Repos.

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 Le mystérieux saelfine releva la tête et resta pantois, regardant Neryss puis Yuu l'un après l'autre. Il afficha un sourire très amical et écarta les bras en signe d’accueil.

  • Neryss, moss ulo ! Comment vas-tu ? Cela fait si longtemps ! Mais que faites-vous là ?

 Les deux compagnons se regardèrent. Pour eux, la situation paraissait invraisemblable.

  • C-c'est plutôt à moi de poser cette question-là, non ? demanda Neryss. Tu ouvres ton bar, ici ? Dans une forêt au milieu de nulle part ?
  • Et pourquoi pas ? lui répondit l'homme à la chicha, d'un air sincère.

 Mille et une questions vinrent assaillir Neryss, mais il n'en dégaina aucune. Il préféra abandonner et s'asseoir au comptoir. Après tout, c'était commun avec ce qu'il se souvenait de Kezak. Yuu, elle, resta derrière. Elle n'osait pas s'asseoir aux côtés de son maître. Elle voulait se faire toute petite, hélas, c'était sans prendre en compte la nature atypique du saelfine. Il s'approcha d'elle, se courba et lui dit :

  • Gentille dame, si vous voulez bien vous installer. Je vous ferai goûter à mes meilleures breuvages.

 Elle hésita un peu puis, après un regard insistant de Neryss, elle se résigna. Elle n'avait plus aucune échappatoire. Et puis pourquoi pas ? Boire un verre ne lui ferait peut-être pas tant de mal que ça.

  • Kezak, je n'ai jamais été très à l'aise avec vos habitudes, fit-elle remarquer.

 L'homme se contenta de sourire encore plus. Il était visiblement très heureux d’accueillir enfin des invités. Tellement, même, qu'il sortit une bouteille cachée dans un double fond de sa roulotte.

  • Allez ! Il faut fêter nos retrouvailles ! Voici l'un de mes meilleurs crus. Un alcool à base du fruit défendu saelfiniens, le daku ! Mon petit péché mignon !

 Il déposa deux verres cristallin devant ses amis et y versa le liquide d'or. Aucune goutte de fut gaspillée sur le côté, et la dernière finit même dans le verre de la servante de façon théâtrale.

  • Et bonne dégustation ! Savourez bien, surtout.

 Le barman retourna sur son tabouret et reprit l'embout de sa chicha entre ses lèvres. Il tira un coup dessus et relâcha un épais nuage de fumée blanche. Le passage du temps ralentit, rythmée uniquement par le son des animaux nocturnes et celui des bulles qui éclataient. Le goût de l'alcool était chaud et un peu amer. Le parfait breuvage pour oublier et se détendre. Yuu savoura chaque seconde et les raisons de ses préoccupations disparurent doucement au fil des étoiles qui filaient dans le ciel. Légèrement enivrée, elle posa sa tête sur l'épaule de son jeune maître.

  • Pourquoi nous trouvons-nous ici ? Pourquoi ne vous reposez-vous donc pas là où est votre véritable place ? Vous avez déjà tant traversé et pourtant vous vous obstinez à trouver un corps adéquat pour ressusciter votre sœur.

 Neryss resta silencieux, les yeux perdus dans son propre verre. Et en réalité, Yuu n'attendait pas de réponse. la seule chose qu'elle souhaitait, c'était de l'attention. Cependant, jamais elle ne l'aurait avoué. Elle ferma ses paupières et s’étala sur le bar. Son souffle ralentit et elle s'endormit.

  • Merci, Kezak, dit Neryss. Elle en avait besoin.
  • Ne t'en fais pas. Ça me fait plaisir. Et puis je marque des points auprès d'elle comme ça !

 Neryss sourit et, silencieusement, il profita de la boisson magique.

  • Bon, qu'est-ce que tu deviens, l'ami. Ça fait cinq cents cycles, pas vrai ?

 Le voyageur regarda le commerçant et soupira.

  • Si tu ne souhaites pas me le dire, tu n'es pas obligé. C'est juste la question d'un copain curieux.
  • Non, non, c'est bon. Je suis revenu dans les terres de Meruel il y a un peu plus de quinze cycles, accompagné d'Iril et de Yuu. À ce moment-là, nous avions enfin réussi à fuir définitivement Lovan, après cinq cents cycles... Nous nous étions même débarrassés de toutes les bêtes divines qu'il avait envoyées à nos trousses. Enfin, c'est ce que nous pensions.

 L'ancien fondateur secoua la tête et après un petit temps de réflexion, il continua.

  • Après deux saisons, un bébé est né dans les plaines d'Urfot. Une fille dont les yeux maudits invoquaient des portails qui donnaient directement sur d'autres mondes. Elle appelait des monstres tous plus horribles les uns que les autres. Et moi aussi, je ressentais cet appel.

 Neryss grimaça d'horreur en se souvenant de ce qu'il s'apprêtait à raconter.

  • À notre arrivée, les parents et les habitants du village avaient déjà servi de garde-manger. Ils utilisaient l'enfant et la gardaient en vie dans des conditions horribles pour faire grandir leurs propres rangs. Peu importe ses souffrances, tant qu'elle vivait et que ses yeux s'ouvraient. Kezak, en train de fouiller dans son comptoir, trouva l'objet de ses recherche et le posa sur le bar.
  • Une autre liqueur de mon cru personnel, tu m'en diras des nouvelles. Une histoire comme ça, il faut l'accompagner d'un petit quelque-chose un peu moins fort, de plus doux.

 La nonchalance du marchand détendit Neryss qui se plongeait trop profondément dans son passé. Et alors que les verres se vidaient les uns à la suite des autres, il continua :

  • Je me suis vu en cette enfant. Ou plutôt, je sentais quelque chose dans son myod, quelque chose de familier. C'était d'autant plus étonnant parce que je ne suis pas censé ressentir quoi que ce soit dans mon état. Plus tard, j'ai compris qu'elle était ma descendante directe, la preuve que mon enfant avec Ewe avait survécu et connu l'amour. J'étais heureux.

 Le barman aspira longuement dans sa chicha et relâcha une nouvelle fumée.

  • Et Iril ? Pourquoi n'est-elle pas avec vous ce soir ? Tu m'as dit être revenu avec pourtant.

 Le visage de Neryss s'assombrit. Il ferma les yeux avant de vider son récipient d'une traite.

  • J'y viens... Après avoir tué les démons invoqués, on a décidé de garder la petite et de l'éduquer. Je l'ai privée de ses yeux pour les sceller et Yuu lui a appris à percevoir le monde qui l'entoure en ressentant le myod environnant. Mais, après cinq cycles, Lovan nous a finalement retrouvés. Dans l'urgence, on a décidé de confier l'enfant à des amis de confiance, Mina'Fia et Tae'Fia. On a tenté de fuir le plus vite possible mais il nous a finalement rattrapé... Iril s'est interposée entre moi et lui, quelle idiote... Elle s'est sacrifiée.
  • Daala, commenta Kezak en accompagnant le geste de coude de son ami.

 Le voyageur commença à s'affaler sur le bar et sa voix devint plus fébrile.

  • Iril... C'était plus que ma disciple. Elle... elle...
  • Tu l'aurais prise comme Fiamiss ?

  Neryss secoua la tête.

  • Non, bien sûr que non ! Iril... Je la voyais comme ma sale gamine un peu trop sûre d'elle... Je me souviens, elle m'en voulait à mort de ne pas avoir réussi a sauver ses frères lors de la guerre des bêtes. Qui aurait cru qu'elle... qu'elle...

 Les pupilles de Neryss brillaient et sa voix s'affaissait en repensent à la nécropole d'Alnire.

  • Allez, repose-toi, fe ulo, indiqua Kezak.

 Tu en as bien besoin, toi aussi. Le Barman leva les yeux pour apprécier ce que le voile nocturne avait à lui montrer. Neryss en fit de même et tous ses soucis se noyèrent au fur et à mesure que ses récipients se vidaient. Les deux hommes n'échangèrent plus que des banalités, discutant de leurs préférences chez les femmes ou encore des tentatives ratées de séduction de Kezak.

 L'aube arriva lentement. Et tous se réveillèrent tard et sur un sol humidifié par la rosée. Neryss avait quand même porté sa servante pour la coucher sur une paillasse, installé à la hâte par leur hôte, qu'elle n'ait pas à dormir à même l'herbe. Lui s'était contenté de l'ombre d'un grand arbre à l'orée de la clairière.

  • Hé, lam mosho, les amis ? demanda Kezak, déjà en train de fumer une pipe, accoudé à son bar.

 Les yeux de Neryss étaient collants et sa tête tambourinait. La lumière l'aveuglait et tenir était un défi. Ça faisait longtemps qu'il n'avait plus autant bu.

  • Ouais, ouais. répondit-il en se frottant les yeux.

 Yuu ne dit pas un mot. Elle se contenta de rougir d’embarras. Elle ne buvait jamais habituellement, à l'inverse de son maître. Au contraire, elle s'occupait de celui-ci, c'était son rôle. Elle se leva et s'inclina légèrement.

  • Merci pour la nuit dernière, jeune maître. Je suis embarrassée que vous m'ayez aperçu dans cet état.
  • C'est rien, Yuu. Des fois ça fait du bien de se reposer. C'est toi qui me le répète sans cesse, non ?

 Neryss afficha un sourire tendre envers sa compagne qui le lui rendit. Elle se sentait bien. Son esprit éclaircit pouvait maintenant accepter sa gentillesse.

  • Bon les tourtereaux, ce fut un véritable plaisir de vous revoir. Mais il est temps pour moi de reprendre la route. Si vous continuez en direction de l'ouest pendant environ deux aubes, vous trouverez un petit village à flanc de montagne. Proche de ce dernier se trouve une grotte qui devrait vous intéresser. Mais faites attention, une odeur nauséabonde en émane. Allez, Lessom' !

 L'homme au turban d'oreille prit la poignée de sa roulotte et tira le véhicule de toutes ses forces. Les roues craquèrent et les verres se cognèrent dans un cliquetis chaotique. Kezak gémit et dans une lumière aveuglante, lui et sa roulotte disparurent. D'une seconde à l'autre, il ne restait plus que des rainures au sol.

  • Je ne me ferai jamais à sa sale habitude de repartir aussi vite qu'il apparaît. soupira Neryss.
  • Jeune maître, voici un peu d'eau.

 Yuu tendit une gourde qu'il s'empressa de boire. Elle était aussi pure et fraîche que jamais et provenait directement des dons de la servante.

  • Nous aussi, on y va ?
  • Je vous suis.

 Ils se regardèrent avec des yeux complices. Neryss prit l'un de ses morceaux de peau de daku qu'il affectionnait tant et le jeta entre ses dents, comme à son habitude. Il trouva sans difficultés les chemins les moins encombrés. Yuu, malgré son kimono et ses sandales, arriva à se glisser entre les racines avec une aisance impressionnante. Ils progressèrent vite de jour mais aussi de nuit.

 Après deux crépuscules, alors que le soleil commençait à se coucher de nouveau, ils virent quelques maisonnettes à flanc d'une étroite montagne rocheuse, exactement comme l'avait annoncé Kezak. Le hameau était petit, mais pour pouvoir réussir à survivre dans une forêt si dense, il fallait du savoir-faire et une détermination à toute épreuve. Et ça, c'était sans compter les nombreux monstres. Neryss et Yuu s'avancèrent jusqu'à l'entrée. L'homme assis devant le portail, qui avait jusque-là les yeux fermés, en ouvrit un.

  • C'est rare de voir des étrangers, par ici. Vous êtes qui, vous ? Et pourquoi vous v'nez ici ?
  • Nous sommes des voyageurs perdus dans la forêt, on aimerait se ravitailler, indiqua Neryss.

 Le garde plissa les yeux, l'air suspicieux.

  • Il n'y a pas grand-chose pour vous ici, vous savez ? N'espérez pas rester. Vous vous ravitaillez et vous dégagez, c'est compris ?

 L'attitude de ce grossier personnage gêna un peu Yuu. Mais elle n'en fit rien pour l'instant. Ses derniers jours avaient été agréable et elle était d'humeur joyeuse. Elle savait aussi que pour que les négociations se passent bien, elle devrait se plier aux coutumes locales.

  • Vous savez, continua Neryss, nous venons tout juste de fuir l'attaque d'une bête divine à Ekebe. Si vous pouviez nous offrir le gîte pour une nuit, au moins.
  • Quoi ? Fuir une bête divine ? Ah ! Mais bien sûr ! Trouvez mieux comme connerie à débiter, la prochaine fois ! La réponse est la même, vous prenez vos clics et vos clacs et vous vous tirez, c'est compris ?

 Un lourd gourdin pendouillait à la cuisse de l'homme et il était vêtu d'une armure en cuir. Ses bras croisés démontraient une certaine assurance dans son métier de garde. C'était peu commun pour un simple petit village d'avoir un gardien aussi dévoué. Yuu se mit discrètement sur ses gardes dans le dos de Neryss, une dague glacée se mit à danser entre ses doigts.

  • Bon, d'accord. On ne vous dérangera pas plus, mais vous ne connaissez pas un endroit où nous pourrions passer la nuit, par hasard ?

 L'homme se redressa sur sa chaise et à ses pieds, un chien qui dormait là se releva lui aussi sur ses pattes.

  • Écoute, j'suis pas là pour guider les étrangers. Vous achetez votre boustifaille et vous dégagez. Rien de plus, rien de moins. C'est compris ou je dois te le dire dans une autre langue ?

 Neryss hocha la tête sans insister. S'il continuait, l'inconnue l'attaquerait et du sang coulerait inutilement... le sien. Yuu et son jeune maître passèrent donc le portail de bois tout en restant sur leur garde. L'homme armé en profita pour lécher des yeux les formes sveltes de Yuu. Elle le remarqua, grimaça et se pencha aux oreilles de son maître.

  • Jeune maître, je ne pourrai rester ici que peu de temps. De tels porcs me donnent envie de les remettre à leur place. Je me retiens uniquement pour vous.
  • Oui, je suis d'accord. Comme il l'a dit, dépêchons-nous et partons. Pour cette nuit, on trouvera la grotte que nous a indiqué Kezak. J'ai vraiment un sale pressentiment, ici.

 Neryss continua de suivre l'unique sillon de terre au centre du village. Il était aux aguets et faisait attention au moindre mouvement suspect des habitants. Il remarqua que beaucoup d'entre eux portaient des armes. Ils n'avaient pas vraiment d'épées ou de lances, par contre, ils s'équipaient en matraques et gourdins. Des armes pauvres, mais des armes quand même.

  • Même pour une vie forestière entourée de bêtes et de monstres, leur équipement est lourd et je ne vois ni femmes ni enfants, fit remarquer Yuu. cet endroit n'est peut-être pas qu'un simple village.

 Neryss acquiesça discrètement de la tête et continua à chercher du regard. Il trouva très vite son objectif, la maison d'un chasseur, grâce à la tête de cerf servant de trophée accrochée au-dessus de la porte d'entrée. Il s'approcha et frappa. Après une dizaine de secondes, un homme à l'air grassouillet ouvrit.

  • Ouais ? Vous êtes qui, vous ?

 Neryss s'éclaircit la gorge avant de répondre.

  • Bonjour, une catastrophe a eu lieu à Ekebe, nous venons de fuir mais nous n'avons aucun vivre sur nous. Pouvez-vous nous aider ?

 L'homme en tablier blanc regarda derrière Neryss et, lui aussi, mata de bas en haut la silhouette de Yuu.

  • Ouais... ça peu se faire... vous payez avec quoi ?

 Yuu claqua sa langue d'agacement. Neryss le remarqua et rattrapa la conversation aussitôt.

  • Nous avons avec nous quelques maigres pièces impériales, ça vous suffira ?

 Il présenta une bourse bien trop pleine pour de simples vivres. Une bourse qui étonna Yuu quand il la présenta.

  • Ouais... 'ttendez un peu là.

 Le chasseur recula dans sa maisonnée au toit de chaume et en ressortit de nouveau avec plusieurs morceaux de viandes séchées. Ce n'était clairement pas le grand luxe, mais ça suffirait pour les jours à venir. Neryss les lui arracha des mains et s'en alla avec Yuu après l'avoir salué.

  • Vous m'aviez caché cette bourse, jeune maître ? demanda Yuu, sur le chemin retour.
  • Ce n'était pas prévu pour ça, je voulais juste économiser pour un chez nous plus grand. Bah oublie, La nuit tombe et le temps se gâte, trouvons vite une grotte avant d'être piégé sous la pluie.

 Les deux compagnons sortirent du hameau sans nom, à toute jambe, sous le regard méfiant des habitants.

  • Comment peuvent-ils être aussi... rustres ? se plaignit Yuu, une fois la forêt rejointe.
  • Ne leur en veux pas. Ils sont dans un village à la merci des monstres et des bêtes. En plus, ils sont coupés de toute route et doivent rarement voir des femmes, surtout habillés si noblement. C'est déjà un miracle qu'ils survivent.

 Yuu ne répondit pas. Elle se contenta de froncer les sourcils. Tous deux trouvaient ce hameau suspect. Mais Neryss ne préférait pas y penser. Il avait d'autres priorités pour l'instant. Il garderait quand même en tête ce village pour en discuter avec un garde, une fois à Alnire. Les deux voyageurs suivirent leur plan et côtoyèrent la falaise pour trouver un abri pour la nuit. Ils marchèrent longtemps et arrivèrent, enfin, à trouver l'entrée d'une grotte. Des débris en bois traînaient au sol et des tonneaux brisés se faisaient dévorer par la mousse. Mais la chose qui inquiéta le plus était surtout les trois corps sans vie et rudement menés par le temps passant. Des gouttes commencèrent à se faire sentir et l'obscurité de la nuit tomba. Il n'était plus question de rester dehors. Peu importe les dangers, il fallait s'abriter.

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