Amane.

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 Neryss et Yuu ne tremblaient pas devant Calyon. Même quand il frotta sa patte nerveusement au sol, préparant sa charge mortelle.

  • Yuu, tu peux t'en occuper ? demanda Neryss.
  • Bien sûr, jeune maître.

 Yuu éleva les bras, les paumes en avant. Un souffle glacial explosif détona à travers la vaste plaine, gelant instantanément les membres inférieurs et musclés du titan. La glace s’étendit sur toute l'herbe aux alentours ainsi que sur le chemin pavé et les arbres de la forêt voisine. Le seul endroit encore intact se trouvait aux pieds de l'incantatrice et de celui qui en avait donné l'ordre. La bête grogna à plein poumons, et brisa le gel en bougeant à peine. Toute son attention se concentra, alors, sur la femme des neiges. Neryss fut soulagé, ils venaient d'éviter que le monstre détruise le convoi de sauvetage et en éteigne les quelques lumières encore visible à l'horizon. Yuu regarda son maître avec un visage inquiet et demanda :

  • Et maintenant ?

 Neryss hésita. Tuer cette chose serait difficile. Certes, les puissances des bêtes divines différaient en fonction des individus, mais même une petite comme celle-ci pouvait raser une cité entière en une seule nuitée. De plus, même s'ils réussissaient, leur couverture en souffrirait et attirerait trop d'attention. En réalité, c'était même déjà le cas. En sautant du convoi, Neryss se doutait qu'ils venaient de braquer toutes les lanternes sur eux. Sa Majesté Ti Anjou allait avoir du mal à étouffer l'affaire avec tant de témoins. Après un peu de réflexion, la solution la moins pire lui vint à l'esprit.

  • Cours ! hurla-t-il avant de se retourner et de sprinter.

 Il partit tel une flèche, ne regardant même pas derrière lui, confiant sa vie en celle en qui il avait le plus confiance au monde.

  • Des crampons ! Vite !

 Yuu s’exécuta tout poursuivant son jeune maître. Les semelles de Neryss se couvrirent de petits piques glacés qui lui empêchèrent une gamelle bien sentie sur la plaque de givre. Il fila comme le vent en direction de la forêt. Le monstre rugit de nouveau, mais cette fois-ci le son était légèrement différent du précédent grognement, plus guttural. D'énormes impacts se produisirent autour des fuyards, détruisant même la route et les premiers arbres de la lisière. Des boules lumineuses foncèrent à toute allure avant de s'écraser et d'envoyer valdinguer des nuages de poussières et de débris. Certaines les visèrent directement, mais à chaque fois qu'un projectile allait pour toucher au but, un disque froid la stoppait dans les airs et provoquait une explosion de vapeur chaude. Yuu tentait tant bien que mal de couvrir la fuite, mais aucun bouclier ne resta assez longtemps pour lui permettre de contre-attaquer. Si un seul orbe touchait son maître, jamais elle ne se le pardonnerait. Alors pas question de tenter le diable. Neryss eut l'idée d'utiliser la cime des arbres pour bloquer la vue de leur monstrueux poursuivant. Il s'y dirigea mais, hélas, la forêt se fit bombarder avant même de pouvoir mettre son plan à exécution. Essoufflé, il s'arrêta quelques instants derrière un tronc. Ses bras tremblaient et son cœur battait la chamade. Il tourna la tête à droite et à gauche rapidement, à la recherche d'un nouveau plan.

  • Jeune maître, attention !

 Une nouvelle frappe se produisit juste à côté de lui, trop proche. L'onde de choc le projeta contre un autre arbre encore debout et fracassa son dos dans un craquement alarmant. Il gémit de douleur. Sa respiration se coupa par à-coups et son esprit se brouilla. Yuu s'interposa entre lui et le sanglier divin comme une mère féline voulant protéger son enfant d'un prédateur beaucoup plus grand. Elle fit face et cria pleine de rage :

  • Toi ! Espèce d'être insignifiant qui ne sait même pas reconnaître un veteres ! De quel droit oses-tu lui faire du mal ?

 Le sanglier, maintenant juste au-dessus d'eux, ne se laissa pas impressionner. Comprenait-il même seulement ne serait-ce qu'un mot de ce que cette dame énervée disait ? Il laissa échapper un souffle puant.

  • Yuu, c'est bon ! Je vais... bien !

 Une nouvelle pique douloureuse coupa Neryss. Malgré tout, il trouva la force d'attraper la cuisse de sa servante. Ce geste anodin fit reprendre le sens des réalités à cette dernière.

  • Jeune maître, je suis désolé, je voulais vous protéger, je vous le promet, je...
  • C'est bon, Yuu... enferme-nous... s'il... s'il te plaît.

  Neryss perdit connaissance sous les yeux larmoyants de celle qui l'avait toujours servi. Les mains de l'élégante femme tremblèrent et des perles glaciales rebondirent sur l'uniforme bleuté de Neryss. La magie de la servante n'avait aucunement la possibilité de soigner. Le seul domaine qu'elle maîtrisait était le froid. Autour d'elle, la forêt autrefois luxuriante n'était que cratère et braises. Les arbres verdoyants n'avaient plus que l'apparence de troncs calcinés et l'herbe chatoyante avait laissé place à de multiples trous jonchés de cadavres de petits animaux. Le sanglier divin s'assit devant eux, curieux quant au dénouement. Ses yeux brillaient d'une étonnante intelligence. Qui sait ce qui pouvait traverser son esprit ? Yuu, s'agenouilla aux côtés de son maître bien-aimé. Elle souleva sa tête lentement et la posa sur ses propres cuisses. D'un air triste, elle contempla son visage endormi.

  • Jeune maître. J-je vous avais promis de ne plus vous laisser la voir... Et pourtant j'ai échoué, une nouvelle fois.

 Une sphère froide et lisse les engloba, une bulle de glace qui les coupa du monde extérieur. La bête, surprise, se releva et envoya d'innombrables orbes lumineuses, mais rien n’égratigna la sphère. Elle invoqua des loups spectraux et donna même de nombreux coups à l'aide de ses immenses défenses pointues, sans succès. La boule blanche et bleutée ne bougea même pas d'un seul pouce. Le cataclysme s'abattit toute la nuit et ce jusqu'à ce qu'enfin, le monstre se lasse et disparaisse.

 Neryss eut la sensation de flotter à travers le temps, sa douleur s'était estompée et son esprit ne se perdait plus entre ses tourments. En fait, il ne se trouvait même plus dans la bulle, mais... Ailleurs. Il entendit une chanson, une berceuse nostalgique qui le ramena en une autre époque où tout était différent. En cet âge, Neryss vivait dans une très grande maison dans une architecture étrangère. C'était un pavillon dans un style oriental, un palace empli de grands jardins et d'énormément d'espaces de vie communes. Les portes en papier coulissaient et les toits étaient bas. Le plancher en bois craquait sous le pas de ses trois seuls habitants. Dans la rivière traversant le domaine, de magnifiques poissons colorés sautaient joyeusement à la vue du jeune garçon. Ce dernier sirotait un thé matinal à l'odeur de pomme préparé par sa servante, Yuu, pour son petit-déjeuner. La verdure omniprésente laissa passer un air frais et pur dans ses narines, et l'odeur fleurie le fit sourire naïvement. Il écoutait d'une oreille sa sœur, en train de lui faire quelques reproches qu'il n'avait que trop entendus.

  • Tu ne devrais guère rester trop de temps à l'extérieur, mon jeune frère, la température se rafraîchit.
  • Ce n'est pas grave, rit le garnement. Si j'attrape vraiment quelque chose, vous n'aurez qu'à me soigner, chère sœur !

 La jeune femme en kimono rosé soupira et lui mit une pichenette sur le front.

  • Aïe, mais pourquoi ?
  • Neryss si un jour vient où mon existence s'efface, comment te comporteras-tu alors ? Sans mon aide et sans mes dons divins ?
  • Bah, il n'y a aucun risque, vous serez toujours là. Vous me l'avez promis, non ?

 Lui qui portait le même nom et revêtait la même apparence, n'avait pourtant rien en commun. Il était souriant, jovial et même un peu impertinent. C'était une époque bénie où ses seuls préoccupations était de savoir ce qu'il mangerait ou quels étaient les entraînements tyranniques qui rempliraient sa journée. Une époque où sa chère et tendre sœur lui chantait, chaque soir, sa berceuse favorite pour qu'il puisse s'endormir.

  L'image s'effaça et l'esprit de Neryss ouvrit lentement ses paupières. Il se découvrit la tête sur les cuisses de Yuu. Elle avait le regard clos et fredonnait cet air familier qu'il connaissait si bien. Il sourit.

  • Bonjour, Yuu.

 La jeune femme ouvrit les yeux et ses lèvres tracèrent une ligne mélancolique.

  • Bonjour, vous avez bien dormi ?

 Neryss se contenta de hocher la tête sans parler plus. Il ne voulait pas briser ce moment de méditation bien trop rare. La berceuse était la seule chose qui pouvait encore l'apaiser complètement et lui permettre de dormir sans inquiétudes. Yuu repris son chant jusqu'à le finir totalement tout en caressant les cheveux de son jeune maître. Enfin, Neryss se décala un peu, tout en faisant attention à ne pas faire de mal à sa servante, et il s'assit devant elle.

  • Qu'en est-il du sanglier divin ?
  • ... Je ne sais pas.

  Le voyageur s'avança vers l'un des bords du dôme glacial. Yuu ne fit même pas mine de bouger, mais le gèle fondu à une vitesse impressionnante, se liquéfiant dans la terre et dévoilant un spectacle macabre. La forêt n'était plus qu'un immense amalgame de cadavres et de cendres. - Il s'est déchaîné, commenta Neryss. L'élégante femme baissa les yeux, pleine de honte. Pourtant, son jeune maître ne lui fit pas de reproches. Il se contenta d’apposer sa paume au sol. Un liquide noirâtre s’étendit lentement pour recouvrir les corps. Il avala chacun d'eux sur son passage, chaque petit caillou et chaque reste de souches. Les sons de mastication, comme si un géant mâchouillait, s'entendaient à des lieux à la ronde. Les os se brisèrent et les organes se déchirèrent dans une symphonie macabre. Les compagnons restèrent silencieux durant cet étrange rituel. Ce n'était qu'un moyen simple comme un autre de se débarrasser de preuves. En plus, cela permettait aussi à Neryss de se remplir l'estomac. Une longue heure passa pour que l'incantation fasse entièrement son œuvre. Enfin, il joignit ses mains ensemble et dit :

  • Merci pour ce repas.

 Il se mit debout et fit un geste du visage à Yuu pour signaler qu'il avait terminé. Elle se leva à son tour. Neryss aperçu la rougeur de ses genoux sous son kimono. Elle était restée dans cette position toute une nuit pour lui permettre de se reposer en toute sérénité. Le jeune homme n'en dit rien mais comprit qu'elle avait fait ça pour lui.

 Les deux voyageurs décidèrent de continuer à s'enfoncer dans la forêt, ils estimèrent ce chemin le plus sûr pour le retour. Revenir sur leurs pas serait prendre le risque de recroiser le sanglier. Et ils n'avaient plus les vivres nécessaires pour tenir trois aubes de voyage. Pour Yuu, ce n'était pas un problème, mais Neryss, lui, avait besoin de se sustenter. Entre les arbres, ils auraient peut-être l'occasion de croiser quelques fruits et, dans le meilleur des cas, des petits animaux n'ayant pas encore fui. Malheureusement, leur seule rencontre fut avec des K'loches. Des monstres ressemblant à des crustacés géants de plus de sept pieds de haut et avec des pinces aussi aiguisées que des épées. Ils se cachèrent, les tués n'apporteraient rien. leurs viandes était trop caoutchouteuses pour être mangées. Cela ne serait qu'une perte d'énergie supplémentaire. Avec l'obscurité naissante, les deux compagnons ne purent bientôt plus évoluer comme ils l'entendaient. La forêt se densifia de plus en plus et chaque pas devenait un véritable calvaire. Ils durent même rebrousser chemin plus d'une fois. Neryss fatigua et son souffle devint irrégulier. Sa vision commença à se flouter.

  • Yuu, on va bientôt faire une pause. Je n'en peux plus, j'ai besoin de me reposer, déclara-t-il.
  • Bien entendu, jeune maître.

 L'ancien professeur trouva le comportement de sa servante étrangement plus froid qu'à l'accoutumée. Elle n'avait plus engagé la parole d'elle-même depuis ses excuses et se contentait de réponses concises et sans réflexions.

  • Yuu. Tu n'as pas à t'en vouloir, tu sais ?

 Yuu s'arrêta net. Elle agrippa une branche sur son passage, qui gela doucement jusqu'à se briser en plusieurs morceaux.

  • Maîtresse Amane ne m'aurait jamais pardonnée... Pour elle, vous étiez son trésor. Malgré ses entraînements difficiles et les nombreux défis que vous deviez affronter pour atteindre le statut de veteres, rien au monde n'aurait pu vous menacer sous sa protection. Un peu avant son départ, elle m'a fait la demande de m'occuper de vous en son absence. Je commence à douter de mon statut de servante de veteres.

 Elle ferma les yeux et baissa légèrement la tête. Elle se retenait de toutes ses forces pour ne pas se prosterner parce que Neryss le lui avait demandé.

  • Yuu... on a besoin de repos, tous les deux. Même si ton corps ne t'en fait pas la demande, ton esprit, lui, c'est une autre histoire.

 Elle hocha la tête, mais Neryss comprit qu'elle l'avait à peine écouté. Peu importe ses dires, sans un bon repos, aucune parole ne pourrait lui parvenir. Ils continuèrent un peu leur chemin pour essayer de trouver un abri digne de ce nom. Une grotte ou une petite clairière ferait parfaitement l'affaire. La légère lueur d'une lune ne suffisait pas et leur recherche stagna. Neryss décida de s'abriter à l'ombre du plus grand arbre autour d'eux. Le sol mouillé rendait la terre boueuse et des bruits proches témoignaient de la présence probable d’animaux ou pire... Ils s'assirent contre le tronc, collés l'un à l'autre pour se réchauffer. Neryss aperçut quelque chose au loin. Une petite boule éclairée brillait chaleureusement au fond des ténèbres. Il se leva aussitôt et tira Yuu par le bras tout en lui signalant sa découverte.

  • Un abri, allons-y !
  • Jeune maître ? Attendez !

  Il n'écouta pas, tira la main de Yuu et couru. Il enjamba une racine, cassa de fragiles branches et écrasa des herbes trop hautes pour que sa suivante n'ait aucun mal à passer avec son kimono. Ils arrivèrent enfin à l'origine de cette lumière. Dans une toute petite clairière et juste à côté d'un petit point d'eau se trouvait une roulotte que seul un homme pouvait tirer tant elle était petite. Elle avait l'apparence d'un comptoir, ou plutôt, d'un bar avec tous ses verres et ses bouteilles accrochés comme des trophées. Une légère fumée blanche embuait la clairière et donnait à cet endroit un aspect mystique ainsi qu'une agréable odeur de fruit. Un saelfine en était à l'origine. Il était assis, là, fumant sur une chicha colorée. L'homme en habit ample et chaud portait de nombreux bijoux à son cou et à ses poignets. Ses cheveux marron et coiffés en dreadlocks se cachaient derrière un turban formé à partir de ses longues oreilles velues. Seuls quelques mèches arrivaient à trouver un fin passage pour s'enfuir au-devant de son front. Son regard se porta sur ses deux nouveaux clients. Il se leva du petit tabouret sur lequel ses fesses prenaient appui, tendit un bras vers l'extérieur et plia l'autre contre son torse avant de s'incliner.

  • Oooh, lessom kal fia vuo, nobles invités. Me feriez-vous l'honneur de venir consommer quelques-uns de mes délicieux nectars ?
  • Ke... Kezak ? S’exclama Neryss avec surprise.

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