule personne encore présente dans
les bureaux. Nouvelle élève. Mhh, je vois, je vois. À cause de toi, j'ai dû venir
plus tôt ! Je voulais continuer de jouer avec Moutmout moi ! Cria la femme de
façon hystérique.
Neryss sentit qu'il allait déjà attraper un mal de tête avec la voix stridente de
cette surexcitée.
- Bah alors tu ne dis rien ? Même pas de salutation, de bonjour ? Ta maman ne
t'a pas appris la politesse ?
Elle se mouvait de façon erratique telle une anguille insaisissable, tout en
blablatant. Elle se rapprocha, imitant une sorte de danse jusqu'à arriver au
niveau d'un Neryss totalement paralysé, ne sachant pas comment réagir.
- O-oui, je m'appelle Sean. Enchanté de faire votre connaissan-
À peine eut-il le temps de finir sa phrase que la femme aux fausses oreilles de
lapins le coupa :
- Bien, bien ! Je suis ta professeure principale, Massie Aeve. Mais tu peux
m'appeler dame lapine, pour aujourd'hui ! J'enseignerai les maths et les
sciences. Accessoirement, je vous fais aussi les entraînements et parfois la vie
de classe histoire que, si vous avez des choses à dire, blablabla, on discute,
bref ! À la salle de classe ! Les autres petits chéris doivent nous attendre !
Dame Aeve, une noble comme le démontrait la possession d'un nom de
famille, précéda Neryss dans les couloirs. Même le luxueux tapis ne suffit pas à
amortir le bruit de ses talons bien trop escarpés. La professeure s'arrêta devant
une porte et expliqua :
- Attends un peu dans le couloir. Je vais t'annoncer pour faire plus d'effet à tes
futurs meilleurs amis.
Neryss fut pris d'un frisson d'inquiétude à l'idée de laisser cette furie lui
déballer le tapis rouge.
L'étrangeté commença des échauffements sous les yeux étonnamment non-
surpris de quelques passants, probablement habitués depuis longtemps par ses
rituels.
D'un coup, elle bondit et donna un grand coup de pied sauté dans la porte
pour s'effondrer une fois celle-ci ouverte. Dans la classe, tous les élèves, assis à
leurs sièges, regardèrent la situation avec une certaine lassitude déconcertante.
- Tadaaaaaah ! S’exclama-t-elle en levant les bras de façon victorieuse après
s'être relevée. C'est vot' prof' favorite ! Dame lapine !
Un silence de mort fut la seule réponse que reçut cette idiote. Elle retira son
serre-tête, déçue quant à l'absence de réaction, et le jeta sur son bureau situé au
fond dans le coin de la salle. Puis, elle poursuivit, ignorant totalement la chute
de sa propre blague.
- Avant de commencer l'appel, j'ai une magnifique nouvelle à vous annoncer !
- Vous avez enfin trouvé un copain ? Coupa l'un de ses protégés.
La femme d'une trentaine d'années sortit une craie de sous sa jupe qu'elle
balança droit sur sa tête avec une force qui surpris tout le monde. Elle
l’assomma sur le coup puis joignit ses mains sur ses propres joues, rougie.
- Le petit coquin, il fait une grasse mat' en pleine classe ! Reprenons,
votre magnifique et sublime professeur en attente de son prince charmant...
Elle marqua une pause dans sa phrase et regarda à droite et à gauche,
attendant un possible autre commentaire avant de reprendre :
- … Aimerait vous présenter un nouvel élève. Sean, tu peux rentrer.
Neryss franchit le pas de la porte d'un pas faussement timide et redécouvrit
l'une de ces nombreuses classes qu'il avait, depuis longtemps, oubliées.
La salle, en forme d'amphithéâtre, surprenait par la blancheur des murs.
L'atmosphère s'en trouvait rafraîchie et renvoyait la lumière naturelle des
nombreuses fenêtres. L'odeur d'encre se faisait omniprésente et témoignait du
relatif sérieux de tous, ou presque. Certains des élèves se démarquaient car un
peu moins attentifs, mais dans la globalité il régnait ici une chaleureuse
complicité entre professeur et élèves. Même si certains d'entre eux se révélaient
étranges. Cette classe était bien différente de l'époque où Neryss était lui-même
directeur. Bien moins stricte et plus chaude.
Le nouvel élève s'arrêta sur l'estrade devant le grand tableau noir et prit une
grande inspiration avant de se présenter.
- Bonjour, je m'appelle Sean. J'étais apprenti forgeron à Ornel avant d'être
victime d'une attaque de monstre. Je serai votre compagnon pour les années à
suivre et, si vous avez le moindre besoin, j'occupe la vieille forge, en bas,
derrière le bosquet.
Neryss joua bien son rôle sur lequel il s'était mis d'accord avec la Reine. Ils
avaient réfléchi longuement sur quel mensonge raconter et s'étaient mis
d'accord pour dire que lui et Yuu venaient d'Ornel, un pays voisin très porté sur
l’expansion militaire et victime de nombreuses attaques de créatures magiques,
tous plus terribles les unes que les autres.
Pendant son discours, il reconnut Herrade dans la trentaine d'élèves l'écoutant.
Cette dernière lui fit un sourire amical en croisant son regard.
- Vas t'asseoir sur la table au fond, que je puisse continuer ma leçon ! Indiqua
l'enseignante tout en désignant une place libre. Et la prochaine fois, fais une
présentation un peu moins barbante, quelque chose de plus impactant et
d'explosif, genre « boum », tu vois ?
Il monta l'escalier jusqu'à l'endroit indiqué et salua le garçon qui lui servirait
de voisin dans le futur, un jeune homme à l'air endormi.
- Enchanté, je suis Sean. Se présenta Neryss.
- Mhh ? Soma. Uep, content d'te voir aussi, répondit le garçon aux cheveux
bouclés avant de bâiller bruyamment et de s'assoupir de nouveau.
La première leçon porta sur l'anatomie du cœur et du cinquième ventricule qui
servait de poche de stockage pour le myod, un fluide corporel propre à tout être
vivant et à l'origine des compétences surnaturelles que chacun pouvait déployer.
Les connaissances sur ce sujet n'étaient pas très élaborées. Dame Aeve signala
que personne ne savait précisément comment activer cette source de pouvoir.
Des théories farfelues avaient été expérimentées au fil des cycles, mais sans
succès. Les chercheurs de l'académie étaient arrivés à la conclusion que seuls
quelques chanceux, ou malchanceux dans la plupart des pays aux croyances
discriminatoires, pouvaient exploiter ces dons mystiques.
C'était étrange, ça ne concordait pas du tout avec les connaissances de Neryss.
Les élèves de l'époque savaient comment s'activait le dernier ventricule, c'est
pour cela même que l'école fut créée. Ils devaient intervenir aux endroits où ils
suspectaient une présence surnaturelle quelle qu'elle soit, la gérer et, si des
témoins s'y trouvaient, les recruter. Ainsi, l'école gardait un œil dessus et leur
apprenait à vivre sans provoquer de nouveaux drames. Parce que oui, il suffisait
d'être en contact avec une source myodique pour débloquer ses propres
capacités. Hélas, les contrôler et éviter des catastrophes demandait des années
d'entraînement.
Alors que Neryss tergiversait, les cours continuèrent. Certains portèrent sur
les théories magiques et les différentes façons d'incanter, et d'autres se furent
plus généraux avec des notions de langues comme le saël, la langue des
saelfines utilisée pour les sorts. Ou encore l'histoire de Meruel et de sa
fondation presque divine orchestrée par un être nommé « le lumineux ». Le
faux-élève s'énerva. Ce n'était pas le lumineux, cet imposteur, qui avait créé
Alnire, mais sa propre sœur, Amane la créatrice et lui-même. Après, justement,
une bataille acharnée contre ce prétendu divin voleur de trône, qui coûta son
corps à cette première.
Entre chaque pause, les élèves affluèrent pour questionner Neryss. Jusqu'au
midi, où ce fut au tour d'Herrade de venir seul à sa table, au réfectoire.
- S-salut, Sean ! On est dans la même classe, hein ? C-c'est moi Herrade,
s'extasia-t-elle timidement.
- Oui, le hasard fait bien les choses. Au moins, si j'ai des questions à poser, tu
seras là !
Elle sourit.
- M-merci, mais tu sais je n'ai pas très bonne réputation, ici. Je suis faible et
on me met toujours de corvée pour les tâches dont personne ne veut.
Des chuchotements s'élevèrent autour d'eux pour la dénigrer dans son dos.
Neryss comprit qu'elle était victime de brimades. Il secoua la tête par déception.
- Si tu veux, on peut devenir amis, je m'en fous de ta réputation.
- Oui... oui ! Je veux bien ! S'exclama-t-elle, les yeux brillants et le sourire
encore éclatant.
Ils passèrent toute la pause déjeuner à discuter ensemble tout en admirant les
nombreuses voûtes de l'architecture gothique. C'était pratique pour Neryss, les
autres élèves arrêtèrent de l'approcher et de lui poser toutes sortes de questions
plus ou moins intimes. Il n'eut qu'à se contenter de supporter sa nouvelle amie,
un véritable moulin à parole. Mais bon, son côté pur et naïf le rafraîchissait.
De longs cheveux châtains retombaient sur ses épaules et elle avait, pour son
âge, des formes voluptueuses qui attiraient le regard de certains de ses
camarades. Cela semblait la mettre mal à l'aise et elle n'osait pas les confronter.
Elle discuta de sa passion pour les voyages, de son rêve de voir des cascades,
des forêts féeriques ou encore des mers de nuages à perte de vue. Ses yeux se
perdaient entre les vitraux. Cette fille se sentait mal dans sa peau, sa timidité
l'empêchait de s'exprimer correctement et chacune de ses phrases se ponctuait
de bégaiement. L'instinct paternel de Neryss lui hurlait de s'occuper d'elle.
- Sean ? Tout va bien ? Demanda-t-elle, le voyant en pleine réflexion.
- Oui, oui, pardon. Je réfléchissais juste à cet après-midi. Nous avons notre
cour de défense, je crois. Et je ne suis pas très doué pour me battre,
Bien sûr, c'était un gros mensonge. Ses cours l'ennuyaient et la plupart des
choses qu'il y apprenait étaient trop souvent incomplètes voire même carrément
fausses. Les leçons comportaient trop de théories et de mésinterprétations, rien
de concret ni de pratique. Un élève suivant le cursus, ici, en aurait pour des
dizaines d'années pour atteindre le niveau moyen d'un étudiant magique de
l'époque où il dirigeait.
Peu après un repas vite englouti, une cloche retentit pour indiquer la reprise
des leçons. Les deux amis rejoignirent leur classe dans l'arène. C'était un
bâtiment circulaire qui se trouvait un peu à l'écart du château central. Son sol
sableux et ses gradins permettaient d'assister aux différents tournois de combats
qu'organisait parfois la Reine. C'était l'un des deux seuls événements ouverts au
public.
Après s'être changés dans les vestiaires dans des tenues sportives, Dame Aeve
ordonna aux élèves de se regrouper au centre du terrain d'entraînement. Neryss
et sa classe n'étaient pas seuls, une autre les rejoignit, dont, parmi elle, quelques
membres qui se firent remarquer rien que par leur présence.
- Hé ! Regarde ! C'est Yin'Fia ! Signala, d'un ton enthousiaste, l'une des filles
de la classe de Neryss.
- Erf, il y a Dorne, en plus. Pointa du doigt une autre au visage dégoûté.
La professeure, qui avait renfilé ses oreilles de lapins pour une raison
inexistante, sautilla les bras bien en avant tel l'animal qu'elle cherchait à imiter.
Les yeux honteux de sa propre classe s'éloignèrent d'elle le plus possible.
- Aujourd'hui, on va faire classe commune ! Se plaignit-elle en soupirant. J'en
avais déjà assez d'une trentaine et voilà que je m'en tape le double maintenant...
Je te jure, si je chope celui qui a eu cette idée, je lui fais tâter de mon super
coup de poing du faucon !
La femme mima un uppercut violent en simulant elle-même les sons dudit
coup. Après un moment de blanc et le passage d'un oiseau fictif dans l'air, elle
reprit :
- Pour commencer, vous allez vous échauffer un peu. Hé, les garçons ! Ne
regardez pas les filles, ok ? Prévint-elle avec un clin d’œil. Si j'en surprends un
seul qui a les yeux baladeurs, je lui imposerai un cours privé avec moi. Aussi,
Sean, je veux un petit duel amical avec notre Dornounet adoré pour savoir ce
que tu vaux.
- Prof' ! Arrêtez de m'appeler comme ça ! Objecta le garçon de roche en riant
faussement énervé.
Neryss fut surpris car il ne s'était pas préparé à se battre aussi tôt, surtout avec
son mensonge raconté le midi même à Herrade. Malgré tout, le larem prit
position puis s'échauffa au milieu du sable pendant que les autres élèves, eux,
reculèrent. Certains acclamèrent même Dorne, en lui demandant « d'apprendre
les bonnes manières » au nouveau.
- Je rappelle les règles pour Sean, hurla dame Aeve d'un ton bien plus sérieux.
On évite d'en faire trop. Toute arme est autorisée, même létale. N'oubliez pas
que nous possédons la bénédiction de Kaël qui vous empêche de prendre des
blessures ou des coups fatals. Par contre, cela ne vous empêchera pas de
ressentir la douleur, ni de tomber inconscient. Trois marques apparaîtront sur
vos torses, cela correspond aux nombres de coups mortels que vous pourrez
encaisser. Celui qui les perd ou qui tombe dans les pommes sera vaincu !
Et effectivement, après un rapide échauffement des combattants, l'enseignante
tapota sur un socle de pierre présent sur les bords de l'arène. Des marquages
ésotériques apparurent dans une petite lumière vacillante au niveau de la
poitrine des deux duelliste. Neryss les reconnut tout de suite, ils n'avaient pas
changé. Il sourit et les caressa tendrement.
- Oh, je vois que tu es plutôt confiant, je vais pouvoir y aller à fond, dans ce
cas-là ! Indiqua Dorne en enfilant d'épaisses mitaines renforcées qui vinrent
embellir ses poings déjà solides.
Neryss prit une des quelques épées proposées sur l'un des râteliers sur les
côtés du terrain et se mit mollement en garde sans grande motivation.
- Combattez ! Hurla la professeure.
Dorne fonça jusqu'à Neryss en une seule enjambée, l'empêchant de réfléchir.
Un premier coup de poing meurtrier l'approcha, mais Neryss l'esquiva par
réflexe d'un bond en arrière. Les autres élèves s'étonnèrent bruyamment.
Certains applaudirent, tandis que d'autres restèrent plus concentrés sur la suite
de l'échange.
Une seconde charge suivie. Neryss essaya de l'esquiver, elle aussi, mais trop
tard, Dorne hurla un mot magique en saël et son poing s'engouffra dans une
gerbe de flammes avant de frapper directement la joue de sa cible. Neryss
valdingua sur plusieurs pieds avant de s'étaler au sol. Une vive douleur le fit
gémir avant de s'estomper rapidement. L'une des marques sur sa poitrine éclata.
Le faux-élève fut surpris par la rapidité d'incantation ainsi que cette façon
bestiale de se battre, bien loin de tout ce qu'il connaissait. Il l'avait sous-estimé.
- Qu'est-ce que tu fous ?! C'était quoi ça ?! S'énerva Dorne. Pourquoi tu
ripostes pas comme la dernière fois, hein ?! Relève-toi et bats-toi ! J'attendais
notre confrontation avec impatience, moi ! Tu sers à quoi, dans notre section, si
c'est pour bouffer le sol comme cette chienne d'Herrade !
Le combattant frappa du poing le sable. Il n'avait que faire des insultes à son encontre.
Mais Herrade, elle n'avait rien demandé ! Le nouvel élève tourna difficilement
son regard dans sa direction et... cette dernière baissait la tête, honteuse.
Pourtant, elle murmura quelque chose très brièvement.
- Courage...
Ses mots gonflèrent la poitrine de Neryss, il frappa du poing sur le sol et se
releva. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été si motivé.
- Ah, là ! C'est déjà plus intéressant ! Commenta Dorne. T'es enfin prêt ?
Neryss leva sa lame dans sa direction, dans une forme de garde qu'il n'avait
pas prise depuis longtemps. Une forme pure et sans artifice tel que le myod.
- Héhé, tu n'utilises aucun sort ? C'est osé, le nouveau.
- Malheureusement, je ne peux pas utiliser la magie, c'est tout ce que tu
pourras tirer de moi.
Le garçon rocheux frappa ses poings l'un contre l'autre et s'exprima en saël.
- Zel' moss yago lasieh ! Zel' mossuo geva velas !
Ses poings se mirent à vibrer si vite qu'un bourdonnement se fit entendre. Ils
s'entourèrent aussi d'une très fine brume bleutée.
- Je ne m'excuserai pas, Sean. J'y vais toujours à fond, moi, ne serait-ce que
pour respecter mon adversaire.
Cette fois-ci, le combattant aux poings vibrants ne chargea pas. Il s'approcha
doucement avec des petits pas chassés, tel un pugiliste expérimenté. Sa garde le
protégeait et son jeu de jambes empêchait toute action offensive contre lui.
Une fois à portée, Neryss feinta une frappe de haut en bas, mais se reprit et
trancha dans le sens inverse en espérant un effet de surprise. Hélas, sa lame fut
déviée par le poing droit de Dorne qui avait tout prévu. Il profita de l'instant et
vint loger un crochet du gauche entre les côtes de son rival sans même qu'il ne
puisse voir le coup partir. Neryss s'effondra à genoux, puis au sol, face contre
terre. Sa conscience s’effaça doucement, ne lui laissant comme dernière vue que
son adversaire célébrant sa victoire avec le poing élevé vers le ciel.
C'est après un long moment dans les ténèbres que Neryss rouvrit enfin les
yeux. La première chose qu'il vit fut un rideau blanc et immaculé. Il se reposait
dans un lit de la même couleur. Il lui fallut quelques instants avant de se
rappeler de ce qu'il venait de se passer. La douleur à ses côtes le lança encore
une dernière fois avant d'intégralement disparaître.
Devant lui et assoupie sur une chaise, Herrade avait les yeux clos. Il avait dû
l'inquiéter pour rien. Il se redressa doucement sur son oreiller blanc.
- Sean ! Tu vas bien ?! Questionna Herrade en sautant à son chevet et oubliant
même son bégaiement, dans sa panique.
- O-oui. Juste un peu fatigué mais ça va, merci.
Elle se détendit et se laissa retomber sur sa chaise. Il sourit, secrètement
heureux de voir que cette école comportait encore de bonnes âmes.
- Sean, pourquoi tu t'es inscrit à la section gardienne ? Demanda-t-elle, le
regard mélangé entre tristesse et incompréhension.
Neryss mentit encore.
- Mes parents... sont morts. Un monstre a ravagé mon village. Ils étaient
d'excellents forgerons et je ne veux plus que d'autres vivent ça.
L'ancien voyageur n'eut pas trop à se forcer. La perte d'être cher à son cœur
lui tourmentait encore l'âme, comme celle de sa sœur ou encore d'autres
personnes qu'il considérait comme sa famille. En réalité, ce mensonge n'en était
presque pas un. La jeune fille l'écouta attentivement et rit jaune.
- haha, m-moi je ne souhaite que voyager... J'aimerais tant avoir une raison
aussi légitime que la tienne. M-Mais tout ce que je souhaite, c'est de voir le
monde. C'était le seul moyen pour qu'une simple roturière comme moi puisse
profiter de ses beaux paysages rêvés. P-pour ça, je serai même prête à prendre
le risque de croiser les b-bêtes divines. Même si elles me fichent la trouille...
« Les bêtes divines », un nom qui résonna dans la tête de Neryss. Des
monstres ignobles créés par le lumineux. Elles étaient l'une des raisons de la
guerre d'il y a cinq cents cycles et les responsables de la mort de bon nombre de
ses proches, ainsi que du cimetière de la colline d'Alnire. Il ressentit un
frisson d’effroi qui le parcourut. En même temps, ce sont d’innombrables
souvenirs de ses élèves morts et de la désolation de Meruel qui le frappèrent.
Le convalescent releva un peu la tête et là, le sourire rayonnant d'Herrade le calma tout
de suite. Un sourire triste mais chaud et candide, celui d'une enfant tout ce qu'il
y avait de plus normal. Il hésita un moment mais prit la parole.
- Je... Je ne sais pas si ta raison est si peu légitime, comme tu le dis. Pour moi,
tu n'es qu'une fille rêveuse. Et tout mettre en œuvre pour le réaliser est ce qui
fait de nous des êtres vivants. Alors, n'abandonne pas, surmonte ta peur. Tu es
forte.
Il ne savait plus ce qu'il disait, ses lèvres bougeaient toutes seules, son cœur
s'exprimait à sa place. Il le ressentait, cette enfant était incroyable et il souhaita
plus que tout lui venir en aide.
- M-merci ! Répondit la jeune fille avec les yeux larmoyants et les joues
rouges.
Pendant un tout petit instant, il se questionna. Il voulut défier la reine et
révéler son secret, mais, après réflexion, elle serait embarquée dans une histoire
bien trop dangereuse. Si les bêtes divines existaient encore bel et bien, un jour,
il devrait forcément les confronter. Et puis, elle finirait par le haïr et il ne le
souhaitait pas. Il commençait vraiment à beaucoup l'apprécier.
Une cloche indiquant la fin des classes sonna entre les murs du château.
- C'est la fin des cours, tu as dormi plusieurs heures, indiqua Herrade. Tu as
besoin d'aide pour retourner à l'internat ?
- Non, c'est bon. J'habite la vieille forge, derrière. Je m'en sortirai.
- Eh bien, j-je te laisse. Et e-encore merci, Sean. T'es m-mots m'ont fait du
bien.
Herrade sourit une nouvelle fois. Mais cette fois-ci ce fut l'un des plus beaux
sourires que Neryss n'ait jamais vus. Un sourire qu'il ne voulut voir s'effacer
pour rien au monde.
- Ce n'est rien, répondit-il presque en murmurant.
Elle s'en alla, heureuse d'avoir trouvé quelqu'un à qui parler de son rêve.
Après avoir attendu un peu qu'Herrade se soit bien éloigné, Neryss rentra chez
lui sans grande difficulté. La bénédiction de Kaël avait fait effet et il put bouger
sans douleurs. Il retrouva Yuu à la maison, elle avait visiblement terminé avant
lui. Son visage n'exprimait rien, ni fatigue, ni colère. Elle l’accueillit sur le pas
de la porte.
- Bonjour jeune maître, vous voulez manger ? Demanda-t-elle. Ou peut-être
prendrez-vous un bain, d'abord ?
- Merci Yuu, je vais aller me détendre et puis on mangera ensemble.
- Jeune Maître ? Avant de vous laisser vaquer à votre bain, j'ai entendu une
rumeur comme quoi le nouvel élève se serait fait tabasser lors d'un duel
amical...
La servante incendia son maître de ses yeux froids. À tout instant, elle sortait
de la maison pour retrouver le responsable.
- Oh, ne t'inquiète pas. Regarde, je n'ai pas de blessure, répondit Neryss en
montrant ses bras. Et ça facilitera notre petit jeu de cache-cache si personne ne
nous soupçonne, pas vrai ?
Yuu soupira et une fine brume sortit de sa bouche.
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