8 octobre 1940
Félix, Arnaud, Marie, Joseph et sa femme si généreuse.
Leurs enfants.
Les juifs de la cave...
Mon Dieu.
Tous furent capturés cette nuit-là, par sa faute.
La tête dans ses mains, Rose ne pouvait qu'assister à la scène tandis que ses compagnons d'infortune étaient arrêtés les uns après les autres. Même Aimé, ce détestable malnommé, mourut sous les coups de ces saletés d'hommes en uniforme vert-de-gris... Pour une fois, sa débrouillardise n'avait pas suffi.
Elle suivit des yeux le cheminement du chef de peloton alors qu'il s'approchait du mur d'exécution. Les uns après les autres, les résistants se succédaient en une suite de silhouettes droites et fières, mais leurs regards... Mon Dieu ! Leurs regards lui firent perdre toute contenance.
Remplis de haine.
« Assassin. Meurtrière. Saleté de collabo ! » accusaient-ils unanimement, et ils avaient raison. Un sanglot échappa à la jeune femme ; non contente d'être une prostituée elle s'était vendue à des nazis.
Rose baissa la tête et se boucha les oreilles pendant que cinq détonations sonnaient le glas de ces parents, frères, sœurs, amis ou amants.
Cinq âmes avaient quitté ce monde par sa faute...
« Joli travail, l'Hermine ! », lui avait lancé le capitaine de régiment il y avait une semaine de ça, avant qu'il n'appelle ses foutus soldats. Il lui avait touché la hanche avec un sourire prometteur, et Rose avait senti des larmes lui piquer les yeux.
Elle se laissait faire, les aidait.
Je me hais.
Apolline
Apolline, ma puce, ma chérie
je suis désolée-
Rose crispa ses doigts et sa mine se cassa. Elle fixa un instant le trait sombre barrant la page.
Inspiration. Expiration. Écrire. Elle tailla son crayon, les mains tremblantes, avant de reprendre :
Si tu savais comme j'ai honte de moi.
Si tu savais à quel point je me dégoûte...
Toutes les prières du ciel ne suffiront pas à me racheter, je le sais. J'ai commis l'irréparable.
Tu ne pourrais jamais me pardonner, je crois.
Comment y arriverais-tu, alors même que je n'y parviens pas ?
Et pourtant je continue de prier pour qu'un jour mes raisons t'atteignent.
Pour que tu comprennes au moins le sens de mes actions.
Sais-tu pourquoi je suis devenue ce que vous méprisez tous ?
Ma chérie...
Toutes ces horreurs, je les ai faites pour toi.
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