Le mystérieux sauveur 

9 minutes de lecture

La nuit commence à tomber sur Shimizu, cette moyenne ville japonaise gangrenée par la violence et la corruption. Dans l’épicerie familiale des parents de Jada Watanabe, le bruit du scanner de caisse et le froissement des billets dans le tiroir métallique sont les seuls sons qui viennent perturber l’ennui ambiant. Jada, vêtue d’une chemise crème et d’un jean serré, tapote du bout des doigts sur le clavier de son MacBook, parcourant les dernières affaires judiciaires. Meurtres, détournements de fonds, violences urbaines… Rien de bien surprenant. Son travail d’avocate la passionne, mais ce soir, elle est là pour aider ses parents et s’assurer que personne ne vole quoi que ce soit.

Elle soupire, croise les bras et s’appuie contre le comptoir. La routine. Mais la routine s’arrête net quand un homme pousse violemment la porte de l’épicerie. Le silence tombe. Un Black Dragon entre dans l’épicerie. Il porte une veste en cuir noir marquée de l’emblème du gang, un dragon écarlate enroulé autour d’un sabre. Ses yeux sont sombres, injectés de sang, son visage crispé par l’adrénaline. Dans sa main, un couteau scintille sous les néons blafards. Il s’approche du comptoir, un sourire carnassier aux lèvres.

— C’est l’heure de passer à table, ma jolie ! Aboule le fric, allez ! Tu connais le prix !

Jada ne bouge pas. Elle s’y attendait. Ces enfoirés passent régulièrement pour collecter “leur part”, extorquant les commerçants du quartier sous prétexte de “protection”. Elle arque un sourcil et éclate de rire.

— Déjà ? Mais vous êtes passés la semaine dernière ! Vous voulez que je vous donne la caisse entière aussi ?

Le Black Dragon serre la mâchoire.

— Eh, petite conne ! Tu crois que c’est un jeu ?! Je pourrais arracher la peau de ton visage avec ce seul couteau ! Alors fais ce que je te dis ou je m’occupe de toi personnellement.

Jada ne cille pas. Elle a grandi dans ce quartier, elle a appris à ne pas avoir peur.

— Tu vas dire à Ryusei qu’il peut aller se faire foutre. Il n’aura pas un seul sou avant le mois prochain.

Le Black Dragon grince des dents, furieux.

— Toi… tu veux mourir ou quoi ?!

Sans attendre, il plonge la main dans la caisse pour se servir lui-même. Trop tard, Jada frappe. Son poing explose contre la mâchoire du Black Dragon, un bruit sec résonne. Il titube en arrière sous l’impact. Elle bondit par-dessus le comptoir. Son corps se met automatiquement en garde. Sa posture est parfaite. Son regard, acéré. Elle est prête. Le Black Dragon secoue la tête, reprend ses esprits. Il crache du sang, puis fixe Jada avec un rictus mauvais.

— Tu vas regretter ça.

Il attaque.

Le combat éclate au milieu des allées de l’épicerie. Les poings volent, les étagères tremblent sous les impacts. Jada est rapide, tranchante. Ses coups sont précis, mais son adversaire est plus fort, plus lourd, plus brutal. Elle esquive, contre-attaque, mais elle fait une erreur. Un faux pas. Une fraction de seconde d’hésitation. Le Black Dragon en profite. Son coude s’écrase contre son abdomen. Jada recule, son souffle coupé. Elle tangue. Elle chute sur le sol. Elle essaie de rouler sur le côté, mais il est déjà sur elle. Le couteau brille, il se lève. Elle voit la mort arriver. Et puis…Un flou, un mouvement rapide, une ombre. Quelqu’un vient d’entrer dans l’épicerie. Un homme. Vêtu d’une veste sombre, capuche rabattue sur le visage. D’un mouvement fulgurant, il attrape le poignet du Black Dragon en pleine descente. Un choc. Le couteau tombe au sol. L’assaillant vacille. Il se retourne pour faire face à cet étrange inconnu. Jada, encore à terre, fixe l’homme encapuchonné. Son cœur s’emballe. Ce style, ces mouvements. Jada connaît ce karaté.

— Qui t’es, toi ?! crache le Black Dragon.

L’inconnu reste immobile. Il n’a pas besoin de parler. Jada le reconnaît déjà, son sang se glace. L’air devient suffocant dans l’épicerie. Les néons clignotent faiblement, projetant des ombres tremblantes sur les murs. Le Black Dragon, furieux, recule légèrement, jauge cet inconnu qui vient de briser son assaut. Ce mec bouge comme un karatéka, mais pas comme un expert. Ses gestes ont de la technique, mais quelque chose cloche.

— C’est qui, ce clochard ?! crache le Black Dragon en serrant les poings.

L’inconnu reste silencieux. Toujours immobile. Jada, encore au sol, a du mal à reprendre son souffle. Son regard oscille entre son agresseur et cet homme mystérieux qui s’est interposé. Et puis, le combat commence. Le Black Dragon attaque le premier, un crochet sauvage vise le visage du sauveur. L’inconnu esquive de justesse, mais sa réaction est lente. Son pied arrière glisse mal sur le carrelage, son centre de gravité est instable. Il tente un contre avec un mawashi geri, un coup de pied circulaire bien exécuté… mais manque de puissance. Le Black Dragon ne bronche même pas.

— C’est tout ce que t'as, minable ?!

Le criminel ricane et envoie un coup de pied vicieux dans les côtes du mystérieux combattant. L’impact est brutal. L’inconnu titube. Sa respiration est saccadée. Son corps est fort, entraîné, mais son karaté est rouillé. Il est lent. Imprécis. Il n’est plus le guerrier qu’il était. Jada, toujours à terre, regarde la scène, le cœur serré. Elle veut crier, mais aucun son ne sort.

Le Black Dragon, voyant l’opportunité, fonce droit sur son adversaire. Il enchaîne une série de frappes brutales. L’inconnu encaisse, bloque tant bien que mal, tente de riposter… mais il manque d’endurance. Une droite s’écrase contre sa mâchoire. Il vacille. Puis, quelque chose change. Il serre les poings. Son souffle ralentit. Et puis… il bouge. D’un coup sec, il attrape le bras du Black Dragon et pivote. Son coude frappe directement dans l’articulation de l’épaule adverse. Un craquement.

Le Black Dragon hurle et recule, douleur foudroyante. L’inconnu en profite. Il avance, ses poings se lèvent à nouveau, son regard s’aiguise. Son corps se souvient. Un gyaku tsuki explose contre les côtes du Black Dragon. Puis un second. Un troisième. Ses frappes deviennent plus fort que les précédents. Le Black Dragon replie les bras en défense, mais l’inconnu ne le laisse pas respirer. Un balayage bien placé fauche ses jambes. Il s’effondre. L’inconnu se tient au-dessus de lui, la respiration rauque. Le Black Dragon rampe en arrière, le regard tordu de rage et d’humiliation.

— T’es mort, enfoiré…

Il se redresse difficilement, recule vers la sortie en titubant. Avant de disparaître dans la nuit, il lance un dernier avertissement.

— Vous allez regretter ça… Ryusei va le savoir.

Puis il déguerpit.

L’épicerie retombe dans un silence absolu. Jada, toujours sur le sol, fixe l’homme en face d’elle. Il est légèrement voûté, une main sur ses côtes douloureuses. Ce style, ces mouvements… Elle le sait déjà. Mais elle doit le voir. Lentement, il lève une main et abaisse sa capuche. Son visage apparaît enfin. Les traits sont plus durs, la mâchoire plus marquée, quelques cicatrices discrètes sur la joue. Mais ces yeux… C’est lui. Jake. Jake Tanaka. Son souffle se bloque. Son cœur explose dans sa poitrine. Les larmes lui montent aux yeux.

— Jake…

Sa voix se brise.

Elle n’y croit pas.

Il est là.

Après dix ans.

Dix ans de silence.

Dix ans de doute.

Dix ans à se demander s’il reviendrait un jour.

Et maintenant… il est là.

Elle ne tient plus.

Elle court vers lui et s’effondre dans ses bras.

Jake ne bouge pas d’abord.

Puis, lentement, il referme ses bras autour d’elle.

Un murmure s’échappe de ses lèvres.

— Salut Jada.

Le choc résonne dans l’épicerie comme une détonation. Jada vient de lui flanquer une claque monumentale, si brutale que la tête de Jake part sur le côté. Son visage brûle sous l’impact, une marque rouge vif apparaissant déjà sur sa joue.

— BAKA YAROU !!

Jake serre la mâchoire, absorbant la douleur autant que l’insulte. Connard. Jada tremble, le regard en feu, les larmes aux yeux, mais c’est une rage pure qui la domine.

— Dix ans, Jake. DIX PUTAIN D’ANNÉES ! Tu réapparais comme une ombre sortie de nulle part et tu crois que je vais juste… pleurer et te sauter dans les bras ?!

— Jada, écoute-moi…

— Nan, toi tu m’écoutes !

Elle le pousse violemment contre une étagère. Jake ne résiste même pas. Il pourrait. Il pourrait l’arrêter facilement, mais… il ne le fait pas. Parce qu’il sait. Il mérite ça.

— Tu crois que tu peux juste revenir comme si de rien n’était ?! Comme un fantôme qui s’est perdu en route et qui retrouve son chemin par hasard ?!

Son regard est glacé.

— J’ai cru que t’étais MORT, Jake.

Jake inspire profondément. Il passe une main sur sa nuque, cherchant ses mots.

— J’étais perdu.

Jada rit, un rire sec, cruel.

— Ah, t’étais perdu ?! Oh non, excuse-moi, c’est vrai que c’est une raison suffisante pour disparaître COMPLÈTEMENT et laisser tout le monde derrière !

Elle secoue la tête, son sourire tordu par la colère.

— Tu t’es pas perdu, Jake. T’as fuis.

Jake ferme les yeux un instant. Elle a raison. Il a fui.

Il ouvre la bouche pour parler, mais elle ne lui en laisse pas le temps.

— T’étais mon meilleur ami.

— T’étais… bien plus que ça.

— Et tu m’as laissée.

Jake lève enfin les yeux vers elle.

— Jada… je suis désolé.

Un silence. Un putain de silence.

Puis Jada explose de rire.

— Ah mais c’est génial ! C’est tout ?! C’est ça ton grand retour ?! Désolé ?!

Elle frappe du poing sur le comptoir.

— Désolé, c’est quand tu marches sur le pied de quelqu’un dans un ascenseur, Jake ! Pas quand tu DÉTRUIS la vie des gens qui comptaient sur toi !

Jake soupire, passe une main sur son visage, visiblement épuisé.

— Je sais pas quoi te dire d’autre, Jada…

— Oh je sais, moi !

Elle croise les bras, adoptant un ton moqueur.

— “Oh Jada, tu veux savoir où j’étais pendant DIX ANS ? Pourquoi j’ai jamais donné de nouvelles ? Pourquoi je suis revenu maintenant, comme un touriste qui regrette d’avoir quitté son pays natal ?”

Jake baisse la tête.

— Jada…

— Quoi ?! T’as peur de parler maintenant ?! J’ai attendu dix putains d’années, Jake. Dix ans sans savoir si tu respirais encore. Dix ans à me dire que si ça se trouve, t’étais mort dans un caniveau à l’autre bout du monde !

Sa voix se brise légèrement sur la fin, mais elle se force à rester forte.

Jake serre les poings.

— J’étais pas mort.

— Ah, merci pour l’info, connard !

Il ferme les yeux, encaisse chaque mot comme un coup.

Elle secoue la tête.

— Tu fais quoi ici, Jake ? Sérieusement.

Il relève enfin les yeux vers elle.

— Je suis revenu pour réparer ce que j’ai brisé.

Jada le fixe.

Puis elle rit à nouveau.

Un rire amer.

Elle essuie une larme du coin de l’œil, mais son regard reste tranchant.

— T’es dix ans trop tard, Tanaka.

Et elle lui tourne le dos.

Jada s’arrête à quelques pas de la porte de l’arrière-boutique. Elle reste figée, le dos tourné à Jake, la mâchoire crispée, les poings toujours fermés. Jake sait qu’il ne devrait rien demander. Pas maintenant. Pas après ce qu’il vient de réveiller chez elle. Mais il n’a nulle part où aller. Et il doit rester ici, dans cette ville. Il doit réparer.

— Jada…

Elle ne se retourne pas.

— Quoi encore ?

— Est-ce que… je peux rester chez toi quelques jours ? Juste le temps de régler certaines choses.

Un silence s’abat aussitôt. Glacial. Étouffant. Jake sent son cœur cogner contre ses côtes. Il s’attend à une nouvelle gifle, une autre salve d’insultes, une porte qui claque. Et pourtant, elle ne bouge pas. Pas tout de suite.

— Chez moi ? dit-elle finalement, un rire presque mécanique s’échappant de ses lèvres. Tu veux dormir sous mon toit ? Après m’avoir laissée comme une merde pendant dix ans ? T’as pas un peu honte ?

Jake baisse la tête.

— Si. J’ai honte. Mais j’ai besoin de rester ici. De comprendre ce qu’il s’est passé. Pour lui. Pour Maître Haneda.

Il voit son dos se tendre à la mention du nom.

— Tu crois vraiment qu’un toit va suffire pour réparer tout ce que t’as détruit ? Tu crois que c’est aussi simple que ça ?

Il s’avance doucement, évitant tout geste brusque.

— J’ai pas dit que c’était simple. J’ai juste… besoin d’un point de départ.

Jada reste immobile un moment. Puis elle soupire, profondément. Elle se retourne enfin vers lui, les bras croisés, le regard toujours dur.

— Tu dors sur le canapé. Pas un mot de plus. Pas un regard de travers. Et tu dégages à la moindre connerie.

Jake acquiesce sans discuter.

— Merci.

— Tais-toi. Si c’était pas pour mes parents qui t’ont toujours adoré, j’aurais laissé les Black Dragons te tomber dessus dans la ruelle.

Elle lui passe à côté sans même le regarder, attrape son manteau derrière le comptoir et ajoute :

— Dépêche-toi. J’ai pas envie que les voisins pensent que j’ai recueilli un chien errant.

Jake esquisse un sourire, malgré tout. Il la suit. Parce qu’il sait que ce n’est pas un pardon. Pas encore. Mais c’est une porte entrouverte. Et c’est déjà énorme.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alph Tsonga ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0